D'après des informations recueillies par Hespress, un responsable bancaire a récemment transmis une déclaration de soupçon aux services centraux de sa maison-mère, faisant état d'opérations financières suspectes liées à des mouvements inhabituels de fonds sur les comptes bancaires de plusieurs entreprises opérant dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Certaines de ces sociétés disposent de comptes ouverts dans l'agence qu'il dirige. L'alerte a été relayée à l'Autorité nationale du renseignement financier (ANRF), qui a immédiatement diligenté une enquête. Les investigations préliminaires ont révélé des dépôts récurrents de montants significatifs par le biais de chèques émis par des partenaires commerciaux supposés. Il s'est avéré par la suite que ces derniers étaient affiliés à des sociétés-écrans, lesquelles avaient conclu des baux pour des appartements et des entrepôts utilisés comme justification à des opérations fictives de réaménagement. L'objectif apparent de ces montages était de légitimer, sur le papier, des flux commerciaux inexistants en réalité. Selon des sources bien informées, les dépôts quasi-quotidiens enregistrés sur les comptes de sociétés nouvellement créées – certaines ayant à peine 18 mois d'existence – ont suscité la vigilance du cadre bancaire. Ce dernier a entrepris une revue détaillée des statuts juridiques des entreprises concernées ainsi que des documents constitutifs fournis lors de l'ouverture des comptes. Il a relevé, outre la récente création de ces entités, une diversité excessive d'activités déclarées, peu cohérente avec les profils des clients concernés. Quatre sociétés ont particulièrement retenu l'attention des enquêteurs en raison de leur rôle central dans la chaîne de facturation. Celles-ci ont systématiquement procédé au règlement de leurs créances via des virements bancaires et des chèques, renforçant les soupçons de montages financiers destinés à maquiller l'origine des fonds. Les investigations de l'ANRF se sont orientées vers l'identification des bénéficiaires effectifs des entreprises réceptrices de fonds, ainsi que des unités prétendument prestataires de services ou bénéficiaires de travaux. Il a également été procédé à l'analyse de la situation fiscale des entités concernées. Certaines d'entre elles sont dirigées par des Marocains résidant à l'étranger, notamment en France, et respectaient scrupuleusement les délais de dépôt de leurs déclarations fiscales auprès de la Direction générale des impôts (DGI). Cependant, deux de ces sociétés ont récemment fait l'objet de notifications de contrôle fiscal en raison de fortes discordances entre leurs déclarations fiscales, les relevés bancaires et les données comptables fournies. Ces incohérences portaient notamment sur la valeur des factures produites, qui dépassaient largement les standards du marché, selon les dernières estimations relatives aux prix des matériaux de construction, des équipements et aux coûts de la main-d'œuvre. Dans son rapport annuel 2023, l'ANRF fait état de 71 dossiers de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme transmis au parquet, notamment aux procureurs des tribunaux de première instance de Rabat, Casablanca, Fès et Marrakech, ainsi qu'au procureur général près la cour d'appel de Rabat. Le rapport signale une augmentation de 31,48 % du nombre de dossiers transmis par rapport à l'année précédente. Parmi les infractions les plus fréquentes figurent la falsification ou l'altération de relevés bancaires, de moyens de paiement ou d'autres documents justificatifs (38 % des dossiers), au même titre que les cas d'escroquerie et de fraude. D'autres formes émergentes de blanchiment ont également été détectées, notamment par le biais des paris sportifs, des systèmes de vente pyramidale et des cryptoactifs. Les enquêtes en cours bénéficient désormais des capacités accrues d'analyse algorithmique développées par les administrations partenaires, à commencer par la DGI. Cette dernière ne se limite plus à détecter les cas classiques de minoration des bénéfices, mais s'attache également à repérer les stratégies de surévaluation des résultats comptables, des facturations artificielles et d'autres signaux de blanchiment intégrés aux déclarations fiscales. Il a ainsi été constaté que des détenteurs de fonds d'origine illicite optent désormais pour la création de sociétés écrans, dans lesquelles ils injectent ces capitaux afin de les intégrer dans le circuit légal via des transactions commerciales fictives et le paiement d'impôts, dans le but de leur conférer une apparence de légitimité.