Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
Le Policy Center for the New South publie une étude sur la «ruse psychopolitique» qui alimente la fracture entre générations, en marge du mouvement de la Gen Z-212
Une analyse du Policy Center for the New South (PCNS), conduite par le sociologue El Mostafa Rezrazi, met en évidence l'émergence d'une fracture générationnelle d'une intensité inédite, nourrie par ce qu'il nomme la «ruse psychopolitique». Ce mécanisme, subtil et collectif, convertit les frustrations économiques, sociales et environnementales des jeunes en récits accusateurs dirigés contre leurs aînés. Au Maroc, cette tension prend une portée démographique singulière : la génération Z, forte de plus de 9,6 millions de personnes, représente 26,3 % de la population nationale. Or, 35,8 % des 15–24 ans demeurent sans emploi, tandis que 39 % sont classés NEET — ni en emploi, ni en éducation, ni en formation. Cette jeunesse, partagée entre désillusion numérique et quête de sens, incarne, selon le PCNS, le point de bascule d'une société appelée à réinventer son pacte entre mémoire et avenir. Une étude du Policy Center for the New South (PCNS), rédigée par le sociologue El Mostafa Rezrazi, explore un phénomène qu'il qualifie de «ruse psychopolitique», concept décrivant la manière dont les frustrations sociales se transforment en récits d'opposition entre générations. Selon l'auteur, «les sociétés contemporaines se trouvent aujourd'hui confrontées à une tension symbolique croissante entre générations», tension qui dépasse le simple écart d'âge pour devenir une confrontation morale et culturelle. Les jeunes des générations Z et Alpha reprochent à leurs aînés «d'avoir échoué sur les plans économique, social et environnemental», érigeant leurs parents en figures d'un passé fautif, selon le Policy Center for the New South, Research Paper n° 13/25, octobre. Dans cette perspective, M. Rezrazi décrit la «ruse psychopolitique» comme un processus collectif par lequel les frustrations réelles – chômage, crise climatique, inégalités – se muent en «récits binaires et mobilisateurs» relayés par les plateformes numériques. Ces récits, écrit-il, entretiennent «l'illusion d'une émancipation totale» tout en générant «de nouvelles dépendances symboliques». Pour analyser cette dynamique, il combine la sociologie des générations et la psychanalyse, reprenant la typologie classique (Baby-boom, X, Y, Z, Alpha) élaborée depuis les années 1950, ainsi que la distinction entre «digital natives» et «digital migrants» proposée par Marc Prensky. Toutefois, il précise que ces catégories médiatiques «simplifient à l'excès des réalités sociales complexes». Les ressorts psychiques de la rupture intergénérationnelle M. Rezrazi met au jour trois ressorts fondamentaux de cette fracture : la projection, la régression collective et le parricide symbolique. La projection conduit les jeunes à attribuer à leurs aînés leurs propres angoisses : le chômage et la peur de l'avenir se transforment en accusations portées contre «la rente et la corruption des anciens». Ce glissement donne naissance, selon lui, à une «génération gaspillée», notion inspirée de Mustapha Hijazi, pour désigner une jeunesse dont le potentiel est dilapidé par le sentiment d'héritage d'un monde en ruine. La régression collective, seconde composante du schéma, se traduit par un repli identitaire et une fuite hors des institutions. Certains jeunes prolongent indéfiniment leur adolescence, rejetant l'école, la politique et tout cadre collectif. Ce refus, observe M. Rezrazi, «agit comme une défense contre l'incertitude, mais enferme dans un retour à des postures adolescentes prolongées, où la revendication de rupture remplace l'élaboration de solutions concrètes». Enfin, le parricide symbolique manifeste le désir d'une table rase absolue : le rejet «global des figures parentales, institutionnelles et culturelles» se cristallise dans des slogans tels que «pourquoi nous avoir mis au monde?». Ce rejet offre l'illusion d'une libération – «tuer symboliquement le père» – mais prive en réalité la société de son capital mémoriel. «Cette rupture produit moins une libération qu'un nouvel enfermement symbolique», écrit le sociologue. Ces processus psychiques trouvent leur prolongement dans la sphère sociale. Les réseaux numériques transforment la colère juvénile en instrument politique, amplifiant «l'illusion d'une émancipation totale» tout en consacrant l'emprise des algorithmes. Une contestation hybride se développe alors, «à la fois virtuelle et réelle, locale et transnationale», où les jeunes «natifs numériques» propagent slogans et mots d'ordre sur leurs écrans. Leur leitmotiv – «nous n'avons rien à perdre» – illustre