La possible suppression, en 2027, de la taxe sur les importations et livraisons de marchandises dans les îles Canaries (AIEM) — prélèvement spécifique appliqué au ciment fabriqué dans le sud de Grande Canarie — pourrait bouleverser le marché régional et favoriser l'entrée d'acteurs internationaux installés à proximité des côtes atlantiques. L'usine exploitée conjointement par le groupe brésilien Votorantim et la société asturienne Masaveu, détient aujourd'hui une position quasi-exclusive. Sa protection tarifaire pourrait toutefois disparaître, si les négociations engagées en 2025 entre Madrid et la Commission européenne aboutissent à une révision du régime fiscal insulaire. Des acteurs industriels marocains surveillent la situation actuelle. Des projets structurants suspendus aux équilibres douaniers La fin de l'AIEM permettrait une baisse significative du coût des matériaux de construction avec des répercussions notables sur plusieurs chantiers d'envergure — notamment la future ligne ferroviaire de Grande Canarie et les investissements hôteliers en cours. À moyen terme, un volume d'investissements estimé à 2 000 milliards d'euros pourrait être réévalué à la faveur d'un approvisionnement moins onéreux. Selon des sources médiatiques, plusieurs groupes cimentiers disposant de capacités d'exportation consolidées dans le bassin méditerranéen et sur l'Atlantique se préparent à prendre position. Parmi eux figurent Cemex — ancien actionnaire à 50 % de Ceisa —, LafargeHolcim, Cimpor, Ciments du Maroc (filiale de Heidelberg Materials) et le groupe Ciments Portland Valderrivas, propriété d'Inmocemento, sous contrôle du financier Carlos Slim. Tous disposent de terminaux portuaires actifs dans la péninsule Ibérique et le Maghreb. Les cimenteries marocaines en tête de ligne Le Maroc, par sa proximité maritime et son infrastructure portuaire, pourrait jouer un rôle central dans cette recomposition. La filiale Ciments du Maroc y opère deux unités majeures : l'une à Safi, l'autre à Laâyoune (Sahara), cette dernière étant considérée comme l'un des plus vastes complexes cimentiers du Maghreb. L'ensemble représente une capacité de production annuelle de plus de 2,2 millions de tonnes. «Depuis Laâyoune, nos expéditions vers les Palmes n'excèdent pas 56 heures, avec des coûts logistiques particulièrement compétitifs», affirme un cadre du groupe Heidelberg Materials Maroc. «Nous disposons déjà de liaisons maritimes régulières et d'un savoir-faire éprouvé dans la gestion portuaire.» En Andalousie, LafargeHolcim bénéficie d'une implantation solide à Xérès, avec un accès immédiat à plusieurs quais. Le trajet maritime vers Grande Canarie oscille entre 36 et 48 heures, permettant à l'industriel de rivaliser avec les acteurs historiques si l'AIEM venait à disparaître. Sur le littoral levantin, Cemex exploite des terminaux adaptés à l'exportation à Valence et à Alicante. Sa capacité annuelle dépasse 1,5 million de tonnes. Selon plusieurs estimations du secteur, le prix départ usine depuis Valence reste inférieur de 8 à 12 % à celui de Ceisa, à El Rocher, tandis que le temps de navigation atteint entre 60 et 70 heures. Un dispositif fiscal contesté depuis Bruxelles Instituée pour protéger la production locale, la taxe AIEM fait l'objet de vives critiques. Pour les milieux économiques canariens, elle constitue un facteur d'enclavement dont les effets nuisent autant aux entreprises qu'aux ménages. «L'AIEM est une survivance bureaucratique», estime un responsable de la chambre de commerce des Palmes. «Sa suppression introduirait une forme d'équité tarifaire et permettrait un abaissement immédiat du coût de la vie.» L'abrogation du dispositif, actuellement à l'étude à Bruxelles, ouvrirait la voie à une concurrence ouverte. Dans un contexte où les marchés publics sont de plus en plus attribués selon des critères budgétaires stricts, l'entrée d'opérateurs marocains, portugais ou andalous pourrait transformer en profondeur l'équilibre industriel de l'archipel.