L'histoire du Maroc contemporain porte la marque des PTT, avant l'entrée en scène des télécommunications et des autoroutes de l'information. Maroc Telecom, entreprise publique, a connu des transformations majeures dans les années quatre-vingt-dix en devenant une société anonyme, gérée selon des critères capitalistiques, héritant cependant de dizaines de milliers d'employés qu'il a fallu recycler ou repositionner, et surtout interpellée par le défi de modernisation. Société publique jusqu'en 1999, Maroc Telecom a ouvert son capital à des opérateurs extérieurs dont le groupe Vivendi qui, dans le cadre d'une privatisation élargie en 2001, a acquis 53% du capital, soit la majorité. Malgré le retrait de l'Etat, le groupe français, issu de la CGE (Compagnie générale des eaux), a maintenu sa présence au sein de Maroc Telecom jusqu'en 2013 avant de céder ses parts au groupe des Emirats arabes unis, Etisalat, pour la coquette somme de 4, 2 milliards d'euros au total, ouvrant ainsi un partenariat original adossé sur une interactivité et des synergies entre les deux groupes. La finalisation du processus de rachat des 53% devrait se faire à la fin de ce mois de mai. Mais d'ores et déjà, Maroc Telecom fort de ce partenariat avec Etisalat, rachète 6 des filiales africaines du groupe émirati pour un montant de 650 millions de dollars, devenant ainsi l'incontournable «hub» des télécoms en Afrique. Cette opération est d'autant plus exceptionnelle qu'elle fera du groupe que préside Abdeslam Ahizoune, l'incontournable premier opérateur africain et, comme il a été dit, le «hub africain d'Etisalat» ! Elle impose quelques remarques nécessaires. En rachetant 6 des filiales du groupe émirati, Maroc Telecom donne encore une fois la preuve de son poids dans le continent, et renforce sa présence sur un créneau qu'il maîtrise bien depuis des années, sans compter - et ce n'est pas le moindre détail - la crédibilité dont il bénéficie auprès de son nouveau partenaire. On voit là, et le président Ahizoune l'avait bel et bien annoncé en février dernier, que le groupe Etisalat et Maroc Telecom fusionnent leurs activités dans un esprit de complémentarité, chacun servant de plateforme à l'autre, jouant l'unité plutôt que «l'égoïsme sacré», illustrant le mariage heureux de l'année... On précise cependant du côté de Maroc Telecom que l'acquisition des 6 filiales par Maroc Telecom «est soumise à un certain nombre de conditions, en particulier la finalisation du rachat par Etisalat de la participation de Vivendi dans Maroc Telecom et l'approbation des autorités concernées des pays où les filiales d'Etisalat sont implantées». Mais, de toute évidence, il ne semble pas y avoir de réticences à cette opération qui, outre un événement économique majeur, s'inscrit dans une coopération Sud-Sud dont le Maroc est en effet porteur et acteur exemplaire. Le prix d'acquisition inclut également le rachat des prêts d'actionnaires par Maroc Telecom. L'opérateur global de télécommunications au Maroc conforte son leadership sur l'ensemble de ses segments d'activités : le fixe, le mobile et l'Internet. Avec ses 4 filiales, Gabon Telecom au Gabon, Mauritel en Mauritanie, Onatel au Burkina Faso et Sotelma au Mali, il totalise plus de 39 millions de clients. Sa force reconnue à travers l'Europe et l'Afrique est d'être simultanément à Casablanca et à Paris depuis décembre 2004. Jusqu'au projet de cession lancé en 2013, ses actionnaires de référence sont Vivendi avec 53% du capital, l'Etat avec 30% et divers actionnaires flottants en Bourse. Maroc Telecom devient ainsi propriétaire des entités de l'opérateur émirati au Bénin, au Gabon, en Côte d'Ivoire, au Niger, en République Centre-africaine et au Togo, six pays francophones dont la caractéristique, par ailleurs, est d'être des Etats amis du Maroc. Dans la foulée, Maroc Telecom acquiert également le fournisseur de prestation IT, connu pour travailler avec les filiales africaines d'Etisalat. Il convient de rappeler qu'avec le rachat des 6 filiales africaines, il sera implanté désormais dans 10 pays africains francophones. Avec son partenaire émirati, il totalisera pas moins de 42 millions de lignes actives dans les pays africains francophones. C'est donc la mise en oeuvre d'une vision, mais aussi le succès d'une stratégie d'implantation entamée depuis 2001 lorsque, adossé sur une politique d'ouverture audacieuse, Maroc Telecom est parti à la conquête de la téléphonie africaine. Il s'implante en Mauritanie, et entre 2006 et 2009 au Burkina Faso et au Gabon. Cette présence s'est accompagnée par une politique d'investissement et d'équipement qui a fait bénéficier les pays concernés de son savoir-faire. Dans ces conditions, on peut rappeler qu'en février dernier, Sa Majesté le Roi Mohammed VI et le président du Mali, Ibrahim Boubacar Keita, ont inauguré le tronçon du câble haut débit de 1.064 km renforçant ainsi l'activité de la filiale Sotelma-Malitel, dans laquelle Maroc Telecom détient une majorité de 51%. L'opérateur marocain renforce ainsi son assise en Afrique où les réseaux de fibre optique connaissent un boom sans précédent. Ce projet a nécessité une enveloppe de 6 millions d'euros. Ce qui a fait dire au président Abdeslam Ahizoune que «c'est le fruit d'une coopération Sud-Sud entre le Maroc et les pays de l'Afrique de l'Ouest». Maroc Telecom, champion national avec une vision panafricaine ? La formule sacrifierait vite au cliché si elle n'était assortie de cette autre réalité que l'acquisition des 6 filiales africaines par le groupe marocain traduit plus qu'une transaction commerciale. En fait, on assiste au croisement d'activités et d'actifs, à une sorte d'interpénétration des enjeux et des défis relevés par deux grands groupes, Maroc Telecom et Etisalat qui réalisent l'une des opérations significatives du siècle. Nous sommes à la veille du rachat définitif par Etisalat des 53% du capital détenu par Vivendi, et la vision qui se dessine est un pôle international à géométrie triangulaire : l'Afrique, le Golfe et le Maghreb, marchepied d'une mondialisation plutôt heureuse.