Au lendemain du dépôt au Congrès américain d'un projet de loi bipartite visant à désigner le polisario comme organisation terroriste étrangère, les éléments armés de ce dernier ont lancé plusieurs roquettes en direction de la ville d'Es-Semara, au sud du Maroc. Si les projectiles sont tombés en zone inhabitée, évitant des pertes humaines, le geste reste lourd de sens et de conséquences. C'est moins la portée tactique de l'opération que son opportunité, son ciblage et son timing qui interrogent. Car au-delà du simple acte de nuisance, se dessine un choix stratégique, voire une provocation calculée, qui pourrait bien se retourner contre ses auteurs. Les relais médiatiques algériens se sont réjouis de cette attaque, la célébrant comme un acte de bravoure. Face à un geste aussi lourd de conséquences diplomatiques, la réaction algérienne étonne par son insouciance apparente. Fuite en avant politique, absence de maîtrise des conséquences internationales, on se perd en conjectures. De leur côté, les médias marocains ont fustigé cet acte, le qualifiant d'irresponsable et insensé. Le régime algérien est-il soudain devenu suicidaire ? Il y a plusieurs hypothèses. Il faut de prime abord écarter l'erreur. Les entrées et sorties des camps de Tindouf étant rigoureusement encadrées par l'armée algérienne, la logistique d'une attaque armée implique au minimum une complicité, voire une possible assistance logistique. Il est possible que ce tir de roquettes ait été pensé comme un message interne, adressé à la jeunesse dans les camps, de plus en plus désabusée, pour raviver une flamme de résistance. La mise en scène du tir et sa couverture pourraient alors être conçues non pour l'opinion internationale, mais pour une cible médiatique régionale ou militante. Le fait que les roquettes soient tombées dans une zone inhabitée peut suggérer une volonté d'éviter des pertes civiles. Autre possibilité : une stratégie de démonstration de nuisance. Il s'agirait de rappeler que le polisario reste une force armée opérationnelle et qu'il pourrait devenir un acteur incontrôlable, notamment en cas de retrait de l'Algérie. On ne peut exclure le scénario plus désorganisé d'une initiative d'une faction rebelle dans le cadre d'une lutte de clans. Le communiqué de l'agence SPS n'aurait servi qu'à déguiser en action héroïque un acte incontrôlé. On pourrait aussi croire que le tir s'explique par la certitude que le projet Wilson ne sera pas adopté. Certains à Alger pourraient miser sur les complexités du système législatif américain ou sur les réticences de certains responsables au Département d'Etat. Mais même si ce projet ne devait pas aboutir, il n'en reste pas moins un précédent politique majeur. Pour la première fois, le polisario est nommément désigné dans un texte législatif comme un groupe potentiellement terroriste. Ce seul fait suffit à changer la perception du conflit. Il ouvre la voie à d'autres initiatives du même type, dans d'autres pays. En ciblant Es-Semara, le polisario vient de démontrer qu'il n'est pas un acteur politique en quête de solution, mais une entité armée prête à employer des méthodes pour maintenir un conflit artificiellement actif. Quant à l'Algérie, en apportant une couverture logistique et médiatique à ce type d'action, elle risque de s'exposer, tôt ou tard, à des interpellations juridiques sur sa responsabilité dans des actes menés depuis son propre sol contre un Etat tiers. Lire : Tirs contre Smara : l'Algérie responsable, l'«alps» coupable Il est possible que le tandem Algérie-polisario cherche sciemment l'escalade. Lancer des roquettes, même de manière apparemment «contrôlée», peut être interprété comme un geste de défi à l'égard de la communauté internationale. Ce type de comportement pourrait viser à provoquer une réaction militaire marocaine d'envergure, espérant internationaliser le conflit et susciter une intervention diplomatique à chaud. Enfin, cette action peut avoir été une tentative de susciter une plainte du Maroc au Conseil de sécurité. Il s'agit tout de même d'une attaque à l'aide d'un armement lourd frappant une zone civile. L'Algérie, actuellement membre non permanent du Conseil, serait idéalement positionnée pour «souffler sur les braises», tout en prétendant comme à son habitude défendre des principes. Alger s'attacherait vraisemblablement à souligner le contexte de «guerre de libération», et convoquerait la panoplie de poncifs dont la diplomatie algérienne use sans retenue. But ultime : déplacer le débat du terrain sécuritaire au terrain politique, réintroduire la question du Sahara marocain parmi les dossiers «urgents» de l'ONU et redonner un souffle médiatique au narratif victimiste du polisario. Si tel était le plan «diaboliquement habile» du régime algérien, il souffre de deux défauts majeurs : il présume excessivement de l'impulsivité du Maroc, qui en a vu d'autres, mais surtout il expose l'arroseur à être copieusement arrosé car, dans un tel cas de figure, Alger serait directement accusé de complicité, voire de commandement, dans la matérialisation de l'attaque sur Es-Semara. En tout état de cause, la responsabilité du régime algérien est engagée. Les tirs sont la preuve d'un engagement total de l'Algérie aux côtés du polisario dans la stratégie de confrontation sur le terrain. Ce choix est risqué. Il place Alger en co-belligérant de fait, et le rend comptable des actes de guerre menés par des bandes armées hébergées sur son territoire. Selon toute vraisemblance, étant donné la portée maximale des roquettes, le tir sur Es-Semara a dû être lancé dans la zone à l'est du mur de défense. Comme ce n'est pas la première fois que des actions terroristes sont lancées depuis cette zone, le statut de celle-ci, bien qu'il soit garanti par l'accord avec la Minurso, devient problématique. Des voix s'élèvent pour en réclamer l'occupation, mais les actions du Maroc ne sont pas dictées par l'émotion et il sait attendre, comme on l'a vu à Guerguerate. La stratégie du Maroc se distingue par un mélange de retenue tactique et de mobilisation stratégique. Les autorités marocaines ont choisi de ne pas communiquer sur l'attaque, conformément à une pratique constante. Mais cet apparent silence n'est pas synonyme d'inaction. Au contraire, Rabat inscrit cet événement dans une séquence diplomatique plus vaste, où l'objectif n'est pas seulement de neutraliser les capacités de nuisance du polisario, mais de le délégitimer durablement sur la scène internationale. À cet égard, la proposition du député Joe Wilson trouve ici un terrain d'illustration éclatant. Car il ne s'agit pas d'un simple tir isolé ou d'une erreur, le polisario persiste et signe : Es-Semara et Mahbes ont déjà été visées à plusieurs reprises, et cette récurrence ne peut être interprétée que comme une volonté persistante de cibler les civils. La guerre «psychologique» que tente de mener le polisario se manifeste par des actes qui peuvent sans hésitation être qualifiés d'agressions terroristes. Pour la diplomatie marocaine, il s'agit de transformer chaque provocation en argument de fond devant l'opinion internationale. L'attaque de Es-Semara doit devenir un élément à charge contre l'Algérie. La seule capacité de nuisance de la diplomatie algérienne au Conseil de sécurité réside dans la parole : elle n'a ni la capacité ni les soutiens nécessaires pour infléchir le cours de l'histoire. La position marocaine, fondée sur une proposition d'autonomie largement jugée crédible et sérieuse, trouve dans ces événements une légitimation supplémentaire.