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Ecœurement et frustration des musulmans de Seine-Saint-Denis :« c'est le choc de la bêtise, pas des civilisations »
Publié dans 2M le 30 - 10 - 2020

Emotion extrême et sentiment d'impuissance aujourd'hui à Aubervilliers, l'une des communes du département de la Seine Saint Denis qui compte la plus forte population d'immigrés avec près de 40% alors que le département en concentre 23,5%, c'est-à-dire plus de 3 fois plus que la moyenne nationale(7,1%). Maliens, sénégalais, turcs, marocains, algériens, tunisiens ou même syriens s'y côtoient, leurs enfants étant majoritairement français. La plupart sont musulmans et vivent avec écœurement et frustration les attentats qui ont endeuillé la France ces derniers jours, particulièrement celui de Nice qui a fait 3 morts.
L'exaspération également dominait les échanges avec les habitants de la commune que notre correspondante à Paris, Houda Aït Lahbib y a rencontré. Reportage.
Je me rends à Aubervilliers dans un véhicule Uber, dont le chauffeur également propriétaire, engage la conversation avec moi sur l'attentat de la Basilique Notre-Dame de l'Assomption de Nice. Il me demande mon avis mais je préfère évidemment lui retourner la question : « c'est une catastrophe » me répond ce marocain d'origine prénommé Omar. « Nous sommes tous frustrés car tous pénalisés par ce qui se passe », commente ce natif de Nanterre. « Allah O Akbar est devenu un slogan terroriste et d'une certaine manière, le gouvernement est entré dans le jeu des extrémistes en faisant de la surenchère ».Je demande à Omar de m'expliquer cette dernière phrase et il me répond que « les terroristes instrumentalisent les caricatures pour s'attaquer à la France et (que) le fait de surenchérir ne fait que les pousser davantage à nous attaquer ».
Omar me dépose du côté de la mairie d'Aubervilliers. Je marche au hasard et entre dans une grande supérette, bondée en cette veille de confinement.
« Je suis en deuil depuis la mort du professeur d'histoire et là, c'est pire »
Elias qui gère le lieu est de ces albertivillariens nés de parents immigrés dans les années soixante. Son père, berbère originaire du Sud du Maroc y a ouvert l'une des plus grandes épiceries d'un quartier jouxtant la place de la mairie. En cette veille de confinement, il a ouvert son commerce un peu plus tard que d'habitude car aujourd'hui est un jour de fête dans le calendrier musulman. C'est Aid El Mawlid, la célébration de la naissance du prophète de l'Islam, l'une des fêtes les plus importantes. Pourtant, ni Elias, ni les clients que nous rencontrons dans son commerce n'ont le cœur à la fête : « je suis déjà en deuil depuis la mort du professeur d'histoire et là, c'est encore pire », raconte Elias, « je ne peux même pas le dire ou l'exprimer ouvertement parce qu'avec ce qui se passe, d'abord personne n'a envie de l'entendre et puis ça ne changera rien à ce qui se dit depuis des années sur les musulmans ». Notre échange crée un débat dans l'épicerie où produits orientaux côtoyant des articles produits en France, en Chine ou en Turquie.
«Personne ne vient nous demander notre avis»
« Le mot musulman est devenu synonyme de terroriste » dit l'un des clients sénégalais , dans un français impeccable, ajoutant « vous êtes bien la première journaliste que je vois venir ici pour nous demander notre avis. Personne ne vient nous demander ce que nous ressentons, personne Madame. Vous croyez que ça nous fait plaisir que des églises soient souillées par le sang d'innocents qui étaient en prière ? », s'énerve l'homme qui a du mal à poursuivre. Il lève les deux mains au ciel, marmonne quelques mots et sort de l'épicerie précipitamment.

Une femme est à nos côtés. Elle s'appelle Zineb : « ce ne sont pas de vrais musulmans qui ont fait ça, ce sont des animaux, des bêtes. Ils ont créé la peur ». Zineb est française. Elle est née à Champigny sur marne en 1968 et nous confie l'un de ses pires cauchemars vécu en 2019 avec sa fille âgée de 11 ans : « j'ai toujours porté le voile et regardez, ce n'est pas un voile oriental ou intégral. Je ne sais d'ailleurs même plus comment on peut appeler ça d'ailleurs et on voit une partie de mes cheveux. Ma fille m'a dit de ne plus venir la chercher à l'école parce que certaines de ses amies lui disaient que j'étais une terroriste. Voyez ce que les amalgames créent comme dégâts, dans nos propres familles ».
Pris en otage par les racistes d'un côté et les extrémistes de l'autre
L'émotion étrangle Zineb qui poursuit « tous les jours je dis à mes enfants de faire attention, de rentrer tôt, surtout mes fils parce que j'ai peur pour eux. Entre les racistes islamophobes d'un coté et les intégristes de l'autre, nous sommes pris en otage et j'ai l'impression que nous sommes punis par les uns et les autres pour des choses que nous ne sommes pas ou que nous ne faisons pas », conclut-elle avant de partir, ses courses sous le bras.
Elias semble embarrassé devant le témoignage de Zineb. A la question de savoir pourquoi, il me répond : « beaucoup de gens pensent comme elle vous savez, c'est terrible d'être jugé sur son apparence ou ses croyances. Mon père est arrivé dans ce pays en 1961, il me dit qu'il n'a jamais vécu ça; il n'a jamais pensé qu'on pourrait en arriver là en France».
Sur la place du marché d'Aubervilliers et les ruelles mitoyennes, les gens passent comme des ombres, accélérant le pas sous un ciel aux nuages menaçants.

