François Soudan, directeur de la rédaction du magazine Jeune Afrique, a livré une analyse remarquée sur «le temps monarchique» au Maroc. Du haut de sa force morale, l'autorité souveraine incarnée par le roi Mohammed VI, qui fête ses soixante ans cette année, a triomphé de toutes les incertitudes grâce à une bonne lecture des exigences du moment et un bon sens consommé. «Le temps du Maroc n'a jamais été celui du reste du monde, plus encore sous Mohammed VI (...) régner c'est durer en s'adaptant aux circonstances, l'important étant de ne pas faiblir au moment d'agir», écrit M. Soudan dans un éditorial du magazine du mois d'aout intitulé «Mohammed VI : 60 ans et autant de secrets.» Selon le journaliste, le monarque n'a point négligé les éléments essentiels de la puissance d'une nation, à savoir une politique aussi persévérante que généreuse, ennemie des calculs démagogiques, amie des évolutions successives. «La détermination avec laquelle [le roi Mohammed VI] poursuit, face à l'hostilité déclarée de l'Algérie, aux sourdes réticences de la France et aux critiques récurrentes des médias et des ONG européens, son engagement sur la voie du Morocco First démontre qu'avec l'âge son allergie à l'idée de se faire des adversaires et à prendre des positions tranchées a disparu», souligne M. Soudan, décrivant le secret comme «participant au mystère du pouvoir et l'un des attributs de la majesté, source directe de l'aura du souverain.» Pour lui, le roi Mohammed VI a sur ses pairs chefs d'Etat «un avantage indéniable» : «Il ne doit donc rien aux autres, ce qui lui évite de se sentir débiteur de qui que ce soit», a-t-il écrit. «S'il a hérité, il y a vingt-quatre ans, du trône de son père, il lui a fallu, comme chaque roi avant lui, le conquérir dans le cœur du peuple marocain, car c'est là que résident le fondement et la plus solide garantie de son pouvoir», a noté M. Soudan. Une monarchie ayant les moyens de s'élever plus haut La préoccupation du sort du peuple marocain a joué un trop grand rôle dans l'esprit qui a présidé les grandes réformes menées par le souverain. Leur réussite s'explique par l'union intime du roi Mohammed VI et du peuple dans une commune pensée «qui se défie de la proximité avec tous ceux susceptibles d'abaisser la monarchie au niveau du commerce, de l'affairisme et des scandales», souligne le journaliste français. «C'est pour s'en prémunir qu'un roi, même s'il ne peut compter que sur lui pour les choix extrêmes, a besoin de conseillers désintéressés, dont la pensée est tout entière orientée vers l'accomplissement de la destinée de leur maître et qui le révèlent à lui-même, en exprimant ce qui en lui est le meilleur et le plus conforme à sa vocation», a-t-il précisé. Le souverain, homme des grandes situations et prince des croyants M. Soudan insiste sur la centralité de l'islam et du fait religieux, qui sont «au cœur de [l]a légitimité» monarchique, mais aussi «un formidable agent de stabilité sociale, un auxiliaire d'éducation populaire, un ciment du trône et une composante essentielle de la marocanité.» Il rappelle que le roi Mohammed VI a toujours veillé «à ce que la crainte légitime de l'Etat ne soit tenue pour une source de pouvoir, lequel ne peut jamais durer sans consentement.» Elle est «un moyen indispensable à l'ordre public et non une fin en soi.» Au Maroc, ajoute-t-il, «le pouvoir est aussi une affaire de pédagogie, et c'est en faisant le roi que Mohammed VI est au fond le plus simple et le plus proche de son peuple.» M. Soudan critique les dernières enquêtes sur le roi Mohammed VI, dénuées de tout sérieux souci de la vérité, dépossédés des qualités indispensables du récit, savoir la probité et le jugement sain. «Les charges conjointes [de nos confrères londoniens de The Economist et du Times] sont fondées sur un narratif étonnement identique (la pseudo-« disparition » du roi, et l'influence supposée qu'exercerait sur ce dernier une fratrie de kickboxeurs) », mais pour « l'immense majorité des 37 millions de Marocains, rien de ce qui met en cause l'évidence du trône n'est audible.» Enquêtes creuses Les dernières enquêtes consacrées par la presse étrangère au roi Mohammed VI ont fait une part large à des suppositions sans fondement. «Les auteurs de ces enquêtes le reconnaissent eux-mêmes : faute d'accès au Palais, ils ont travaillé sur la base de rumeurs et de sources anonymes de seconde main, des dires d'un Prince rouge depuis longtemps marginalisé mais qui, manifestement, ne peut se résoudre à l'obscurité médiatique, sans compter les assertions de diplomates incognito et de cette poire pour la soif des reporters en mal de citations que sont les chauffeurs de taxi.» «On peut certes trouver des circonstances exténuantes à ces journalistes étrangers en mal de buzz (...) ils en sont réduits à interpréter des fantasmes. Mais le résultat est là. Jamais l'incompréhension des codes de la monarchie chérifienne n'aura été aussi vive», a-t-il pointé.