Vingt-cinq enseignants marocains ont pris part cette semaine un parcours pédagogique à travers Auschwitz, le ghetto de Varsovie et d'autres hauts lieux de la mémoire juive en Pologne, dans le cadre d'un programme présenté comme le premier du genre à associer des formateurs israéliens et arabes autour de l'enseignement de la Shoah dans le monde arabe. Conçu par le réseau régional WeAreMENA, en partenariat avec l'Association marocaine Mimouna, le programme entend doter ces éducateurs d'outils leur permettant d'aborder la mémoire de la Shoah en langue arabe, à partir d'un ancrage culturel spécifiquement nord-africain. Ce projet pédagogique, baptisé The Journey From Hate to Hope, se déroule sur une semaine entre Berlin, Cracovie et Varsovie. Selon Abdelhak El Kaoukabi, directeur de l'éducation au sein de Mimouna, enseigner la Shoah au Maroc constitue «un acte de responsabilité morale et culturelle» ; il a souligné que cette transmission repose sur «le dialogue interculturel et la clarté éthique». Une formation pensée pour les enseignants arabophones Le groupe, composé exclusivement de Marocains, est accompagné par une équipe mixte de formateurs israéliens et marocains — historiens, guides spécialisés et pédagogues — ayant longuement préparé le parcours, traduit les documents, et harmonisé les approches didactiques. George Stevens, éducateur installé à Sderot et fondateur de WeAreMENA, affirme avoir voulu «sortir de l'ignorance institutionnalisée qui entoure la Shoah dans une partie du monde arabe». Il précise que le programme ne se limite pas à la distribution de manuels : «Nous cherchons à transmettre une connaissance approfondie, ancrée dans l'histoire et portée par un lien personnel avec les lieux et les récits». L'équipe éducative comprend à la fois des musulmans et des juifs, des Marocains et des Israéliens. «Les enseignants entendront une pluralité de voix, issues d'expériences vécues très différentes, y compris celle de ma propre famille», indique Stevens, dont les aïeux ont péri dans les camps. Une démarche portée par le Maroc L'Association Mimouna, fondée par de jeunes musulmans marocains, œuvre depuis plus d'une décennie à la préservation de la mémoire juive du Maroc et à la promotion d'un dialogue judéo-musulman. Dès 2011, elle avait organisé à Rabat la première conférence consacrée à la Shoah dans le monde arabe. Depuis, elle accompagne l'introduction de cette thématique dans les programmes scolaires et participe aux commémorations officielles. M. El Kaoukabi rappelle que cette orientation est portée par les plus hautes autorités : «Le roi Mohammed VI a affirmé que la Shoah demeure l'un des chapitres les plus sombres de l'histoire humaine et doit être enseignée. Nous poursuivons cette vision, pour faire comprendre à nos élèves que la vérité, l'empathie et le courage comptent». Les enseignants ayant rejoint ce premier cycle de formation sont en majorité issus d'Essaouira, ville emblématique du vivre-ensemble judéo-musulman. Ils ont suivi plusieurs mois de préparation en ligne, abordant l'histoire du judaïsme nord-africain, l'antisémitisme et les enjeux de transmission. Tous les supports ont été conçus en arabe et adaptés au public marocain. «Rien ne doit se perdre dans la traduction», insiste M. El Kaoukabi. Un projet fragilisé par le contexte régional Le lancement du programme intervient dans une conjoncture diplomatique délicate, marquée par l'enlisement des relations israélo-arabes depuis la guerre entre Israël et le Hamas. «Nous avons soumis notre dossier six jours avant le déclenchement du conflit. Nos partenaires marocains sont restés constants dans leur engagement, mais sur le plan institutionnel, tout est devenu plus difficile», a indiqué un organisateur de l'événement. Malgré ces obstacles, le projet a pu se concrétiser, grâce au soutien de la Claims Conference, du réseau scolaire d'Essaouira et même de la municipalité. «Il n'y a aucun participant israélien dans le groupe d'enseignants», précise M. El Kaoukabi. «Mais les guides et formateurs sont israéliens, et nous avons été transparents sur ce point dès le départ. Notre politique est simple : aucun sujet tabou. Nous sommes là pour apprendre, questionner et transmettre». Une ambition régionale à long terme Le cofondateur de WeAreMENA, Tom Vizel, espère que cette première expérience pourra servir de modèle à d'autres formations similaires dans la région MENA. Stevens, récemment invité à présenter le programme à la Chambre des lords à Londres, dit avoir été frappé par les préoccupations partagées : «Des responsables britanniques m'ont confié qu'ils se heurtaient aux mêmes obstacles : dans les salles de classe, dès qu'ils abordent la Shoah, les élèves évoquent Gaza — et les enseignants se retrouvent désemparés». Selon lui, cette expérience va bien au-delà du Maroc : «Il s'agit d'offrir aux éducateurs les moyens, le langage et la confiance nécessaires pour enseigner avec rigueur — même quand cela dérange». Quant à M. El Kaoukabi, il estime que l'urgence est réelle : «Si nous ne formons pas les enseignants, nous ne toucherons jamais les élèves. Et si nous ne transmettons pas la vérité, nous risquons de revivre les mêmes drames».