cette rage diffuse. Pourtant, note M. Rezrazi, ce sentiment de rupture nourrit un «narcissisme générationnel» : en désignant les anciens comme «coupables de tous les maux», la jeunesse s'arroge une supériorité morale qui appauvrit la réflexion sur les causes profondes des déséquilibres économiques et écologiques. Ce discours simplificateur, amplifié par les médias et les mouvances populistes, «dépolitise le débat en opposant stérilement les nouveaux et les anciens, sans offrir de véritable horizon collectif». La rupture intergénérationnelle devient, selon lui, «un dispositif symbolique qui piège les jeunes entre l'illusion de la table rase et la réalité d'une domination symbolique renouvelée». Les défis socio-économiques de la génération Z marocaine Au Maroc, M. Rezrazi souligne que cette fracture prend un relief particulier. La génération Z – née entre 1997 et 2012 – représente plus de 9,6 millions de personnes, soit 26,3 % de la population nationale (Haut-Commissariat au Plan, 2024). Pourtant, elle demeure l'une des plus exposées à la précarité : à la fin de 2025, 35,8 % des 15–24 ans étaient sans emploi, contre 12,8 % en moyenne nationale, et 15,2 % vivaient en sous-emploi. De plus, 39 % des jeunes Marocains de cette tranche d'âge sont classés NEET (ni en emploi, ni en éducation, ni en formation), dont un quart complètement détaché du marché du travail. Ces chiffres traduisent une vulnérabilité profonde. Face à un horizon restreint, nombre de jeunes canalisent leur frustration dans l'action numérique et sociale. Selon M. Rezrazi, «cet activisme né derrière les écrans se prolonge dans la rue, produisant des formes de mobilisation d'une intensité nouvelle». Sur le plan psychologique, ce discours de rupture alimente «un sentiment de puissance morale mêlé d'une fragilité identitaire et d'une peur de l'avenir». Beaucoup développent une «éco-anxiété accrue» et une impression d'impuissance politique. Sur le plan social, les liens intergénérationnels s'affaiblissent : la mémoire collective, jadis transmise par les anciens, se voit remplacée par une mémoire instantanée dictée par les flux numériques. «L'équilibre traditionnel entre transmission et innovation se défait, provoquant l'atomisation des appartenances», constate le chercheur. Ce déséquilibre ouvre un terrain propice au populisme, les plateformes numériques devenant des espaces de circulation virale où les émotions se monnayent. Selon M. Rezrazi, en s'appuyant sur les travaux du philosophe Byung-Chul Han, «la jeunesse est piégée dans un cycle de mobilisation permanente sans débouché institutionnel, où la psychopolitique numérique exploite les affects au détriment de la démocratie représentative». Vers un pacte intergénérationnel renouvelé Pour sortir de cette impasse, M. Rezrazi plaide pour l'instauration d'un nouveau «pacte intergénérationnel» fondé sur la reconnaissance mutuelle et la médiation symbolique. Il propose la création de «conseils intergénérationnels» réunissant jeunes et aînés autour de projets concrets, permettant d'articuler mémoire et innovation. L'éducation, selon lui, doit «cultiver une mémoire critique qui revisite le passé sans nostalgie ni rejet total». Sur le plan économique, les politiques publiques en matière de retraite, de logement ou d'emploi des jeunes devraient être envisagées comme «des investissements dans la cohésion sociale plutôt que comme des charges budgétaires». Enfin, M. Rezrazi estime que les outils numériques peuvent redevenir des instruments de continuité : «archives interactives, récits collaboratifs et projets culturels» pourraient contribuer à éviter «le double piège de la nostalgie paralysante et de la rupture stérile». L'auteur conclut que l'énergie contestataire de la jeunesse marocaine doit être réorientée vers un projet collectif. «Cette crise n'est pas une simple revendication juvénile, mais un phénomène psycho-politique complexe», avertit-il. Les souffrances légitimes – chômage, inégalités, crise écologique – risquent d'être récupérées par les populismes ou par la logique algorithmique du marché attentionnel. À l'inverse, un contrat social fondé sur la mémoire partagée et le désir d'avenir pourrait transformer cette tension en force créatrice. Selon M. Rezrazi, «la génération Z marocaine peut devenir un acteur central d'un nouvel équilibre social et politique, à condition que son énergie soit convertie en projet collectif plutôt qu'en rupture stérile». La cohésion nationale dépend dès lors de la capacité des générations à dépasser la «ruse psychopolitique» qui les oppose : le passé, loin d'être un fardeau, redeviendrait une ressource, et la jeunesse, au lieu de détruire pour exister, contribuerait à bâtir le sens commun de demain.