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«L'excès de projets financés par la Chine en Afrique pourrait affaiblir l'autonomie du continent et réduire sa capacité de négociation», met en garde un rapport du PCNS
Première consommatrice mondiale d'énergie, la Chine se tourne vers l'Afrique pour sécuriser ses approvisionnements, tandis que le continent espère en tirer une transformation économique et sociale. Le Policy Center for the New South (PCNS) publie un rapport de Marcus Vinícius De Freitas qui analyse ce rapprochement en soulignant à la fois ses promesses et ses fragilités. Pékin confronté à l'épreuve de la dépendance L'essor économique de la Chine, qui a permis de sortir plus de 800 millions de personnes de la pauvreté, a été indissociable d'une consommation énergétique en croissance exponentielle. Comme le rappelle M. De Freitas, «la Chine est passée en 1993 du statut d'exportateur net de pétrole à celui d'importateur net, et en 2023 plus de 70 % de sa consommation pétrolière et près de la moitié de ses besoins en gaz étaient couverts par l'étranger». Cette dépendance nourrit une inquiétude stratégique profonde. L'ancien président Hu Jintao avait résumé cette vulnérabilité par l'expression du «dilemme de Malacca», en référence à ce détroit par lequel transite près de 80 % du pétrole importé par la Chine. Pour réduire ce risque, Pékin a multiplié les projets d'infrastructures : le gazoduc Chine–Asie centrale, inauguré en 2009, achemine le gaz du Turkménistan, de l'Ouzbékistan et du Kazakhstan ; le projet «Force de Sibérie», lancé en 2019, relie la Russie au nord-est de la Chine. À ces corridors terrestres s'ajoute une présence maritime accrue. Le rapport souligne que «la Chine a financé et développé des ports et infrastructures navales sur l'océan Indien, de Gwadar au Pakistan à Hambantota au Sri Lanka, jusqu'à Lamu au Kenya». Officiellement conçus pour le commerce, ces projets servent aussi d'appui logistique et d'assurance pour ses routes énergétiques. Parallèlement, Pékin a engagé une transition énergétique d'une ampleur exceptionnelle. Selon M. De Freitas, «la Chine a représenté près de la moitié des ajouts mondiaux de capacités renouvelables en 2022 et s'est affirmée comme chef de file des technologies de la transition énergétique». Cette politique culmine avec l'annonce de l'objectif de neutralité carbone en 2060, qui combine recherche d'autonomie et leadership climatique. L'Afrique, entre abondance et pénurie L'Afrique détient environ 125 milliards de barils de réserves prouvées de pétrole (7,3 % du total mondial) et 16 000 milliards de mètres cubes de gaz (7,6 % du total). À cela s'ajoutent des ressources solaires et hydrauliques colossales. Le barrage d'Inga, en République démocratique du Congo, pourrait à lui seul produire près de 40 gigawatts, soit deux tiers de la capacité installée de tout le continent. Mais cette richesse coexiste avec une pénurie criante. M. De Freitas observe que «plus de 600 millions d'Africains n'ont pas accès à l'électricité, ce qui constitue moins un problème technique qu'une urgence de développement». L'absence d'énergie abordable et fiable freine l'industrialisation, accentue les inégalités sociales et empêche la pleine réalisation des ambitions de l'Agenda 2063, le plan stratégique de l'Union africaine. La Chine a saisi cette occasion pour proposer une coopération qu'elle présente comme respectueuse de la souveraineté. Elle a développé des projets emblématiques : en Angola, des prêts adossés aux recettes pétrolières ont financé routes, chemins de fer et hôpitaux après la guerre civile ; au Nigeria, des entreprises chinoises ont investi dans des raffineries et des zones industrielles ; au Kenya, la centrale solaire de Garissa, inaugurée en 2019, reste la plus grande installation photovoltaïque raccordée au réseau en Afrique de l'Est. Le président Xi Jinping avait affirmé lors du sommet Chine-Afrique de Johannesburg en 2015 que «la Chine travaillera avec l'Afrique à la mise en œuvre de dix grands plans de coopération, dont un plan pour le développement vert». Cet engagement, traduit en projets concrets mais avec de lourdes ardoises pour les capitales africaines, témoigne d'une volonté de dépasser la logique de l'extraction brute pour soutenir une transition énergétique africaine. Les fragilités d'un partenariat inégal Les risques de cette relation sont patents. L'endettement figure au premier rang des inquiétudes. Selon le rapport, «les financements chinois des infrastructures énergétiques ont, dans certains cas, aggravé la vulnérabilité de pays comme l'Angola, la Zambie ou l'Ethiopie». Les mécanismes de restructuration existent, mais l'opacité de certains accords alimente les soupçons de dépendance. La dimension environnementale et sociale soulève également des critiques. Plusieurs projets ont été lancés sans concertation suffisante ni étude d'impact rigoureuse. M. De Freitas avertit que «des normes écologiques insuffisantes ou des déplacements de communautés peuvent miner la légitimité de la présence chinoise». S'ajoute le risque d'une dépendance excessive. L'auteur met en garde contre «un excès de projets financés, construits et opérés par la Chine qui pourrait affaiblir l'autonomie africaine et réduire sa capacité de négociation». Pour contrer ce danger, il insiste sur l'importance de la montée en puissance des institutions régionales et des négociations exigeant transfert de technologies et clauses de contenu local. Une recomposition mondiale Cette coopération sino-africaine s'inscrit dans un monde énergétique en recomposition, marqué par l'affirmation d'un ordre multipolaire. Les Etats-Unis, l'Union européenne, l'Inde, la Turquie et les monarchies du Golfe rivalisent de propositions pour capter l'attention des pays africains. Mais la Chine met en avant une approche singulière. M. De Freitas rappelle que «la Chine met en avant un partenariat de long terme et une diplomatie du non-interventionnisme qui contrastent avec les conditionnalités traditionnelles de l'aide occidentale». La convergence de l'initiative chinoise des Nouvelles routes de la soie et de l'Agenda 2063 offre un cadre d'action inédit. Mais elle ne pourra réussir que si les engagements sont respectés. L'auteur conclut : «Ce partenariat doit être fondé sur la transparence, la durabilité et la confiance, faute de quoi il sera perçu non comme émancipateur mais comme néo-colonial». Au-delà des seuls hydrocarbures, l'avenir de la coopération pourrait inclure le nucléaire civil. Pékin, qui dispose de 58 réacteurs en service et 27 en construction, a investi 27 milliards de dollars en 2025 dans dix nouvelles unités. Pour l'Afrique, «l'énergie nucléaire pourrait offrir une stabilité que ne garantissent ni les énergies fossiles volatiles ni les renouvelables tributaires du climat», souligne M. De Freitas. À terme, l'auteur esquisse une perspective ambitieuse : «Si la Chine et l'Afrique parviennent à conjuguer leurs intérêts, leur partenariat ne sera pas seulement un succès bilatéral, mais un pilier d'un ordre mondial plus équitable».