Alors que le monde arabe affiche une solidarité unanime envers le peuple palestinien face aux horreurs de l'agression, le débat au Maroc prend un tournant parallèle, marqué par des tensions et des surenchères idéologiques. Si l'élan populaire marocain en faveur des Palestiniens reste un pilier constant du sentiment national, certains cercles politiques tentent aujourd'hui d'exploiter cette cause à des fins de confrontation politique intérieure. Dernier épisode en date : la défense par Saad Eddine El Othmani, ancien secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD), des propos controversés de son prédécesseur Abdelilah Benkirane. Ce dernier a suscité une vive indignation en semblant accorder à la cause palestinienne une importance supérieure à celle du dossier du Sahara marocain — une déclaration perçue comme une provocation à l'égard des sentiments patriotiques et un déni du consensus national. Pour justifier les propos de Benkirane, El Othmani a invoqué un discours royal où le Souverain souligne que le Maroc place les deux causes — palestinienne et saharienne — au même niveau de priorité. Toutefois, l'indignation populaire ne visait pas le soutien à la Palestine en lui-même, mais plutôt la manière dont ce soutien a été détourné pour servir des règlements de comptes politiques et adresser des messages implicites contre les choix stratégiques de l'Etat. Ce que révèle cette affaire, c'est qu'une partie de la mouvance islamiste continue de percevoir les causes extérieures comme des tribunes de substitution pour tenter de regagner une influence perdue sur le plan national. Plutôt que de produire un discours responsable et rassembleur, valorisant la solidarité tout en respectant les constantes nationales, ces courants ont préféré recourir à une rhétorique clivante et provocatrice, entraînant un rejet croissant au sein de l'opinion publique. La contradiction est d'autant plus frappante que ceux qui brandissent aujourd'hui les slogans de soutien à Gaza n'ont pas hésité par le passé à recourir à la justice contre de simples étudiants critiques. Abdelilah Benkirane lui-même, connu pour ses envolées populistes, n'a jamais assumé les conséquences morales ou juridiques de ses insultes à l'égard de figures politiques et intellectuelles marocaines. Le discours véhiculé par certains islamistes est donc truffé de paradoxes : il invoque la Palestine au nom de principes moraux, mais tombe dans l'instrumentalisation opportuniste, ignorant que la cause palestinienne ne se nourrit ni de surenchères émotionnelles, ni de calculs politiciens, mais de soutien lucide, constant et digne. Ce dont les causes justes ont besoin, c'est d'une parole nationale unifiée, qui affirme que défendre la Palestine ne contredit en rien la défense de la souveraineté du Maroc — bien au contraire. Les Marocains qui manifestent en soutien à Gaza sont aussi ceux qui considèrent la question du Sahara comme une ligne rouge intangible, et qui rejettent toute tentative d'exploiter les souffrances humaines à des fins partisanes. La véritable bataille ne se joue ni dans le nombre de déclarations, ni dans l'intensité des discours, mais dans la profondeur de l'engagement, la sincérité des intentions et la clarté du patriotisme. Opposer la Palestine au Sahara, c'est trahir l'une et manquer de respect à l'autre.