''Comme une mère, une ville natale ne se remplace pas'', nous dit l'écrivain français, Albert Memmi. Vrai, quand j'imagine l'intensité d'amour que j'ai pour Taounate, ma ville natale que j'ai quittée juste après ma naissance, vers ma ville adoptive, Meknès. Et à chaque fois que je la revois, je la trouve malade, chagrinée, souffrante d'une crise insidieuse qui la ronge de l'intérieur comme de l'extérieur et qui la pourchasse comme une sorte de fatalité. Ses maux sont décelables déjà sur la route impraticable et dangereuse qui mène à la ville. Le ministère de l'équipement associé aux collectivités locales se plaisent à vanter les objectifs ambitieux de sécurité routière dans la région, alors qu'ils se désengagent complètement de la responsabilité qui leur incombe en termes d'amélioration et d'entretien de la seule route Fès-Taounate, dont le projet de dédoublement tarde à se concrétiser. Autre point noir, l'étendue de ces terrains vacants à l'entrée de la ville et dans la périphérie, donnant l'impression que toutes les activités que l'on rejette du centre-ville vont se loger dans ces espaces vides qui nous rappellent, néanmoins, cette nature verdoyante irrésistible que l'on a arpentée durant notre enfance, pendant les vacances. L'ampleur de la dégradation de l'espace urbain dans l'entrée de la ville, suscite amertume et désolation. Des dépôts sauvages d'ordures ménagères, des habitations anarchiques qui attestent de l'enracinement des coutumes de construction au détriment des règles d'urbanisme et des enjeux autant patrimoniaux qu'esthétiques. Des zones habitables qui croupissent sous les immondices et saletés de tout genre. Une fois au centre-ville, le constat est beaucoup plus affligeant : rues tristounettes, construction anarchiques, habitation au gré des caprices, espaces verts à l'abandon, éclairage public défaillant, manque d'espace de loisirs, de sport et de culture. La ville donne l'apparence d'une cité-dortoir sans âme et sans grâce, alors qu'elle recèle un riche patrimoine culturel et artistique. Un artisanat diversifié avec des métiers de vannerie, du tissage, de poterie, du travail du bois et autres. Tout témoigne du faste artisanal que connaît Taounate et dont le savoir-faire s'est transmis de génération en génération rien que par le geste. Taounate n'est plus la riante province d'autrefois, havre serein d'une ville épargnée par les soubresauts et les bruits des grandes villes. Elle n'est plus ce beau paysage sonore où seul régnait le bruit des oiseaux et de la nature, comme s'il s'agit d'une composition musicale venue du ciel. Aujourd'hui, je mesure le manque de cette nature indomptée qu'aucuns espace vert ou parcs ne peut égaler. Et si vous êtes pris par l'envie de flâner en ville, prenez le temps d'observer en contemplateur les rues et artères qui la composent. Là se dévoile le degré de déficience et le rythme de développement qui tire vers le bas. Un manque flagrant d'infrastructures qui affecte la qualité de vie et les conditions d'habitat. Des bâtiments d'affaires et d'entreprise qui ressemblent à des hangars, des trottoirs envahis par les cafés et commerces de tout genre. Des marchés à ciel ouvert. Des maisons de mauvais goût qui témoignent de l'enracinement des constructions à caractère rural, comme si la ville n'a jamais connu de plan d'aménagement. Pas un seul vrai endroit de promenade dont on peut profiter. Aucune unité hôtelière digne de ce nom hormis un hôtel trois étoiles qui vient de voir le jour tout récemment. Pas de complexe d'artisanat qui permet aux téméraires artisans de perpétuer l'art artisanal de la ville. Pas d'universités pour les étudiants bacheliers obligés de s'inscrire à l'Université Sidi Mohammed Ben Abdellah de Fès. Le constat est d'autant plus désolant qu'on est fondé d'avancer l'existence de ''deux Maroc''. Le Maroc des villes heureuses hautement équipées et entretenues et celui des villes abandonnées à leur sort et poussées à s'orienter vers les métropoles en tant que poids lourd exerçant une forte influence sociale, culturelle et économique. C'est le cas de Fès-Taounate. Dire aussi que Taounate, cette grande oubliée, n'est pas seulement envoûtante et réconfortante, elle est tout. Les architectes, urbanistes, écrivains et poètes taounatis y voient un potentiel énorme et y projettent des idées à même de réinventer la ville pour lui offrir une qualité de vie meilleure. Mais que peuvent-ils concrètement sinon appeler de toute leur force à une forte réaction contre les effets néfastes de 50 ans de ''laisser-faire'' généralisé. Les maux qui touchent Taounate sont nombreux et nécessitent une politique volontariste de l'Etat et des collectivités locales qui se fait attendre.