Le Registre social unifié (RSU), qui repose sur plus de trente variables pondérées selon une équation tenue secrète, cèderait à un traitement algorithmique insensible aux marges de vulnérabilité. S'y croisent des données sur le lieu de résidence, le type de logement, les possessions déclarées, ou encore la situation scolaire des enfants. Officiellement, ces éléments doivent refléter avec exactitude le «niveau de besoin» d'un foyer. En réalité, nombre de familles ignorent encore sur quels critères exacts elles sont rejetées. Les rares voies de recours existent mais ne garantissent ni célérité, ni clarté. Certes, les familles peuvent adresser une réclamation, et être réintégrées avec effet rétroactif.» Mais encore faut-il comprendre les raisons du refus initial — ce que les plates-formes de réponse, souvent saturées, ne permettent pas. Le ministre délégué chargé du budget, Fouzi Lekjaa, a défendu les motifs ayant conduit au retrait du soutien social direct à un nombre croissant de foyers marocains, précédemment bénéficiaires. À l'en croire, ce retrait ne relève d'aucune forme d'arbitraire, mais s'inscrit dans une mécanique éprouvée conçue pour garantir la stricte équité dans la répartition des aides publiques. Au seul mois de janvier, pas moins de 46 691 demandes ont été écartées, selon les données officielles communiquées par le ministère. Dans cette masse, 69 % concernent l'allocation forfaitaire tandis que 30 % sont liées aux aides destinées à prévenir les risques associés à l'enfance. Ces chiffres attestent, selon M. Lekjaa, de la robustesse du système d'évaluation, fondé sur un traitement croisé des données et d'une volonté assumée de recentrer les transferts monétaires sur les véritables ayants droit. Un dispositif contrasté Interrogé par le député Driss Sentissi (Mouvement populaire, MP, opposition) dans le cadre d'une question écrite au sein de la Chambre des représentants, M. Lekjaa a rappelé que ce programme, lancé à la fin de l'année 2023, répond à la mise en œuvre des orientations royales et à l'application de la loi-cadre n° 09.21 relative à la protection sociale. Il constitue, selon ses termes, l'un des piliers structurants de l'édification d'un Etat social, soucieux de prémunir les catégories vulnérables contre les aléas liés à l'enfance, au handicap, à la vieillesse et à la déscolarisation. Ce dispositif prévoit divers types de prestations : allocations pour les enfants scolarisés ou en situation de handicap, appuis aux familles démunies sans enfants en âge scolaire, primes à la naissance et aides mensuelles pouvant excéder 1 500 dirhams, selon la composition du ménage. En multipliant les seuils, les conditions et les exclusions automatiques, le gouvernement semble appliquer une définition de la pauvreté purement statistique où le moindre revenu déclaré peut faire basculer une famille dans la catégorie des «non-éligibles.» Cette approche occulte les fragilités réelles, souvent discontinues, qui échappent à l'œil froid des algorithmes : précarité de l'emploi informel, dépenses imprévues, isolement géographique, charges liées au handicap ou à la vieillesse. Un croisement systématique des données pour garantir l'éligibilité Le retrait de certaines aides ne résulte pas d'un réexamen subjectif mais d'une vérification mensuelle opérée par les instances gestionnaires du programme. Ce processus repose sur l'interconnexion entre les administrations publiques, les organismes de sécurité sociale et les structures privées, conformément à la loi n° 72.18. L'Agence nationale des registres (ANR) actualise régulièrement les profils des bénéficiaires, en se fondant sur des paramètres tels que les déclarations fiscales, les données salariales, les pensions, ou encore la résidence effective au Maroc. Il en ressort que certains ménages perdent leur éligibilité lorsqu'ils franchissent un certain seuil de revenus ou lorsqu'ils bénéficient d'un autre dispositif de couverture — qu'il soit public ou privé. L'admissibilité n'est donc ni permanente ni automatique mais soumise à l'évolution réelle de la situation économique de chaque foyer. Une ingénierie sociale pilotée par le "Registre social unifié" Au cœur du mécanisme se trouve le Registre social unifié (RSU), système de notation fine qui repose sur plus de trente variables socioéconomiques par foyer, pondérées selon une formule mathématique complexe intégrant les disparités territoriales entre milieu urbain et rural. Ces données sont actualisées au moins une fois par an, voire davantage lorsque des changements significatifs sont observés. Dans un souci d'équité procédurale, les citoyens dont la demande a été rejetée peuvent déposer un recours par voie officielle. Les dossiers font alors l'objet d'un réexamen approfondi. En cas de validation de la réclamation, le versement des aides est rétabli avec effet rétroactif à compter de la date d'éligibilité initiale. Enfin, M. Lekjaa a insisté sur le fait qu'aucune aide publique ne saurait être accordée sans que soient respectés les engagements à l'égard de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Les personnes concernées doivent être à jour dans le versement de leurs cotisations, dès lors qu'elles relèvent du champ de l'Assurance maladie obligatoire (AMO) ou de tout autre régime contributif.