Il est une dérivation de forme et fonction, à l'égal de l'écriture, qui modifie la technique d'origine. Comme dans un jardin en hiver. Les fleurs estivales, lorsqu'elles se trouvent dans l'ombre des plantes qui leur cachent l'accès à la lumière, résistent à l'hiver et sa rudesse en pliant leurs tiges. Elles se tournent alors du côté du soleil. La tige de la plante se plie, et la fleur hivernale acquit certaines caractéristiques de la fleur estivale; de même la plante hivernale s'approprie les caractéristiques de la plante estivale. C'est un acte créatif qui s'apparente à l'écriture : adapter les textes estivaux pour qu'elles survivent au gel de l'hiver. Et vice versa. Ce sont-là des caractéristiques antagonistes et standards susceptibles de s'harmoniser dans l'acte créatif. Dérivation estivale et hivernale. La littérature n'est-elle pas dérivation ? Les idées se ramifient, les livres se ramifient, et il arrive qu'ils se rejoignent. À son tour, le mouvement de l'histoire se ramifie, et la création s'assortit à un mouvement de fertilisation et d'hybridation, qui devient croissance, ressemblant à une opération d'afflux d'étrangers dans une terre donnée, en une certaine idée, au sein d'un genre littéraire donné. Le poème en prose n'est-il pas, poétiquement, étranger ? Lieu d'accueil réservé aux étrangers au sein de la poésie. Les étrangers sont les ramifications des arbres qui portent les bourgeons. La création est une dérivation de textes. Toute espace est une suite de dérivations. L'écriture de l'étranger et une écriture dérivante, écriture de jardin. Ecriture où les étrangers s'unissent aux métèques. Cioran avait écrit « Dans tout citoyen d'aujourd'hui gît un métèque futur». Ainsi se forme le temps qui modèle l'homme moderne/métèque. Le temps est fort présent en ce «tout» et ce «futur» dans le fragment de Cioran. Ils se complètent mutuellement afin d'aboutir à un résultat. Le métèque habite ce tout, il y dicte ses lois, ses penchants, son goût et même sa manière de bâtir sa demeure. À la façon avec laquelle se mesure le degré de la modernité du temps via l'ampleur de l'existence de l'étrangeté dans chaque homme, car chaque belle écriture est une écriture de métèque, à travers ce qu'elle s'approprie d'étrangeté. Chaque écriture est étrangeté, et tout vivant ambitionne d'être un métèque, sinon il disparaîtra. L'étrangeté est la caractéristique du vivant. Les métèques apparaîtront à travers nous. Les métèques apparaîtront dans les textes. L'étrangeté est mouvement, un évènement futur. L'affabilité est stable et n'attend pas. L'écriture de l'étrange, pari en boucle, amours circulaires Pour atteindre l'étrange, on a besoin d'un cercle fermée, mais librement responsable, on a besoin de sable polis tels des textes, on a besoin de dire : ce qui unique ne suffit pas, on besoin du seuil qui aurait l'air d'une malformation attenante au corps, on besoin de guérison. Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis? ton père, ta mère, ta soeur ou ton frère? – Je n'ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère. – Tes amis? -Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu. – Ta patrie? – J'ignore sous quelle latitude elle est située. – La beauté? – Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle. – L'or? – Je le hais comme vous haïssez Dieu. – Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger? – J'aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages! Baudelaire: Petits poèmes en prose, I(1869) L'étranger supporte mal les souvenirs car ils sont à la fois lieu et résidence. Il a ses propres reliefs incompatibles avec ce fait bref, de demeurer quelque part. Il investit le lieu en baroudeur. L'étranger est lié au cercle, quand il pense : déplacement, liaison sentimentale, c'est le cercle qui lui confère sa situation d'étranger. Tandis que les lignes lui sont hostiles, hormis lorsqu'elles sont des courbes imitant une vie difficile et pénible telle sa vie à lui, car elles sont liées à l'immigration, au déplacement forcé, au gaspillage sentimental pour se rassurer. L'étranger supporte mal le lieu, et il est ce dont il désire se séparer incessamment. *Poète et artiste peintre irako-hollandais, vivant au Maroc