Par : M'barek HOUSNI Certains livres revendiquent leur singularité dès le premier abord en choisissant de s'allier exclusivement à l'écriture, et rien qu'à elle. Ils exposent une vision originale du monde qui dicte un mode de vie. Cela se manifeste dans une extrémité qui représente un chemin aboutissant aux réalités fondamentales. Ainsi, l'écriture n'est pas seulement un outil d'expression parmi d'autres, mais devient un outil existentiel. Le poète irako-néerlandais Ali Albazzaz explore depuis des années cette problématique singulière, et son dernier ouvrage, détaillé et complet, en rend compte profondément. Il adopte la prose de manière inattendue, captant des vérités qui agissent comme des plages de lumière au sein d'obscurités. Les titres des chapitres eux-mêmes vont à l'encontre de la norme, tels que « L'écriture de l'étrange », « L'écriture de ferraille », « Marché des pensées usagées », « L'écriture du ouï-dire », « L'écriture de la clôture », « L'écriture pour conjurer la sécheresse », « L'écriture muséale », « L'écriture du célibataire », « Ecrire à la manière de Sinbad », « L'écriture du cactus ». À travers des paragraphes, des citations de grands noms de l'écriture, des digressions poétiques, des survols lyriques et des réflexions ancrées dans les préoccupations actuelles, littéraires, philosophiques et politiques, l'auteur aborde des thématiques qui agitent le monde, y compris celles qui touchent nos sociétés arabo-musulmanes. Le regard de l'écrivain, animé par l'étrangeté, offre une perspective unique sur ces sujets. Au début, un préambule établit les limites à franchir : « Pour atteindre l'étrange, on a besoin d'un cercle fermé, responsable en toute liberté, on a besoin de sables polis tels des textes, on a besoin de dire que ce qui est unique ne suffit pas, on a besoin du seuil qui aurait l'air d'une infirmité attenante au corps, on a besoin de guérison. » On saisit alors ces phrases lumineuses : « L'étrange intègre une éternité propre, contraire et différente de la clôture par la forme et le sens. Qui prétend être original adopte la clôture dans toutes ses formes, dont le soutien au pouvoir est l'une d'elles.». Les concepts de sables, seuil, clôture et encerclement fournissent des clés pour comprendre l'écriture en lien avec le célibat. Celui-ci n'est pas associé à la solitude ou à une liaison matrimoniale, mais plutôt envisagé comme un partenaire à part entière. Il représente une écriture de la disponibilité, toujours présente comme un présent qui demeure actuel. Cette écriture est également une ouverture, se préservant de la distraction causée par les idéologies, contrats, conventions, diktats supérieurs, qu'ils soient sociétaux, politiques, économiques, ou autres, tous liés à un pouvoir donné. «Le livre du célibataire » devient ainsi un ouvrage de la liberté et de la lutte à l'échelle individuelle, confrontant le collectif sans chercher la fuite, l'asile, le refuge, ou un refus gratuit. En résumé, tout ce qui, selon Ali Albazzaz, peut conduire ou affaiblir par la familiarité créée en compagnie de ces éléments ou prise dans leur carcan. « Le célibataire est continuellement sous tension. Il est le partenaire d'une double force, absente matériellement, mais présente moralement.». Dans cette logique, un manque occulté, non perçu dans la marche du monde, se révèle à travers le célibat assumé par la tendance écrivante. C'est ce que Gilles Deleuze a clairement exprimé en affirmant que l'écriture est un besoin, car il y a toujours des lacunes que la vie ne comble pas. Ecrire et créer d'autres mondes deviennent le défi pour affronter ce qui devrait être là et qui persiste à ne pas venir. Ali Albazzaz désigne cela comme un « manque veilleur ». Cependant, cela ne signifie en aucun cas un isolement. Le célibataire se déplace, se lie momentanément, investit des lieux, mais sans s'intégrer. «Il a des clés et point de maison». Il circule librement, ouvre des portes, puise dans différentes sources, s'en va, et finit par écrire à la manière d'un Sinbad, d'une Shéhérazade, adoptant « une écriture marine ». Il écrit comme il navigue, emporté par sa fougue, chargé au contact du tumulte du monde, sans tomber ni dans l'optimisme ni dans l'euphorie, mais en gardant la réalité comme point de départ, tout en la survolant. Car « Le célibat, cette solitude totale, représentée par un moi solitaire, est une situation muette qui ne parle qu'à travers l'écriture.». Traduit de l'arabe par M'barek HOUSNI, Editions la Vague Culturelle.