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«L'engagement indéfectible au service des intérêts suprêmes de la patrie, qui priment sur toute autre considération» : pour quelques spéculations électoralistes, Benkiran trahit la parole monarchique
Alors que le souverain chérifien insiste sur les fondements sacrés de la Nation, Abdel-Ilah Benkiran, chef de file du Parti de la justice et du développement (PJD) s'est illustré par une intervention véhémente à l'occasion du 1er-Mai. Multipliant les invectives contre les syndicats, les institutions publiques, les soutiens marocains de la paix au Proche-Orient et certains courants identitaires, il semble détourner la cause palestinienne dans l'espoir de ressusciter une influence politique en déclin. Une rhétorique incendiaire, en dissonance manifeste avec l'esprit d'unité prôné par le roi Mohammed VI. «(…)L'attachement constant aux sacralités et fondements de la Nation ainsi que [l']engagement indéfectible au service des intérêts suprêmes de la patrie, qui priment sur toute autre considération» : c'est par cette formule solennelle que le roi Mohammed VI s'est récemment adressé à Abdel-Ilah Benkiran, secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste, opposition). Mais à peine quelques jours plus tard, l'ancien chef du gouvernement (2012-2017) a livré un discours d'une virulence inédite, rompant avec le ton mesuré de l'hommage royal. Dans un amphithéâtre syndical réuni à l'occasion de la fête du Travail, M. Benkiran a donné libre cours à une série d'invectives et de dénonciations brutales, prenant pour cibles aussi bien les centrales syndicales que les défenseurs marocains de la paix au Proche-Orient, et n'épargnant ni les institutions, ni les figures politiques, ni l'exécutif actuel. Syndicats accusés de duplicité : une charge sans nuance Intervenant lors d'un rassemblement organisé par l'Union nationale du travail au Maroc (UNTM), organe syndical affilié au PJD, M. Benkiran s'est livré à une critique frontale des grandes confédérations syndicales du pays, en particulier l'Union marocaine du travail (UMT) et son secrétaire général, Miloudi Moukharik. «Les autres centrales, à de rares exceptions près, font commerce de votre misère. Ils monnayent vos droits, pactisent avec l'autorité, et vous tiennent en laisse par la peur du licenciement», a-t-il prétendu, accusant les dirigeants syndicaux d'empocher des fonds publics pour mieux «se concilier la bienveillance du pouvoir.» Dans une envolée populiste, il a exhorté les ouvriers à rejoindre sa propre organisation, prétendument préservée de toute compromission : «La vérité est que l'Etat ne vous fera rien. Et s'il ose vous opprimer, nous lui tiendrons tête. L'Etat n'est pas Dieu.» La cause palestinienne, instrument d'une résurrection politique Mais c'est surtout sur la question palestinienne que M. Benkiran a fait le choix d'un ton particulièrement acerbe, frôlant l'anathème. S'indignant de l'indifférence exprimée par certains citoyens marocains à l'égard de la situation en Palestine, il a lâché : «Avant, personne n'osait profaner la sacralité de cette cause. Aujourd'hui, des microbes osent dire : "Nous sommes Marocains, la Palestine ne nous regarde pas"... Ô âne, n'as-tu donc jamais lu l'Histoire ?» Il a poursuivi en ces termes : «Ceux qui soutiennent l'Etat sioniste ne le font que pour emplir leurs poches. Ils trempent dans l'argent des massacres, de la prostitution et de toutes les abjections.» Ces déclarations ignominieuses, dont la violence lexicale heurte jusque dans les rangs de ses partisans, semblent relever moins d'un sursaut moral que d'une stratégie de repositionnement politique. Relégué aux marges de la scène nationale depuis l'échec retentissant du PJD aux législatives de 2021, M. Benkiran paraît désormais convoquer la cause palestinienne comme ultime levier pour ranimer son crédit auprès d'un électorat populaire, historiquement sensible aux idéaux panarabes et aux grandes causes islamistes. Il ne s'agit pas, à ce stade, d'un simple élan de solidarité, mais bien d'un usage rhétorique, habilement calculé. En brandissant l'étendard de la Palestine avec emphase, l'ancien chef du gouvernement cherche à réactiver les ressorts émotionnels d'une frange du peuple marocain en mal de repères tout en se rétablissant dans le rôle de porte-voix des dépossédés. Ce recours à une cause noble comme rempart contre l'effacement politique n'est pas sans rappeler les ressorts du populisme moral, dans lequel la posture d'indignation remplace l'exercice du pouvoir par la mise en cause systématique. Emmanuel Macron, les Amazighs et les leurres identitaires S'adressant ensuite au président français Emmanuel Macron, M. Benkiran l'a sommé de reconnaître l'Etat de Palestine avant de la fin de son mandat en 2027, le qualifiant au passage de médhoul, c'est-à-dire «avili» ou «humilié». Il s'est également aventuré sur le terrain identitaire, évoquant les revendications de certains cercles amazighs. «Si nos compatriotes amazighs souffrent d'une quelconque discrimination, œuvrons collectivement à réparer les injustices. Mais qu'on ne s'y trompe pas : ceux qui rêvent d'un Maroc morcelé, à l'image du Kurdistan, poursuivent une chimère», a-t-il déclaré. Un verbe en rupture avec l'esprit monarchique Enfin, en s'en prenant avec virulence à la politique gouvernementale, M. Benkiran a fustigé l'inégalité dans les hausses salariales entre fonctionnaires et ouvriers, plaidant pour une revalorisation prioritaire des bas salaires, notamment ceux des agents de propreté. Il a raillé le chef de l'exécutif, Aziz Akhannouch, pour avoir organisé un sacrifice de soixante moutons à Agourai (Fès-Menkès), désavouant l'indécence de ce faste à une époque où de nombreux Marocains sont contraints de renoncer à l'Aïd. Par cette prise de parole imprudente, Abdel-Ilah Benkiran semble avoir renoué avec un style politique dont il est l'un des derniers tenants : celui d'un tribun sans scrupules en perpétuelle révolte contre l'ordre établi même lorsqu'il en était lui-même l'un des rouages. Le contraste avec la dignité du message royal n'en paraît que plus saisissant. Là où le souverain appelait à l'unité et à la loyauté envers les principes suprêmes de la Nation, l'ancien chef du gouvernement choisit, lui, l'escalade verbale, la provocation calculée et l'outrance en guise de stratégie. Pari perdu d'avance.