Le visiteur du pays du Cèdre, bien que lourdement affecté par les années de guerre, ne peut rester indifférent à la joie de vivre qui le caractérise. Le Liban est en train de sortir de la crise. Un consensus se dégage cependant : l'ennemi est bien syrien. Beyrouth, la capitale libanaise, porte encore le deuil de son héros national, l'ex-Premier ministre Rafic Hariri. Les photos de celui qui a osé dire non aux Syriens juchent la ville. Un seul slogan est désormais sur toutes les lèvres : nous exigeons la vérité au sujet de sa mort. Son mausolée, place des martyrs à Beyrouth, connaît un flux incessant de pèlerins, venus se recueillir sur sa tombe ainsi que celles de ses sept fidèles accompagnateurs, enterrés 10 mètres plus loin. Même à 4 h du matin, de ce samedi 23 avril 2005, les versets du Coran sont psalmodiés sans interruption. Les visiteurs, chacun conformément aux préceptes de sa religion, rendent hommage à l'ex-Premier ministre. Pas loin, au pied de la Statue de la liberté, les tentes des manifestants, hostiles à « l'occupant » syrien sont encore dressées. Les affiches arborées témoignent d'une opposition clairement affichée vis-à-vis de la présence syrienne. Sur place, la scène donne une impression de déjà vu. À limage du soulèvement en Géorgie ou en Lituanie, les Libanais semblent vouloir en découdre avec la présence syrienne qui remonte à une trentaine d'années. Désormais symbole de toute l'étendue de l'identité libanaise, une exposition dédiée aux réalisations, et elles sont multiples, de Rafic Hariri. Un témoignage de la reconnaissance vouée à l'ex-homme fort du pays du Cèdre. Les Libanais lui doivent, notamment, la reconstitution à l'identique, du centre ville. Une large partie de cette exposition est réservée au tragique attentat qui lui a coûté la vie. La dernière photo de Hariri vivant clot l'exposition. Toutefois, et fidèles à leur réputation, les nuits enflammées de Beyrouth ne sont pas qu'une légende. Le visiteur ne peut rester indifférent à la joie de vivre qui semble constituer un trait de ses multiples caractères. Les premières heures du matin ne diffèrent guère du reste de la journée. En dépit de l'imposante présence militaire et ses nombreux barrages, les voitures des inconditionnels des nuits libanaises, portant généralement un matricule du Moyen-Orient ou encore des voitures de luxe en location- certaines sont blindées- sillonnent la ville. Les stigmates d'une conduite en état d'ivresse sont perceptibles. Par contre, même de jour, la conduite au Liban reste une menace constante pour le conducteur d'une voiture. L'anarchie est totale. Le code de la route est, injustement, laissé sur le bord de la route. Chacun fait comme il l'entend. Une attitude commune avec le Maroc mais pas seulement. Un autre phénomène peut rappeler, cruellement, la conduite à Casablanca : les grands taxis. Comme au Maroc, les Mercedes 240 sont les reines de la route au Liban. D'une manière encore plus anarchique, leurs conducteurs imposent leur loi de l'autre côté de la Méditerranée. En sortant de Beyrouth, vers Tripoli, la traversée des villages chrétiens étonne par leurs spécificités. À côté des statuts et reliques, l'hommage rendu au Pape Jean Paul II témoigne d'une ferveur religieuse sans limites. Côte à côte, les villages chrétiens cohabitent, sans se mélanger, avec les villages musulmans. Les idéologies et convictions politiques, en cette période électorale fixée pour le 29 mai prochain, sont clairement affichées. A mi-chemin vers Tripoli, une image de l'ex-chef des milices libanaises, Samir Jâaja, actuellement en prison, témoigne de l'attachement de sa communauté à cet ancien homme fort du Liban, coupable notamment des massacres de Sabra et Chatilla. D'ailleurs, la visite du quartier de Sabra, majoritairement chiite, ne laisse pas indifférent. Même la forte présence des réfugiés palestiniens semble avoir troqué ses spécificités avec les règles et us en vigueur. Le Chiisme est plus qu'une doctrine musulmane, c'est un dogme auquel tous doivent se plier. Même les balcons des maisons sont drapés de rideaux censées prémunir les femmes des regards externes. Les stigmates de la guerre passée, mais aussi des blessures historiques, sont encore visibles. Curieusement, selon les dires des autochtones, les langues commencent à se délier. Parler politique, sous domination syrienne, était proscrit. Même actuellement, la méfiance est encore grande. L'omniprésence des services de renseignements syriens rend suspecte toute discussion. Le mythe côtoie le plus souvent la réalité. Les gens interrogés parlent d'embrigadement de jeunes enfants des rues, ramenés spécialement de Syrie, pour servir d'agents de renseignement. Les vendeurs à la criée, de légumes et autres petits commerçants sont reconnus comme agents syriens. Certains disent même que l'embrigadement des Libanais a atteint des sommets. Chaque famille passe pour contenir en son sein un délateur ou agent pour le compte du voisin occupant. Les histoires d'abus, de maltraitance et de spoliation abondent. Les discutions de café font état du pillage systématique des richesses du pays. Tout y passe : des prélèvements sur les marchés publics, au casino passant par les ports, les Syriens se sucraient à volonté. En tout cas, l'histoire est en phase d'être écrite. En attendant de vérifier ces informations, une certitude est désormais entrée dans l'Histoire, la haine de la Syrie est une composante sociétale. Même lors d'une fête, le temps d'un mariage à Tripoli, les membres de la famille de la mariée ont essayé d'oublier cette actualité bien pesante. Tous les airs mucicaux ont été admis sauf les syriens. Les blessures sont encore ouvertes. L'intervention massive chez son petit voisin peu après le début de la guerre civile de 1975-1990 mettra assurément des années pour êtres surmontés. Cela commencerait, selon les Libanais, par éclaircir les circonstances de l'assassinat, le 14 février, de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri. • DNES au Liban, Bensalem Fennassi