Entre prudence et progrès successifs, le Sahara renaît sur la scène diplomatique comme un territoire d'équilibres en maturation. Washington réaffirme son inclination pour le plan d'autonomie marocain tandis que Rabat étend l'assise de son argumentaire politique et territorial. L'Algérie, partagée entre solidarité proclamée et inquiétude stratégique, semble redouter le poids d'un conflit qu'elle ne maîtrise plus tout à fait. Quant à la Minurso, elle demeure cette fragile sentinelle d'une paix suspendue, dont le Crisis Group retrace les dernières oscillations. La question du Sahara, figée depuis des décennies mais ranimée depuis 2020, semble connaître une inflexion délicate où la diplomatie tente, entre prudence et calcul, de rouvrir un espace pour la négociation. Selon le Crisis Group, les Etats-Unis affichent désormais leur appui au plan d'autonomie présenté par le Maroc au moment où Rabat apparaît comme l'acteur le plus stable et le plus structuré face à un Front Polisario divisé et une Algérie prisonnière de ses propres contradictions. L'étude avertit toutefois que des courants souhaiteraient la dissolution de la Mission des Nations unies (Minurso), une mesure qui, selon les auteurs, «mettraient fin à tout espoir de reprise politique». Le rapport Crisis Group Middle East and North Africa Briefing N°96, Alger/Bruxelles/Tindouf/Rabat, 20 octobre 2025 souligne que «le Maroc exerce un contrôle effectif sur la majeure partie du Sahara et a su y installer des structures administratives et économiques pérennes» alors que le Front Polisario, confiné aux zones situées au-delà du mur de défense, peine à maintenir une cohésion politique réelle. Les experts constatent que, malgré la rhétorique guerrière entretenue depuis la rupture du cessez-le-feu de 2020, les affrontements restent limités, «le royaume privilégiant la maîtrise du terrain à la confrontation ouverte». L'étude observe que la diplomatie marocaine a, ces dernières années, accru sa visibilité internationale et rallié un nombre croissant de soutiens au plan d'autonomie, désormais considéré par de nombreuses chancelleries comme «la base la plus réaliste et la plus crédible pour une solution durable». Washington entre ambiguïté et pragmatisme Aux Etats-Unis, la politique saharienne demeure marquée par une certaine ambiguïté. Sous la présidence de Joe Biden, la reconnaissance de la souveraineté marocaine annoncée par M. Trump en décembre 2020 n'a jamais été annulée mais les autorités américaines ont évité d'en faire une doctrine publique. Le rapport note que «le secrétaire d'Etat Marco Rubio a réaffirmé en avril que le plan d'autonomie marocain constituait la seule base de règlement possible, tout en insistant sur la nécessité d'une solution authentique et mutuellement acceptable». Dans le même temps, le représentant onusien Staffan de Mistura reprenait presque mot pour mot les termes américains devant le Conseil de sécurité, évoquant une «autonomie véritable [qui prendrait] une forme crédible d'autodétermination». Dans la capitale américaine, des cercles influents ont proposé la fermeture pure et simple de la Minurso, estimant qu'elle «n'a plus de raison d'être dans un contexte où le plan d'autonomie s'impose comme réalité politique». Ces appels rencontrent un certain écho auprès de responsables marocains convaincus que la mission onusienne est devenue un outil d'immobilisme. Face à ces perspectives, plusieurs diplomates européens rappellent que «la Minurso constitue l'unique filet de sécurité entre les belligérants et la reprise du conflit à grande échelle». La disparition de cette mission, ajoutent-ils, exposerait la région à un engrenage militaire incontrôlable. Le rapport souligne que «le Maroc, fort de ses alliances régionales et du soutien discret de puissances occidentales, pourrait être tenté d'étendre son contrôle vers la zone tampon», ce qui entraînerait inévitablement une réaction algérienne. À Bruxelles et à Madrid, les chancelleries redoutent cette dérive mais reconnaissent aussi que Rabat agit avec une