Un jeune couple attire mon regard. Je m'en veux de devoir scruter leur visages pour y lire leurs origines .Tout ce que je déteste et dénonce moi-même. Mais l'envie de mener à bien mon reportage l'emporte sur le reste. La femme s'est arrêtée pour ajuster le cache du landau qu'elle pousse devant elle. J'en profite pour l'aborder , son mari à ses côtés. Je me présente rapidement et n'ai aucun effort à faire pour les faire parler, au contraire !
« C'est un choc de la bêtise, pas des civilisations »
Ils sont mariés depuis 7 ans et sont tous les deux dans les médias. Elle dans une société de production audiovisuelle et lui une publication en ligne. Ils sont de passage à Aubervilliers pour un dernier déjeuner avec les parents de Sonia qui a grandi dans le quartier. Son mari un « français de souche » s'appelle Gabriel-Ali, converti à l'Islam « par amour pour Sonia », me raconte t-il, il est aujourd'hui musulman « par conviction ». « Je suis atterré par ce terrorisme des esprits, attristé pour mon pays mais aussi pour la religion musulmane. Une minorité est arrivée à prendre en otage toute une partie de la population qui est majoritairement française, pour imposer des idées qui sont fausses. Ce qui me met hors de moi, c'est que le personnel politique fait mine de l'ignorer pour des raisons purement électoralistes », s'insurge Gabriel-Ali. Sonia prend le relais : « c'est un choc de la bêtise, pas des civilisations », estime-t-elle. Il faut stigmatiser ces djihadistes, les isolés. Le rapport à Dieu est avant tout amour et la religion ne peut être le bras armé de convictions politiques », poursuit la jeune maman de 3 enfants. A son mari de conclure que « la République et les gouvernements qui se sont succédés ces 40 dernières années ont une immense responsabilité. C'est l'échec des politiques d'intégration, ou plutôt l'absence de politique d'intégration qu'il faut pointer, pas l'Islam ».
« Nous ne sommes pas dans une posture victimaire, nous sommes de vraies victimes »
Je me rends du côté du métro Fort d'Aubervilliers, sur la rue Danielle Casanova. Je croise un homme à la barbe longue et bien taillée comme celle qui s'est imposée dans les tendances de la mode ces dernières années. En fait, seule sa « taguiya » m'indique qu'il serait musulman. Dans un premier temps, Il refuse de me parler et fini par accepter lorsque je lui dis que « les musulmans se plaignent que la parole ne leur soit pas donnée ». « Mais c'est vrai », me dit-il, « on ne donne la parole qu'à des personnes qui ne sont pas représentatives de l'Islam et la plupart n'ont pas de légitimité pour prendre la parole au nom des musulmans » commente t-il, refusant, ne serait-ce que de me donner son prénom.

« Ecoutez , je suis ingénieur en télécommunications et on me regarde suffisamment de travers comme ça au boulot pour en rajouter aujourd'hui », dit-il l'air dépité, ajoutant : « lorsque j'entends tous ces pseudo-polémistes à la télévision dire que les musulmans se complaisent dans une position victimaire, j'ai envie de leur répondre que nous ne sommes pas dans une posture, nous sommes de vraies victimes », s'insurge t'il . « A l'école, au travail, lorsqu'il y a des attentats, lorsque les femmes voilées se font littéralement insulter devant leurs enfants, et j'en passe. Nous sommes en permanence à nous justifier, à devoir répéter que nous sommes français et que les terroristes sont des criminels ». Une communication téléphonique met un terme à cet échange inabouti mais suffisamment éclairant sur l'état d'esprit de cet homme, un quadragénaire exaspéré de se voir interpeler sur son identité et sa place dans la société française.
« La foi est bien au-dessus de vulgaires caricatures »
Dans un autre commerce de la rue Danielle Casanova, une octogénaire originaire de Tunisie me donne une véritable leçon de vie, de dignité et de fraternité. Elle se prénomme Warda et rêvait lorsqu'elle vivait toute jeune dans la banlieue de Tunis, de devenir une grande actrice. « J'ai fait un peu de théâtre et après je me suis mariée », me raconte Warda avec un grand sourire. « Tout a changé aujourd'hui vous savez, tout. Je suis tellement triste de ce qui s'est passé à Nice et je connais bien cette église parce que ma fille habite là-bas », raconte t'elle « et quand j'ai entendu ces personnes appeler à manifester et dormir aux pieds de l'église, j'aurais voulu avoir des ailes et partir tout de suite mais demain on ne pourra plus bouger avec le confinement », regrette Warda. Je lui propose de la raccompagner chez elle mais elle refuse gentiment et me remercie de lui avoir permis de parler . Avant de me quitter elle me dit en arabe :« vous savez ma fille, la foi est bien au-dessus de vulgaires caricatures. D'un côté je comprends qu'on puisse se sentir outragé mais je me dis que la foi nous permet de transcender tout cela. Peut-être que je suis d'une autre génération ou que je ne comprends plus rien », conclut-elle.
Je n'ose annoncer à cette vieille dame que selon les éléments rendus publics sur le profil du terroriste de Notre-Dame de l'Assomption, il serait tunisien récemment arrivé sur le sol français. Je prends mon courage à deux mains et fini par le lui dire. Des larmes commencent à couler sur son beau visage marqué par les années. Elle se retourne rapidement pour partir et que je n'en vois rien. Jamais je n'oublierai son regard.


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