Alors que l'Union européenne cherche à sceller un nouvel accord commercial avec le Maroc incluant notamment son Sahara, des députés espagnols proches du Front polisario pressent Madrid de voter contre. Cependant, cette position heurte la politique officielle de l'Espagne et les intérêts économiques européens. L'Intergroupe espagnol Paix et Liberté pour le Peuple Sahraoui a adressé cette semaine une lettre au ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, appelant le gouvernement de Pedro Sánchez à rejeter le nouvel accord commercial entre l'Union européenne et le Maroc, qui inclut le Sahara. Dans cette missive, le groupe pro-polisario exprime son « plus ferme rejet » des initiatives de la Commission européenne et du Maroc, accusées de vouloir « imposer un nouvel accord commercial incluant un territoire occupé illégalement et sur lequel le Maroc ne possède ni souveraineté ni autorité administrative ». Il s'appuie notamment sur la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) stipulant que tout accord impliquant les ressources naturelles du Sahara ne peut être valide qu'avec le consentement du peuple sahraoui, « représenté exclusivement par le Front Polisario ». Tous semblent avoir oublié que cette milice séparatiste est considérée par plusieurs parties et Etats comme une organisation terroriste et que certains plaident pour son classement en tant que telle. Selon ces députés, ignorer ce principe constituerait « non seulement une violation flagrante du droit international, mais aussi un mépris délibéré des décisions judiciaires européennes et du droit à l'autodétermination reconnu par l'ONU ». « L'Espagne, en tant que puissance administrante, ne peut et ne doit pas permettre que les ressources du peuple sahraoui soient utilisées », insiste le texte, qui conclut en demandant expressément que Madrid vote contre l'accord au Conseil de l'Union européenne. Pourtant, cette position reste marginale et s'oppose directement à la politique officielle de l'Espagne. Depuis 2022, Madrid a reconnu la pleine souveraineté marocaine sur le Sahara, une décision qui met fin à des décennies de neutralité espagnole sur le dossier. Dans ce contexte, l'appel des députés pro-polisario apparaît comme une sorte de fronde, mais difficilement compatible avec la politique étrangère du gouvernement Sánchez. Outre le cadre politique de la question, l'enjeu économique est sans aucun doute majeur. L'Espagne est l'une des grandes perdantes de l'arrêt rendu par la CJUE en octobre dernier, qui avait annulé les accords agricoles et de pêche, celui-ci octroyait des permis d'exploitation à pas moins de 138 chalutiers européens et représentant un enjeu stratégique non seulement pour l'Espagne, mais également pour le Portugal, la France et l'Allemagne. Plusieurs experts avaient d'ailleurs souligné que Bruxelles s'est retrouvé dans une position délicate après la décision de la CJUE, l'Union européenne étant la partie la plus concernée par l'application de l'accord, tandis que le Maroc, bien que partenaire central, n'est pas directement affecté par la décision de la Cour. Le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, avait lui-même pointé la décision de la CJUE, qu'il avait qualifiée de « superficielle » et déconnectée de la réalité du Sahara marocain. Lors d'une conférence de presse conjointe avec le président des îles Canaries, Fernando Clavijo, Bourita avait rappelé que la Cour ne possède ni la compétence ni la vocation pour statuer sur ce dossier, qui relève exclusivement du Conseil de sécurité et des Nations Unies. Selon lui, la décision européenne ne concerne pas le Maroc et n'affecte en rien la situation juridique du Sahara. Il avait également insisté sur le rôle des Etats européens dans le maintien de la coopération avec Rabat, soulignant que les pays signataires doivent désormais chercher des solutions pratiques pour préserver leurs relations commerciales et stratégiques. Sur ce point, il convient de noter que la Commission européenne, consciente de la sensibilité du dossier, a engagé en septembre des discussions avec les autorités marocaines afin de trouver une issue après l'arrêt de la CJUE de 2024. Dans une réponse officielle au Parlement européen, le commissaire européen au Commerce et à la Sécurité économique, Maroš Šefčovič, a souligné l'importance du partenariat avec le Maroc, «caractérisé par sa longévité, sa diversité et sa profondeur », et a réaffirmé la volonté de l'Union européenne de préserver et renforcer les relations bilatérales dans tous les domaines de coopération à l'approche de l'échéance fixée par la justice européenne. De son côté, le porte-parole de la Commission pour le Commerce, Olof Gill, a affirmé que cette démarche a pour objectif de remplacer l'accord annulé et d'appliquer les préférences tarifaires à l'ensemble du territoire marocain, y compris aux provinces du Sud. « Les Etats membres doivent adopter la proposition d'ici le 4 octobre pour permettre sa signature et son application provisoire », a-t-il expliqué à l'agence EFE. Le texte sera ensuite soumis à l'examen du Parlement européen, avant son adoption définitive par les co-législateurs. Et de rappeler : « Le Maroc est un partenaire clé. Notre coopération s'étend au commerce, aux migrations, à l'environnement, à la sécurité, au numérique et à la culture ».