En attribuant le Prix Nobel d'économie 2021 à trois représentants de l'économie expérimentale, D. Card, de Princeton, J. Angrist, du MIT et Imbens, de Princeton, le jury a non seulement distingué trois de ses meilleurs représentants, mais a aussi confirmé la montée en puissance de cette discipline, qui constitue à elle seule une révolution au sein de la science économique, remettant en cause les modèles théoriques sur lesquels elle s'était construite, estime Henri-Louis Vedie, Senior Fellow au Policy Center for the New South (PCNS). Dans un policy paper, Vedie, Docteur d'Etat en sciences économiques, fait noter que que cette économie expérimentale vise à constituer des données empiriques, à partir d'expériences comportementales, individuelles ou collectives. Données, ensuite, analysées à partir d'outils économétriques, permettant de mettre en valeur des liens de causalité entre un ou des facteurs et leur incidence économique. Ce qui explique , dit-il, que les lauréats sont des économistes du travail, Card et Imbens, ou de l'éducation, Angrist, mais aussi des économètres reconnus. En 2002, D. Kahneman et V. Smith, qui sont parmi les pionniers de cette nouvelle approche méthodologique, ont été distingués par le jury Nobel. En 2011, T. Sargent et C. Sims, en 2015 A. Deaton, en 2017 R.Thaler, en 2019Banerjee, E. Duflo et M. Kremer vont rejoindre les lauréat(e)s du Nobel d'économie, rappelle Vedie, relevant en ce sens que la nomination de Card, d'Angrist et d'Imbens n'est en rien une surprise, contribuant cependant à donner un coup d'accélérateur à l'économie expérimentale. Avec ces nominations, le jury Nobel complète une liste déjà longue, commencée en 2003 avec la nomination de Clive Granger pour ses « travaux mathématiques permettant de mieux connaître et établir le sens de la causalité entre deux faits ». Rappelons, aussi, que l'une des doctorantes d'Angrist, E. Duflo, a reçu en 2019 le prix Nobel d'économie, partagé avec A. Banerjee et M. Kremer, pour des travaux différents, mais qui s'inscrivent aussi dans le cadre d'une économie expérimentale. Comme toujours, les critiques vont porter sur la méthodologie, privilégiant l'expérience naturelle, c'està-dire sur des faits, des terrains, ayant existé. Mais, comme le rappelle Marie Claire Villeval, Professeure à l'Université de Lyon, Saint- Etienne: « les expériences naturelles posent des défis méthodologiques redoutables car, par définition, et à la différence des expériences de laboratoire et de terrain, elles sont rarement reproductibles. Difficile de contester cette affirmation. De même, Philippe Askenazy, Professeur à l'Ecole d'économie de Paris, fait lui aussi entendre sa différence, précisant que « la quête de causalité ne signifie pas pour autant une science sans débat », ce qui le conduit à des résultats contradictoires, friables et, donc, non reproductibles. Notons que Card, dans ses travaux sur le salaire minimal, faisait état de biais de publication. En 2019, les travaux de Banerjee, de Duflo et de Kremer, avaient aussi rencontré des critiques concernant la méthodologie de la randomisation. Ce qui ne va pas empêcher le jury de 2021 de distinguer, de nouveau, des travaux expérimentaux. Henri-Louis Vedie en conclut qu'avec ces nominations, l'Académie Royale de Suède confirme et conforte la suprématie de la recherche universitaire américaine, les trois lauréats étant respectivement de nationalité canadienne (Card ) israélienne (Angrist) et hollandaise (Imbens) faisant leurs études supérieures aux Etats-Unis, avant d'enseigner dans les plus prestigieuses Universités de ce pays.