82,5% des enseignants ne sont pas formés à la didactique du conte. Face à ce constat, une journée d'étude, organisée à l'Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, a analysé les freins institutionnels et les leviers pédagogiques à même de réactiver ce patrimoine ancestral au service du développement durable. L'Université Sidi Mohamed Ben Abdellah (USMBA) de Fès a positionné le patrimoine oral au centre des réflexions contemporaines lors de la journée d'étude internationale «Savoirs endogènes et développement durable». Tenue récemment à Fès, cette rencontre scientifique s'inscrit dans les activités du projet «Conte et contage au service du développement durable au Maroc (CCSDDM)». L'initiative, portée par le Laboratoire Sllache et soutenue par l'Agence universitaire de la francophonie, vise à examiner comment les savoirs traditionnels, tels que le conte, peuvent constituer une ressource active pour les enjeux sociétaux et environnementaux actuels. Le doyen de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines Dhar El Mahraz, Mohammed Moubtassime, a souligné que l'événement incarne la conviction que l'université doit s'inscrire dans un dialogue constant avec les acteurs sociaux. L'objectif est de valoriser les savoirs endogènes comme levier de transmission, et de repenser le développement durable en lien avec les identités locales. La journée a rassemblé des universitaires, des chercheurs et des partenaires associatifs nationaux et internationaux, notamment de l'Université de Bari Aldo Moro et de l'Université Paris-Cité. Un potentiel pédagogique face à 82,5% d'enseignants non formés L'un des défis modernes identifiés réside dans l'intégration effective de ce patrimoine dans le système éducatif. Une étude présentée par Mohamed Bouhou et Aboubakr Nmili, conduite auprès de 163 enseignants de la région Fès-Meknès, révèle un écart significatif entre la perception du potentiel du conte et son usage pédagogique réel. Les données indiquent que 82,5% des enseignants interrogés n'ont jamais reçu de formation spécifique à la didactique du conte ou du texte littéraire. Cette absence de formation semble être un corollaire à une forte dépendance aux supports officiels, 70,2% des enseignants déclarant utiliser le manuel scolaire comme support unique. Les pratiques en classe privilégient majoritairement une approche structurelle. 52,2% des répondants abordent le conte principalement sous l'angle du schéma narratif, des personnages ou du temps, tandis que les discussions autour de la morale (12,8%) ou du contage oral (9,3%) restent des activités minoritaires. Les principaux freins cités sont les programmes chargés (24,4%) et le manque de temps (22,2%). La sagesse du conte, vecteur de valeurs écologiques et sociales Les travaux de la journée ont démontré la richesse des savoirs ancestraux contenus dans ces récits. L'analyse de contes produits par des élèves a mis en lumière la transmission de savoirs agricoles, écologiques, sociaux et moraux. Ces récits véhiculent des principes fondamentaux, illustrant que «planter, c'est réparer» ou personnifiant la nature comme une entité qui réclame justice face à la pollution. Une autre communication, émanant de Mohamed El-Himer et Driss Ahajji, a porté sur la métaphore poétique dans le conte traditionnel amazigh. L'étude montre comment des images complexes servent à encoder des normes éthiques et des savoirs endogènes. Des figures comme le «poulain décharné» au milieu d'un pré verdoyant pour symboliser l'avarice, ou le «serpent» incapable de rentrer dans son trou pour représenter la parole irréversible, fonctionnent comme des outils pédagogiques subtils transmettant une vision du monde communautaire. Six actions concrètes pour connecter patrimoine et pédagogie Face à ces constats, le projet CCSDDM ne se limite pas à l'analyse mais déploie une méthodologie d'action concrète. Le coordonnateur de la journée d'étude, Mohamed El-Himer, a détaillé les six activités structurant le projet. La démarche a débuté par une exploration des archives du laboratoire Sllache et des associations partenaires pour inventorier les contes déjà collectés. Des focus groups ont ensuite été organisés pour identifier les récits mettant spécifiquement en avant des thèmes écologiques. La phase de documentation prévoit la classification et la traduction des contes en français, arabe et amazigh, en vue d'une publication et d'une éventuelle archive numérique. Un volet diffusion a inclus un webinaire international sur «Contes et biodiversité». La phase de sensibilisation, quant à elle, prépare des ateliers de contage animés par les étudiants de l'université au profit d'élèves du primaire. Cette journée d'étude représente ainsi une étape essentielle d'un processus visant à réactiver le patrimoine oral en tant que ressource vivante pour l'éducation au développement durable. Mehdi Idrissi / Les Inspirations ECO