Alors que l'appareil militaire marocain se rapproche de l'industrie israélienne de l'armement, Rabat a parallèlement adopté une posture diplomatique singulière : l'année écoulée, des appareils de transport des Forces armées royales ont été autorisés à atterrir à l'aéroport Ben-Gourion afin d'acheminer une aide humanitaire destinée aux civils de Gaza — une possibilité qu'aucune autre capitale arabe n'a obtenue. «Israël espère rallier d'autres Etats arabes à une forme de coopération dont le Maroc a été l'illustration la plus aboutie, allant jusqu'à permettre l'acheminement d'aide humanitaire vers Gaza», a-t-on rapporté. Le site d'information israélien Haaretz a consacré une longue analyse à ce qu'il qualifie d'«amitié singulière» entre Rabat et Tel-Aviv. Au cœur de cette convergence stratégique : la vente d'armements, les exercices conjoints, l'aide humanitaire à Gaza et une volonté affichée, côté israélien, de «montrer que cette collaboration peut, indirectement, bénéficier aux Palestiniens». L'auteur souligne : «Israël mise sur le Maroc pour démontrer aux autres pays arabes les bénéfices d'un partenariat de défense, tout en donnant à voir un engagement parallèle dans l'aide à Gaza.» Une coopération militaire discrète mais régulière D'après IDRW, média indien spécialisé, les Forces armées royales s'apprêteraient à acquérir des tourelles blindées équipées, fabriquées par Elbit Systems, groupe israélien de défense, via le conglomérat indien Tata. Il s'agirait d'un nouveau jalon dans une série de contrats militaires déjà passés. Haaretz rappelle : «En février, le journal économique français La Tribune rapportait qu'Elbit avait remporté l'appel d'offres pour la fourniture de 36 systèmes d'artillerie ATMOS 2000, montés sur camions autonomes, pour un montant compris entre 150 et 200 millions d'euros (environ 1,6 à 2,1 milliards de dirhams marocains).» En avril, plusieurs médias marocains (dont Barlamane.com) ont mentionné des essais effectués sur le lance-roquettes PULS du même fabricant. Selon les données de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), Elbit représenterait déjà 11 % des acquisitions d'armes du Maroc, en tant que troisième fournisseur. Haaretz note encore : «L'été dernier, Israel Aerospace Industries aurait finalisé un contrat d'un milliard de dollars pour la vente d'un satellite au Maroc. De son côté, Rafael Advanced Defense Systems était en négociation pour vendre son système mobile de défense aérienne SPYDER.» Une aide humanitaire passée sous silence En parallèle de cette coopération militaire, le royaume a fait preuve d'une rare latitude diplomatique. Haaretz relève : «Tout au long de l'année passée, des avions de transport marocains ont atterri à l'aéroport Ben-Gourion pour acheminer des dizaines de tonnes de nourriture et de médicaments à destination des Gazaouis – aucun autre pays n'a bénéficié d'une telle autorisation.» Ce soutien humanitaire s'inscrivait dans un climat intérieur particulier, marqué par de vastes rassemblements pro-palestiniens. «Des dizaines de milliers de Marocains ont participé à des manifestations à travers le royaume», rapporte le journal. Il cite également la chercheuse Einat Levi, du Mitvim Institute, selon laquelle «les autorités tolèrent les protestations, qu'elles concernent le coût de la vie ou la guerre à Gaza.» Une ligne rouge semble toutefois avoir été franchie par des acteurs extérieurs : «En novembre 2023, Khaled Mechaal, alors chef du Hamas, est intervenu par visioconférence lors d'un rassemblement de soutien organisé par les islamistes marocains. Mais il a provoqué une vive réaction en appelant directement les Marocains à descendre dans la rue – un privilège qui revient exclusivement au roi.» Coopération bridée par la guerre et les extrêmes israéliens Si l'armée de défense d'Israël (Tsahal) a participé récemment à un exercice avec les forces américaines sur le sol marocain, la guerre relancée en mars à Gaza a mis un coup d'arrêt à plusieurs projets conjoints. Haaretz observe : «Le cessez-le-feu hivernal avait éveillé l'intérêt de plusieurs hommes d'affaires marocains, mais cet élan s'est éteint dès la reprise des hostilités.» Par ailleurs, la présence dans la coalition israélienne de figures de l'extrême droite, à l'instar de Bezalel Smotrich, ministre des finances, et d'Itamar Ben-Gvir, ministre de la sécurité nationale, est perçue comme un obstacle majeur. «Leurs noms sont associés aux communications officielles célébrant les accords avec Rabat, ce que les autorités marocaines ne sauraient avaliser», écrit le journal. Enfin, la question de Jérusalem demeure sensible. Le roi Mohammed VI, en sa qualité de président du Comité Al-Qods, suit avec attention les évolutions autour de l'esplanade des Mosquées. Haaretz souligne que «la politique israélienne de tolérance accrue envers les prières juives sur le Mont du Temple est mal perçue au Maroc.» Malgré la dégradation du climat diplomatique, les liens civils persistent. «Les délégations officielles, le tourisme et les échanges culturels continuent, portés par des racines historiques profondes», conclut Haaretz, qui rappelle que des centaines de milliers de Juifs ont autrefois vécu au Maroc.