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«La liberté d'expression ne saurait servir de paravent à la lâcheté intellectuelle ou à la cruauté délibérée» : l'essentiel du grand jugement rendu au Canada contre le fugitif diffamateur Hicham Jerando
La Cour supérieure du Québec a infligé à Hicham Jerando, vidéaste installé à Montréal, une condamnation pécuniaire de 155 000 dollars canadiens (près de 1,3 million de dirhams marocains) pour avoir gravement diffamé l'avocat marocain Adil Saïd Lamtiri, en l'accusant publiquement et sans preuve de corruption, de blanchiment d'argent et de liens mafieux. Le jugement, rendu le 14 juillet (réf. 500-17-125595-234) et consulté par Barlamane.com, qualifie ces propos de «fantaisies diffamatoires sans ancrage factuel», largement amplifiées par la viralité numérique. Diffusion répétée de contenus diffamatoires De mai 2023 à février 2025, M. Jerando, agissant sous le pseudonyme «Tahadi», a diffusé à grande échelle plusieurs vidéos sur les plateformes YouTube, TikTok et Facebook, accusant Me Lamtiri, avocat inscrit au barreau de Casablanca depuis 1995, d'être «un corrompu notoire», «un maître du blanchiment» ou encore «un complice de la mafia corse». Aucune preuve n'est venue étayer ces propos, que le tribunal qualifie de «spécieux» et de «hautement destructeurs». Une injonction interlocutoire avait été prononcée en juillet 2023, enjoignant à M. Jerando de supprimer l'ensemble des contenus incriminés. Il ne s'y est pas conformé, entraînant une condamnation pour outrage au tribunal en janvier 2024. Quelques jours avant l'ouverture du procès, une nouvelle série de vidéos a été mise en ligne, renforçant la gravité des faits reprochés. Une faute aggravée par le refus de comparution Le jugement, signé par l'honorable Horia Bundaru, juge de la Cour supérieure (J.C.S.), constate un «contradictoire inexistant» : M. Jerando ne s'est pas présenté à l'audience, refusant de justifier ses accusations. La magistrate y voit un comportement révélateur d'aveu implicite. «La preuve accablante révèle que Jerando a propagé des faussetés glanées auprès de sources isolées, sans vérification, avec l'intention de nuire» (page 2). Le défendeur a lui-même admis, lors d'un interrogatoire antérieur, que «le fait que ces publications puissent nuire à Lamtiri ne [le] dérangeait pas» (page 5). Ce mépris affiché pour les conséquences de ses paroles a constitué l'un des fondements de la condamnation. Atteinte morale et réparation pécuniaire Le tribunal a estimé que les attaques subies par Me Lamtiri avaient entraîné un effondrement moral, attesté par sa famille : isolement social, crises d'angoisse, détresse psychique. Visionnées près de 1,6 million de fois, les vidéos ont suscité une avalanche de commentaires haineux, tels que «cobra», «pendez-le !» ou «voleur véreux». Pour y faire face, Me Lamtiri a dû recourir à une agence de sécurité privée, SecurMaghreb, entre mai 2023 et janvier 2025. Les factures détaillées (pièces P-30 et P-31A) ont permis au tribunal de lui accorder un remboursement intégral de 12 300 dollars canadiens. Cette somme s'ajoute aux 70 000 dollars octroyés pour le préjudice moral et aux 85 000 dollars à titre de dommages punitifs, portant le total à 167 300 dollars (environ 1,44 million de dirhams marocains). Le rejet d'un prétendu combat d'intérêt général M. Jerando affirmait œuvrer au nom d'une supposée «équipe Tahadi», composée — selon ses dires — de neuf membres dont des magistrats. Le tribunal n'a relevé aucune preuve de l'existence d'un collectif structuré ni d'un quelconque engagement institutionnel. L'argument d'intérêt public a été écarté en ces termes : «La démarche relève de la persécution individuelle, non du combat contre des dysfonctionnements systémiques» (page 7). Le jugement démonte également les procédés de désinformation employés : présentation tronquée de convocations disciplinaires annulées (pièce P-18), méconnaissance des décisions officielles de l'Ordre des avocats (pièce P-19), et récupération de documents sortis de leur contexte pour en faire des preuves de culpabilité inexistante. Le tribunal note que la viralité algorithmique des publications a engendré une diffusion massive : onze vidéos publiées sur YouTube en 2023 ont cumulé 927 392 visionnages, auxquelles se sont ajoutées six autres vidéos en 2025 totalisant 190 185 vues. Sur TikTok, 7 publications en 2023 ont été vues 412 000 fois, et une vidéo en 2025 a atteint 48 000 vues (pièces P-32, page 10). Ces chiffres illustrent la gravité de l'atteinte, dans un climat d'hostilité numérique que le jugement qualifie de «harcèlement institutionnalisé». La liberté d'expression strictement encadrée Faisant référence à plusieurs précédents jurisprudentiels, notamment Prud'homme c. Prud'homme (CSC 2002), Bou Malhab c. Diffusion Métromédia (CSC 2011) et Syndicat canadien de la fonction publique c. Monette (QCCA 2024), le jugement rappelle les limites juridiques au droit d'expression. «La liberté d'expression, bien que fondamentale, est balisée par le droit à la réputation. La témérité numérique n'absout pas la faute civile» (page 3). Et plus sévèrement encore : «La liberté d'expression ne saurait servir de paravent à la lâcheté intellectuelle ou à la cruauté délibérée» (page 3). Le tribunal souligne que la justice ne sanctionne pas l'opinion mais «la falsification déguisée en information» (page 3), opérée ici avec des visées manifestement malveillantes. En annexe, les extraits des vidéos sont reproduits intégralement et confrontés aux documents légaux (ex. : attestation de régularité fiscale, classement sans suite par l'Ordre des avocats) afin d'illustrer «le fossé entre l'allégation et la vérité juridique» (page 12). Dimension transnationale et exécution forcée La décision prévoit expressément des mesures d'exécution au-delà des frontières canadiennes : saisie des actifs numériques affiliés à M. Jerando, blocage des revenus générés via YouTube, TikTok ou Facebook, et procédure d'exequatur au Maroc, en s'appuyant sur la Convention de Lugano. Elle écarte toute analogie avec les protections juridiques des lanceurs d'alerte, rappelant que le défendeur a agi en solitaire, en monétisant ses contenus dans une logique que la magistrate qualifie de «délinquance algorithmique». Enfin, la Cour oppose deux régimes de vérité : celui de la rumeur numérique, fondée sur des sources anonymes, la viralité algorithmique et la présomption de culpabilité, à celui de la vérité judiciaire, appuyée sur des témoignages sous serment, le contradictoire procédural et le principe de non-responsabilité établi dans la pièce P-19. Un avertissement solennel aux détracteurs en ligne Dans sa conclusion, la Cour adopte une formule à portée pédagogique : «La justice ne se mesure pas aux clics, mais à la rigueur des preuves. Ce qui s'oublie sur les réseaux sociaux s'inscrit dans le marbre des jugements» (page 12). Le jugement devient exécutoire à compter du 15 août 2025, sauf appel introduit d'ici le 14 août. Une requête distincte pourrait être déposée pour les dépens et frais d'avocat, au titre de l'article 477 du Code de procédure civile du Québec (C.p.c.).