Le modèle de «banque universelle», en opposition avec celui de «banque d'investissement», consiste à transformer l'épargne des citoyens et des entreprises en crédits à long terme pour financer l'économie. Pour certaines banques marocaines, le ratio de transformation, qui rapporte les crédits aux dépôts, dépasse 100%. Une situation tendue que Bâle III ne réglera pas mais que la récente décision de BAM de ramener les réserves obligatoires des banques à 2%, a tendance à atténuer... Légèrement. Los banques marocaines sont majoritairement universelles. Le plus gros de leur activité provient de la banque du détail, elle-même consistant à transformer l'épargne (ou les dépôts) en crédits. Cette activité, simple en apparence, comporte des risques car les établissements de crédits doivent à chaque fois résoudre une équation à plusieurs variables : Les dépôts sont généralement à vue (les dépôts à terme représentant bien moins de 30% des ressources), cela suppose que ces ressources, théoriquement disponibles à court terme, financent des crédits à plus long terme. Procéder de la sorte est plus délicat que de transformer des dépôts en crédits de même maturité, chose que Bâle III va introduire petit à petit. Autre variable dans l'équation, les crédits peuvent être à taux fixes ou variables avec des fois des souplesses dans les remboursements (amortissement différé, possibilité de stopper momentanément les remboursements). Des pratiques que la concurrence pousse les banques à mettre en place et qui rendent la transformation difficile à appréhender. A cette équation peuvent également s'ajouter des opérations structurées en devises qui compliquent à leur tour le problème en introduisant la notion de risque de change. Enfin, à cette liste de variables pas du tout exhaustive, s'ajoute le risque de non remboursement, le fameux coût du risque qui fait que certains crédits ne sont pas remboursés, ce qui sollicite les fonds propres des banques pour résorber les écarts. Bref, la transformation, aussi rudimentaire soit-elle, est une activité à risque. Une équation à plusieurs variables donc que la gestion actif/passif ou ALM se charge de résoudre au quotidien. Aussi, pour mesurer cette activité, le ratio de transformation est un excellent outil. Il permet de mesurer à quel point une banque s'engage dans la distribution de crédit. Mais aussi, et surtout, le degré de dépendance d'une banque de ressources autres que les dépôts lorsque le ratio dépasse 100%. Des ratios de transformation supérieurs à 100% La publication des comptes des banques cotées est l'occasion de voir l'évolution de leurs ratios de transformation en 2013. Pour rappel, ce ratio était en moyenne de 91% à fin juin, selon la Banque centrale. Cela signifie que les crédits représentaient à l'époque 91% des dépôts. En attendant les chiffres définitifs de BAM pour l'exercice 2013, il est possible de se pencher sur les ratios individuels des banques cotées. Afin d'avoir une base de comparaison normalisée, nous allons nous intéresser aux créances sur la clientèle rapportées au dettes envers la clientèle en excluant les opérations de financement entre banques. Ainsi, pour Attijariwafa bank, ce ratio est de 105% en 2013 et il était de 109% en 2012. La BCP a un ratio de transformation encore plus détendu que celui d'Attijariwafa bank. Il est de 95% en 2013 alors qu'il ne dépassait pas 91% en 2012. BMCE a, pour sa part, un ratio de 100% alors qu'il était de 95% en 2012. Pour des banques de tailles intermédiaires comme le CIH, le ratio est de 142% en 2013 contre 154% en 2012. BMCI a, quant à elle, un ratio de 121% en 2013, contre 128% en 2012. Enfin, Crédit du Maroc affiche un ratio de transformation de 100% en 2013 alors qu'il atteignait 105% en 2012. Deux constats majeurs à la lecture de ces chiffres. D'une part, les banques qui avaient des ratios confortables en 2012 se sont inscrites dans une logique d'expansion en 2013. C'est le cas de BCP et de BMCE. Les autres qui avaient des ratios supérieurs à 100% en 2012 les ont réduit en 2013. La