Selon l'Association mondiale de l'acier (Worldsteel), les politiques de nationalisation adoptées récemment par certains Etats pourraient servir de levier stabilisateur face aux excédents chroniques qui minent l'industrie sidérurgique. Si cette orientation venait à se confirmer, elle pourrait conduire à un redéploiement stratégique de la production vers certains marchés émergents, au premier rang desquels le Maroc, mais également le Mozambique ou la Birmanie, où les capacités industrielles sont encore en gestation. La logique de rentabilité reléguée au second plan La décarbonation et les mécanismes du marché ne suffiront vraisemblablement pas à faire disparaître les capacités excédentaires dans la sidérurgie mondiale, a estimé cette semaine le directeur général de Worldsteel, Edwin Basson, à l'occasion du Forum mondial sur la dynamique de l'acier à New York. «Si vous m'aviez interrogé il y a cinq ans, j'aurais supposé que les exigences environnementales conjuguées aux pressions économiques conduiraient à une érosion progressive des capacités superflues. Mais les exemples récents de nationalisation, ou de formes voisines, laissent entrevoir une autre logique : celle d'un maintien délibéré de la production, porté par la volonté des Etats de préserver leur autonomie sidérurgique», a déclaré M. Basson en marge du colloque. En Europe et au Royaume-Uni, plusieurs gouvernements sont récemment intervenus pour reprendre le contrôle d'aciéries en difficulté, rompant ainsi avec la logique de sélection économique des décennies antérieures. M. Basson a identifié trois forces structurant l'avenir du secteur : l'exigence écologique, la question de l'emploi, et le critère d'efficience économique. «Jadis, la primauté revenait à l'efficience. Les sites déficients étaient appelés à disparaître ou à se transformer. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, car la volonté de relocaliser les productions, de réancrer les chaînes de valeur sur des territoires nationaux, et de préserver l'emploi a pris le dessus. Ce nouvel état d'esprit neutralise partiellement la logique économique», a-t-il précisé. Selon lui, l'effet d'entraînement du critère de rentabilité s'estompe à mesure que la considération environnementale gagne en prééminence. «Dès lors que l'intérêt national s'impose comme filtre dominant, l'argument d'efficience devient presque secondaire», a-t-il ajouté. Vers un déplacement du centre de gravité industriel Dans les économies dites avancées, telles que les Etats-Unis ou l'Union européenne (UE), les marges de regroupement industriel sont par ailleurs étroites en raison des législations sur la concurrence, ce qui entrave également les rapprochements transfrontaliers. En revanche, en Chine – où les objectifs du précédent plan quinquennal, visant à regrouper 60 % des capacités, ne sont pas encore atteints – et dans plusieurs économies émergentes, les possibilités de recomposition du tissu industriel demeurent significatives. Worldsteel anticipe que la moitié de la production mondiale d'acier continuera à reposer sur les hauts-fourneaux d'ici vingt ans, malgré l'élan donné à la transition écologique. L'offre mondiale de ferraille étant insuffisante, et les volumes disponibles de minerai de fer pré-réduit de haute qualité restant limités, un basculement complet vers des technologies alternatives demeure improbable à moyen terme. Dans l'UE, où la pression réglementaire s'accentue sous l'effet de la fiscalité carbone, l'approvisionnement énergétique constitue un facteur déterminant. «Il n'est pas anodin que la Scandinavie se soit imposée comme le foyer le plus avancé de la sidérurgie bas-carbone en Europe. Cette région bénéficie à la fois de ressources premières de qualité, de fer pré-réduit performant, et d'une énergie durable, indépendante du carbone. Il en va tout autrement dans d'autres zones du nord du continent, où les questions énergétiques s'imposent, et plus encore dans le sud, où se conjuguent pénurie énergétique et difficulté d'accès aux matières premières», a souligné M. Basson. Pour lui, l'Europe devra probablement infléchir certaines de ses politiques afin de permettre la survivance, pour quelques années encore, de procédés plus traditionnels. Par ailleurs, des avancées technologiques substantielles pourraient prochainement permettre aux hauts-fourneaux de réduire leurs émissions au niveau de celles obtenues par les fours électriques alimentés au gaz et à fer pré-réduit, soit environ 1,3 à 1,4 tonne de CO2 par tonne d'acier produite.