Sur le marché de l'avocat, le Maroc fait partie des nouveaux acteurs émergents. Le Royaume bouscule aujourd'hui l'Afrique du Sud dans la hiérarchie des principaux exportateurs africains... En 2024/2025, le Maroc a supplanté l'Afrique du Sud pour devenir le second exportateur africain d'avocats. C'est ce qu'indique un rapport du groupe bancaire néerlandais Rabobank publié à la fin du mois de juin. D'après les données, le Royaume chérifien a expédié 100 000 tonnes d'avocats durant ladite saison, soit 67 % de plus qu'un an plus tôt, et un nouveau record dans l'histoire de la filière. Pendant ce temps, les ventes de l'Afrique du Sud étaient inférieures à 80 000 tonnes, même si, d'une année sur l'autre, le volume expédié a augmenté de 9 %. Avec cette performance, le Maroc a pris de l'avance sur les prévisions optimistes formulées en 2023 par Fruitrop. Le magazine de référence dans le secteur des fruits tropicaux et subtropicaux du Cirad anticipait un doublement du potentiel d'exportation à 100 000 tonnes d'avocats d'ici 2027 ou 2028. Pour la petite histoire, l'avocat, l'or vert du monde, a pour berceau le Mexique. C'est précisément dans la région du Michoacán que les premières cultures ont débuté. Il ne comptait, selon les premières statistiques agricoles du pays, qu'environ 3 000 ha dans les années 1930. La diffusion de meilleures techniques culturales (greffage) et de variétés améliorées comme le Fuerte a provoqué un mouvement de croissance les décennies suivantes, mais d'une ampleur relativement limitée, car le verger n'était qu'à moins de 10 000 ha à la fin des années 1950. Le décollage de l'industrie s'est amorcé par la suite. D'une part, la crise de production survenue aux Etats-Unis dans les années 1960 a conduit les pépiniéristes californiens à trouver des marchés de diversification au Mexique pour leurs plants de Hass, variété découverte dans les années 1930. Cette variété est vite devenue la référence dans le pays de par sa résistance en post-récolte, son rendement et ses caractéristiques gustatives. D'autre part, le gouvernement mexicain a mis en place, au début des années 1970, une politique de développement de la fruiticulture, notamment au Michoacán. Ce plan a été également l'un des moteurs de vulgarisation de l'avocat vers 1973, porté par CONAFRUT (Comisión Nacional de Fruticultura). Il prévoyait notamment l'octroi d'une assistance technique, de crédits bonifiés du FIRA (Fideicomisos Instituidos en Relación con la Agricultura). Le contexte est devenu par la suite favorable au développement de la culture. Un nombre croissant de petites exploitations issues de la réforme agraire de 1915 se sont lancées dans cette industrie. Le verger a alors connu une expansion rapide, passant à environ 50 000 ha au milieu des années 1970, puis à 100 000 ha dans les années 1980, le Michoacán devenant le premier pôle de production du pays. Et l'entrée en vigueur de l'ALENA, fin janvier 2007, a engendré un mouvement de croissance exponentielle de la filière, d'autant que des actions puissantes de promotion de ce fruit ont démarré début 2000 aux Etats-Unis sous la houlette de l'APEAM (Asociación de Productores y Empacadores Exportadores de Aguacate de México), du MHAIA (Mexican Hass Avocado Importers Association, basée aux USA) et du HAB (Hass Avocado Board). Lire aussi | Culture d'avocats: producteurs et exportateurs se frottent les mains Aujourd'hui, cette culture est devenue une mine d'or. Selon FAOSTAT, la production d'avocats a augmenté d'environ 1 million de tonnes métriques, atteignant 8,05 millions de tonnes métriques en 2020. Le Mexique est le premier pays producteur d'avocats au monde, avec une superficie d'environ 224 422 acres produisant plus de 2,3 millions de tonnes en 2020. Parmi les autres principaux producteurs d'avocats figurent des pays tropicaux tels que la Colombie, le Pérou, la République dominicaine et l'Indonésie. Et dans le monde, l'Amérique du Nord est la plus grande région en termes de consommation. Par exemple, les Etats-Unis sont l'un des plus grands