prudence calculée, consciente qu'un affrontement ouvert mettrait en péril ses acquis économiques et diplomatiques. Le Front Polisario fragilisé et la constance marocaine Parallèlement à ces évolutions, le Front Polisario connaît un affaiblissement structurel. L'étude souligne que «la direction du Front, vieillissante, peine à maintenir la cohésion des jeunes générations réfugiées dans les camps de Tindouf». Les frustrations sociales et la stagnation politique alimentent une radicalisation rampante. Certains cadres réclament la reprise totale de la guerre, estimant que la voie diplomatique n'a produit «aucun résultat tangible depuis trois décennies». Le rapport cite un responsable polisarien déclarant que «le désespoir pousse les jeunes à envisager le sabotage ou la lutte suicidaire», expression d'une colère nourrie par l'isolement et la pauvreté. Face à cela, le Maroc projette une image de constance et de méthode. Le texte observe que «Rabat a misé sur la stabilité, la diplomatie économique et l'ancrage international de sa cause, transformant le Sahara en vitrine d'investissement et de développement». Le royaume a encouragé la création de zones industrielles, d'infrastructures routières et portuaires, et multiplié les partenariats avec des acteurs africains et européens dans les domaines de l'énergie solaire et de l'hydrogène vert. Ces projets ont permis à plusieurs pays d'arrimer leurs intérêts économiques à ceux du Maroc, asseyant sa position diplomatique. Dans les capitales occidentales, cette stratégie nourrit un certain respect. Un diplomate européen cité par le rapport admet que «le Maroc a su faire du Sahara une question d'aménagement et de prospérité, là où le Front Polisario demeure prisonnier d'un discours de libération dépassé». Cette approche pragmatique a favorisé la reconnaissance progressive du plan d'autonomie par de nombreux Etats africains et arabes, tandis que l'Algérie, affaiblie par des tensions internes et par sa dépendance gazière, peine à maintenir une ligne cohérente. Le rapport note que «les autorités algériennes, craignant une confrontation directe, ont limité leur soutien militaire au Polisario à des livraisons d'armes défensives et à un appui logistique discret». Tensions régionales et équilibres fragiles Le cessez-le-feu, rompu en 2020, n'a jamais été formellement rétabli. Les affrontements, sporadiques, se concentrent autour de Mahbes et Es-smara, sans que le Polisario ne parvienne à infliger de véritables pertes à l'armée marocaine. L'étude précise que «la supériorité technologique de Rabat, notamment l'usage de drones armés, limite considérablement la marge de manœuvre du Front». Ces frappes ciblées maintiennent une pression constante tout en évitant une escalade majeure. Les observateurs de la Minurso signalent que le Maroc respecte globalement la ligne de cessez-le-feu, tandis que le Front se contente de déclarations belliqueuses. Dans ce contexte, l'Algérie se trouve dans une position inconfortable. L'étude relève que «le gouvernement algérien, tout en soutenant verbalement le Front, redoute une guerre qui pourrait déstabiliser sa frontière sud et compromettre ses relations avec ses partenaires énergétiques». Les analystes estiment que le président Abdelmadjid Tebboune cherche à ménager une issue diplomatique tout en évitant de paraître céder à Rabat. En coulisse, Alger maintient une coopération militaire minimale avec le Front, mais refuse de lui livrer des armes sophistiquées susceptibles d'envenimer la situation. Le rapport note en outre que «le Maroc, grâce à une diplomatie maîtrisée, a su transformer le conflit en atout de légitimité nationale». La question saharienne reste au cœur de la cohésion intérieure du royaume et constitue, pour ses dirigeants, un vecteur d'unité autour du trône. La population, selon les observateurs, adhère majoritairement au plan d'autonomie, perçu comme un compromis honorable préservant la souveraineté du pays tout en accordant des prérogatives locales. Une scène internationale mouvante Sur le plan