Jusqu'au 8 novembre 2025, la galerie casablancaise Loft Art Gallery accueille les récentes œuvres de l'artiste. Nommée « Casablanca Imaginiste », l'exposition dévoile une nouvelle facette (encore une !) du peintre. Une psychographie de Casablanca, une relecture créative d'un artiste atteint d'une folie constructive. Une reconnaissance large mais anormalement tardive, à l'instar de ses grands amis Mohamed Hamidi (disparu récemment) et Abderrahmane Rahoule. Une destinée combattue dans la sérénité, une ignorance hachée dans le bruit étouffé d'une fierté démesurée. Ghattas n'a cessé de produire dans le calme qui lui est connu, de faire de la discrétion son cheval de bataille. Aujourd'hui, à 80 ans, il est plus inventif que jamais, plus décidé à secouer le cocotier qu'auparavant. Il revient, deux années après son happening « Illumination » à la même galerie, frappant fort, le sourire teinté de joie malicieuse. On est tenté de dire que le travail de Ghattas ne choisit de parler qu'aux connaisseurs, qu'aux assoiffés de choses qui font réfléchir. Dans une autre vie, les plus grands saluent l'approche de l'artiste. Dans un article titré « un univers d'équilibre », l'écrivain Mohammed Khair-Eddine tranche : « Abdelkrim Ghattas est assurément l'un des meilleurs peintres marocains de la nouvelle génération. On lui doit des travaux d'une haute teneur technique. » La nouvelle génération d'il y a quarante années. Ghattas, casablancais inconsolable, découvre en premier les couleurs en admirant les tissages de sa tante. A l'école coranique, il peint sur sa planche. Son père est scaphandrier (d'où le nom de Ghattas ?) au port de Casablanca. Abdelkrim l'accompagne souvent en bord de mer et c'est le déclenchement d'une passion. A ce propos, il raconte en 2015 : « A cette époque, je voyais sur les quais quelques peintres Français. C'est comme cela que j'ai découvert la signification des mots chevalet, toile, pinceaux etc. Alors, je me suis débrouillé pour me procurer des couleurs et à la place des encres brunes généralement utilisées sur les planches du m'Sid, j'ai eu recours à des couleurs réelles. Cela dit, à la maison, la tante paternelle était tout le temps devant son métier à tisser. Elle créait des tapis. C'est en la regardant faire que j'ai compris assez vite l'agencement des tons. Elle dessinait aussi des formes alphabétiques arabes anciennes. Beaucoup plus tard, j'ai saisi la modalité des masses techniques. En 1966, je vis pour la première fois une exposition de Cherkaoui. Elle m'avait beaucoup impressionné. C'était le motif scriptural qui affleurait constamment au niveau de la couche picturale. Il travaillait exactement comme ma tante sauf que l'un isolait le motif sur la toile et que l'autre le diluait sur une surface plus importante, le tapis berbère. Après cela, c'est mon professeur de dessin qui m'encouragea à poursuivre mes études. » Arrivé à Paris en 1968 après des cours aux Beaux-arts de Casablanca, le jeune homme est émerveillé, les œuvres de Kandinsky et Vasarely le bouleversent. Au début des années 1970, il enseigne à son tour à Casablanca. Dans sa besace, des expositions à Paris et à Nice. L'identitaire, l'universel Abdelkrim Ghattas développe une douce folie. Repli sur ses pensées, il déploie un drap d'or et de soie, une œuvre allant de l'identitaire à l'universel. Grâce à l'actuelle exposition « Casablanca, Imaginiste », il frappe à la porte du Bauhaus pour une psychographie de sa ville natale. « Bauhaus », maison de construction fonctionnelle allemande juxtaposant le rejet de la tradition esthétique, une célébration du monde moderne. Ghattas s'y engouffre, réinventant la métropole, réitérant l'essence d'un talent en perpétuelle formation. Aux côtés des toiles, de petites sculptures paraissent comme fuyant le cadre limitatif d'un tableau. Une autre façon de rejeter la tradition esthétique. Abdelkrim plonge volontiers dans ces eaux, le scaphandre en moins. L'artiste célèbre SA jeunesse en convoquant les valeurs sûres du passé. En 1984, il réalise les décors du film de son ami Ahmed Yachfine « Cauchemar », repartant avec le prix du meilleur décor dans la catégorie longs métrages au deuxième Festival National du Film tenu à Casablanca. Il prend également part à des concours de sculpture sur neige aux Etats-Unis et au Canada. Il expose au Maroc, en France, en Irak, au Chili, au Koweït... bref, une œuvre qui sait voyager, trotter avec aisance. Dans une note de la galerie, sans autre effort, on peut lire : « Abdelkrim Ghattas fait partie de la première génération des étudiants à l'Ecole de Casablanca sous la direction de Farid Belkahia, et devient très proche des artistes pionniers qui réinventent leur culture avec des approches inédites : Melehi, Chabâa, Hamidi. Né dans la médina de Casablanca, dans une maison historique qui est aujourd'hui ornée d'une plaque de reconnaissance de l'artiste, (devenue Rick's Café) il intègre les Beaux-arts de Casablanca en 1964 et y passera quatre ans, avant de s'envoler vers les Beaux-arts de Paris. À son retour, l'artiste reprend le flambeau de Melehi, Toni Maraini, Bert Flint, Mohamed Chabâa et Jacques Azéma pour enseigner à son tour à l'école Casablancaise, aujourd'hui reconnue à l'international comme un laboratoire de création artistique autochtone. Défendeur du patrimoine marocain et de l'abstraction hard-edge, Abdelkrim Ghattas continue à explorer les thèmes d'abstraction géométrique et de chromatisme ultra-dynamique. » L'artiste aura connu plusieurs vies en une. Il triture la flamboyance, la conjugue dans des temps dont il est l'unique à détenir l'existence.