consommateurs d'avocats au monde. Selon l'USDA (Département de l'Agriculture des Etats-Unis), la disponibilité annuelle par habitant de l'avocat est supérieure à 8 livres, soit près de trois fois plus que celle de l'Union européenne. Par ailleurs, depuis quelques années, d'autres parties du monde sont entrées dans la course à l'avocat. Sur le continent, des pays comme le Maroc et le Kenya se sont démarqués dans la production de la culture d'avocats. Une priorité pour le Maroc Si les premiers vergers à vocation export n'ont été installés qu'au début des années 2000, le Royaume s'est aujourd'hui imposé comme une valeur sûre dans ce secteur. Dans les détails, la superficie plantée aujourd'hui est estimée à plus de 8 000 hectares. Les côtes du pays, de Larache à Rabat, sont les principales régions de production car elles offrent un climat propice à la culture de l'avocat, qui ne supporte pas le froid. Trois variétés sont présentes au Maroc : la Hass, réputée pour sa peau épaisse, est exportée parce qu'elle tient longtemps ; la Fuerte et la Zunato, à peau fine, sont réservées au marché local. À l'exportation, ce prix peut atteindre jusqu'à 20 dirhams le kilo, si l'on ajoute la main-d'œuvre, le transport et l'emballage. Et selon le Cirad, l'épopée marocaine devrait encore se poursuivre dans les prochaines années, avec un volume à l'export compris entre 120 000 et 140 000 tonnes d'ici 2030, en fonction des aléas climatiques. L'enjeu de sécurité hydrique En Espagne, il faut environ 800 litres d'eau pour produire un kilo d'avocats. Le Maroc, confronté à un important déficit pluviométrique en 2022, a dû prendre des mesures draconiennes pour rationaliser l'utilisation de l'eau dans l'agriculture. Plusieurs cultures, notamment l'avocat, les pastèques et les agrumes, ont vu leurs superficies rétrécir. Le ministère de l'Agriculture a également annulé le programme d'octroi de subventions pour l'irrigation de nouvelles plantations de ces cultures dès septembre 2022. Lire aussi | L'avocate Laila Slassi Sennou élue Présidente d'EFE-Maroc Contacté par Challenge, l'agroéconomiste Larbi Zagdouni tire la sonnette d'alarme. « Le Maroc, étant dans un état de stress hydrique critique, ne peut s'adonner à la culture de l'avocat. L'eau étant un bien public, surtout en pareille rareté de l'offre hydrique, la culture de l'avocat est un luxe qu'on ne peut se permettre », explique l'expert. Et d'ajouter : « On est dans un cas d'enjeu de sécurité hydrique. Et on entend bien tous les discours autour des externalités économiques de cette culture ; cependant, je pense que la question de la durabilité doit l'emporter sur les questions de chiffres, qui, pour moi, sont court-termistes. Il faut donc sortir de cette logique du "après moi le déluge", car avec les températures que nous frôlons, la question climatique doit être prise au sérieux pour ne pas qu'un jour on arrive à manquer d'eau à boire. » Un vrai potentiel économique... De son côté, le président de la Comader, Rachid Benali, nuance en admettant les potentiels économiques de cette culture. « La culture de l'avocat, au-delà des emplois, offre au Maroc d'importantes devises », martèle Benali. « Aujourd'hui, des réflexions sont en cours sur le fait d'utiliser l'eau dessalée pour compenser l'utilisation de ressources douces », explique le président de la Comader. Même si le dessalement se positionne comme une alternative, comme c'est le cas en Israël, où l'eau de mer traitée est utilisée pour alimenter les cultures d'avocats, cette solution, selon l'expert en agronomie Abdelmoumen Guennouni, présente une certaine contrainte. « L'avocat et l'haricot sont les seuls fruits qui demeurent très exposés à de moindres degrés de salinité. Même si l'eau est dessalée, il y a toujours un pourcentage de salinité qui demeure, ce qui pourrait influencer la saveur du fruit », explique l'expert. « C'est ce problème qui a poussé des pays comme Israël à délocaliser leurs exportations dans des pays comme le Maroc, bien qu'ils soient très avancés sur la technologie du dessalement. »