international, la position européenne demeure prudente mais évolutive. Le Royaume-Uni, en juin, a salué le plan marocain comme «le plus crédible et le plus pragmatique», tout en rappelant le principe d'autodétermination. Le rapport souligne que «Londres a soigneusement évité de reconnaître la souveraineté marocaine, mais son langage diplomatique marque une inflexion notable». De même, le Portugal, le Ghana et le Kenya ont récemment adopté des formulations similaires, mettant en avant «le réalisme du compromis marocain». Ces soutiens confortent l'impression d'un glissement progressif du consensus international en faveur de Rabat. Les Nations unies, pour leur part, s'efforcent de maintenir la Minurso malgré la lassitude des bailleurs. L'étude mentionne que «la mission onusienne, bien que critiquée, reste essentielle pour la surveillance du cessez-le-feu et la stabilité régionale». Le secrétaire général Antonio Guterres a exhorté les parties à reprendre le dialogue direct, tandis que son envoyé personnel multiplie les consultations. Selon le rapport, Staffan de Mistura «entend relancer des discussions fondées sur une autonomie crédible et une autodétermination réelle», reprenant les mots de Washington dans une tentative de convergence diplomatique. Le texte avertit cependant que «sans engagement fort des Etats-Unis, le processus risque de s'enliser une fois de plus». Le Crisis Group invite l'administration américaine à clarifier sa position, à soutenir la Minurso et à éviter toute mesure susceptible d'aggraver la polarisation. Les experts rappellent que «la désignation du Front Polisario comme organisation terroriste étrangère aurait pour effet de paralyser l'aide humanitaire et d'isoler davantage les réfugiés de Tindouf». Une telle décision, jugée contre-productive, pourrait également radicaliser les factions les plus jeunes du mouvement et servir les intérêts des groupes extrémistes opérant dans la bande sahélo-saharienne. Les ressorts d'une stabilité marocaine Le rapport s'attarde longuement sur les transformations internes du Sahara sous administration marocaine. Il indique que «Rabat a encouragé la création de conseils régionaux élus, intégrés aux institutions nationales, afin de donner une visibilité politique aux représentants locaux». Les efforts d'infrastructure – routes, ports, écoles, hôpitaux – témoignent d'une volonté d'ancrer durablement le territoire dans la dynamique du royaume. Les observateurs notent que «ces réalisations, combinées à une présence sécuritaire maîtrisée, ont réduit le risque de contestation locale». Parallèlement, la diplomatie marocaine a gagné en assurance. Le texte relève que «le Maroc dispose aujourd'hui de relais solides à Washington, à Londres et à Bruxelles, où son argumentaire est désormais perçu comme fondé sur la stabilité et la continuité plutôt que sur la confrontation». Dans les instances africaines, Rabat a également multiplié les partenariats, favorisant la reconnaissance implicite de son autorité sur le territoire. Le Crisis Group admet en conclusion de son analyse que «le statu quo, bien que fragile, profite à court terme au Maroc, qui a su combiner prudence militaire, diplomatie économique et fermeté politique». Il avertit néanmoins que «l'absence d'un cadre de négociation formel pourrait, à terme, compromettre ces acquis et rouvrir la voie à une confrontation régionale». Pour prévenir cette dérive, le rapport appelle à une reprise rapide des discussions sous l'égide de l'ONU, soutenue par Washington et les capitales européennes, en s'appuyant sur le plan d'autonomie marocain comme fondement d'un compromis durable. Le texte termine sur une mise en garde mesurée : «Le Sahara reste un territoire d'équilibres fragiles, où la paix dépend moins des discours que de la persévérance diplomatique». Pour le Maroc, cette persévérance s'exprime dans la continuité d'une politique sérieuse où la stabilité et la légitimité s'imposent, malgré les incertitudes, comme les dernières garanties d'un avenir pacifié pour une région troublée.