diminution passant par une distribution de crédits plus maîtrisée parallèlement à un effort de collecte plus important. Deuxième constat: plus le réseau d'agences est dense, plus le ratio tend à se rapprocher, voire à passer sous le seuil de 100%. Rappelons également qu'un ratio de transformation supérieur à 100% sous-entend que la banque en question doit aller se financer sur les marchés des capitaux pour accompagner sa politique de crédit. Cela crée deux principales contraintes. Premièrement, le coût des ressources augmente car l'argent a un prix sur les marchés. Que ce soit des émissions obligataires, des dettes subordonnées, des titres de créances négociables ou des sorties sur le marché interbancaire, tout cela a un prix supérieur à celui des dépôts à vue. Par ricochet, cela lamine les marges des banques. Deuxièmement, et c'est une résultante de la première contrainte, plus une banque est active sur les marchés financiers, plus elle est considérée dépendante et se voit donc appliquer une prime de risque supérieure à celle de ses concurrentes. Un phénomène qui, à son tour, renchérit le coût des ressources. Pour une banque comme BCP qui a un ratio de transformation de 95%, cela signifie que la dépendance aux marchés est moindre et que le coût des ressources est compétitif. Cela signifie aussi qu'elle peut se permettre des largesses temporaires pour préserver ses parts de marché. A partir de ces constats, on peut comprendre pourquoi le management du groupe déclarait l'an dernier préférer des sorties à l'international sur des maturités très courtes plutôt que des levées à plus grandes durées. Quel parallèle avec la dernière décision de BAM ? Les 8 Mds de dirhams qui seront resitués aux banques à travers la baisse des réserves obligatoires de deux points vont se retrouver dans les passifs des banques et ainsi alimenter leurs dépôts. Car, la réserve obligatoire est un pourcentage de dépôts et non de fonds propres. Cela augmentera donc automatiquement la capacité des banques à distribuer des crédits tout en soulageant leurs ratios de transformation. Lorsque par exemple, BMCI déclare que cette mesure va renflouer ses dépôts de 500 MDH à partir de ce mois, ce sont 500 MDH qu'elle n'ira pas chercher sur les marchés. Le coût des ressources en sera donc soulagé. A contrario, il semble illusoire de penser que la décision de BAM a pour objectif d'augmenter la liquidité bancaire car, comme l'expliquait Ismail Douiri, Directeur général d'Attijariwafa bank, à l'occasion de la présentation des résultats de sa banque, «cet argent était injecté sous forme d'avances par BAM. Aujourd'hui, il restera en permanence chez les banques. L'impact sur la liquidité bancaire est donc faible car c'est un jeu à somme nulle. Par contre, cela nécessitera une plus grande rigueur de la part des trésoriers des banques au quotidien». Il est également peu probable que cette mesure impacte les taux d'intérêts appliqués aux clients car elle répond surtout au «dérapage» bancaire de 2013. Des certitudes sectorielles à ne pas nier En d'autres termes, cette initiative a comme objectif de stabiliser les prix des crédits pour éviter des glissements en 2014. La situation est loin d'être alarmante. Car après tout, c'est l e rôle premier des banques que de distribuer des crédits et faire de la transformation. Vu la structure de leurs passifs (majoritairement constitués de dépôts à vue), les marges restent confortables. Il n'y a donc pas de risques de taux. Autre certitude, la vitesse de transformation constatée en 2013 s'est faite au prix d'une prise de risques démesurée avec un coût du risque qui a doublé pour le secteur. Mais rapporté à l'encours des créances, le coût du risque est faible. Sur ce point, il n'existe pas de risque systémique, mais les actionnaires payeront de leurs poches la prise de risque. Enfin, un fait tout aussi immuable : BAM essaye bel et bien de desserrer les vannes du crédit. Elle le fait continuellement et de plusieurs manières, mais sans baigner dans le spectaculaire à l'Occidental.