Selon les informations recueillies par l'hebdomadaire dominical, les plus hautes sphères du pouvoir algérien auraient supervisé, dès 2021, un vaste dispositif destiné à rapatrier de force ou à neutraliser certains opposants réfugiés à Paris. Le cas le plus emblématique est celui d'Amir DZ, un vidéaste au discours virulent envers le régime. L'Algérie aurait tenté en vain d'obtenir son extradition officielle, avant de recourir à d'autres voies. Des pièces confidentielles obtenues par Le Journal du Dimanche (JDD, 11/5, numéro 4 087), révèlent la mobilisation de services algériens sur le territoire français à des fins de traque, d'intimidation et de harcèlement contre des dissidents du régime. Le président Abdelmadjid Tebboune, ainsi que plusieurs hauts gradés du renseignement, apparaissent personnellement impliqués dans ces manœuvres illicites d'une ampleur inédite. Une traque pilotée depuis le sommet de l'Etat Le dossier atteste d'un usage assumé de la machine étatique pour faire taire les voix critiques en exil. Le chef de l'Etat algérien y est décrit comme celui qui «a fait de l'obsession pour les opposants une affaire personnelle», selon les propos d'un ancien ministre cité par l'hebdomadaire. L'affaire dite «Amir DZ» cristallise cette dérive : un youtubeur exilé en France, visé par une tentative d'enlèvement en avril 2021. Pour le récupérer, les autorités algériennes ont tenté «d'activer les circuits diplomatiques», écrit Le JDD, évoquant une demande de levée d'immunité adressée à Paris et refusée par le Quai d'Orsay. Faute de succès, Alger aurait dépêché ses services dans la clandestinité. Une cellule transnationale structurée entre Paris, Bruxelles et Lisbonne «C'est le général Sadek qui a tout coordonné dans l'affaire Amir DZ», affirme une source au cœur du dispositif. Ancien responsable des services techniques de la présidence, il aurait «mobilisé une cellule» dotée de faux passeports et de véhicules banalisés, active depuis plusieurs capitales européennes. À ses côtés, le colonel Zerguine, alias Mouad, est présenté comme «coordinateur des opérations clandestines à l'étranger». Son nom est directement relié à Boualem Boualem, directeur de cabinet du président Tebboune, qualifié de «chef d'orchestre silencieux» par les enquêteurs. Des agents sous couverture diplomatique impliqués dans des opérations de filature Plusieurs officiers sont désignés par leur grade, notamment l'adjudant SR, rattaché à la DGSSE (Direction générale de la sécurité extérieure). «C'est lui qui a exfiltré les équipements de surveillance de l'ambassade», affirme un document confidentiel, qui mentionne également une cache d'armement électronique à Paris. Le premier secrétaire de l'ambassade et le consul adjoint de Créteil apparaissent dans les rapports de filature : «leurs noms apparaissent dans les comptes rendus des services français», note le journal. Des pièces écrites d'une rare gravité Les éléments recueillis comprennent des correspondances internes, des notes de service, ainsi que des messages chiffrés retrouvés dans les disques durs de l'ambassade. L'une des notes, datée d'octobre 2024, ordonne d'«intensifier la pression sur les éléments subversifs résidant à Paris». Un autre message, signé du colonel Zerguine, commande la mise en place d'un «groupe de surveillance chargé de gérer le cas Amir DZ jusqu'à sa récupération». La note conclut : «le silence des traîtres est une priorité de sécurité nationale.» Réaction discrète mais ferme de la France Informés dès l'été 2024, les services français de contre-ingérence ont discrètement suivi et neutralisé une partie des dispositifs. Un Conseil de défense s'est tenu à l'Elysée à l'automne, exclusivement consacré à l'Algérie. «Il s'agissait d'évaluer l'ampleur de l'infiltration», indique une source de haut rang. Plusieurs agents ont été discrètement reconduits à la frontière, tandis que l'ambassadeur d'Algérie a été averti de la «gravité extrême des actes commis par certains membres de sa mission diplomatique». Le président Tebboune personnellement mis en cause Le nom du chef de l'Etat revient sans cesse. Selon une source proche de la DGSI, «rien de tout cela ne se serait fait sans l'accord exprès du président». Celui-ci est sévèrement jugé. Florilège : «Son problème est affectif : il ne s'est jamais remis d'avoir vu des proches ou amis prendre du galon alors que lui restait en bas de l'échelle.» «Il ne supporte pas la critique.» «Le système Tebboune est devenu une machine à traquer et punir les opposants politiques ou simples satiristes.» «C'est le général Sadek qui a tout coordonné dans l'affaire Amir DZ», affirme sans détour une de nos sources au cœur de l'Etat algérien. «Il agit au nom des services spéciaux de la présidence et sous l'autorité de Tebboune.» «À l'été 2021, les services spéciaux ont transmis à Paris un "dossier présidentiel" avec pour objectif de récupérer Amir DZ. Ce document, validé par Tebboune, a été relayé par la DGSI.» «L'homme du président a été jusqu'à téléphoner à son supérieur direct, qui n'est autre que l'actuel patron de la DGGSE, le général Sadek. Tertre, d'après les éléments collectés par les enquêteurs, se montre de plus en plus nerveux face à son double jeu car aucun autre membre de l'Etat ne veut être mêlé à ce genre d'opération aussi sensible.» «Tebboune a asséché les circuits parallèles de la présidence, muselé les conseillers et les services de sécurité pour centraliser les dossiers autour d'un cercle très restreint, entièrement à sa main.»