En première mondiale au Festival international du film de Marrakech (FIFM 2025), le documentaire «Fatna, une femme nommée Rachid» de la réalisatrice franco-allemande Hélène Harder retrace le parcours Fatna El Bouih, arrêtée à 21 ans et détenue politique entre 1974 et 1982 au Maroc. Membre fondatrice du premier centre d'écoute pour les femmes victimes de violence, de l'Observatoire marocain des prisons et Relais/prison société, la militante a édité son témoignage en 2002, inspirant un travail qui nourrit désormais la force de l'espoir. En tant qu'ex-détenue politique dans le Maroc des années 1970, comment avez-vous vécu la préparation de ce documentaire, puis sa présentation au FIFM 2025 ? Je trouve que c'est une opportunité pour moi de porter la parole des femmes à l'échelle mondiale et de donner un rayonnement international à une question qui me tient très à cœur, à savoir la vie dans le milieu carcéral. C'est aussi une occasion de tisser les liens avec de nouvelles connaissances et d'échanger avec elles sur ce que fait la société civile marocaine aujourd'hui. Avec la présentation du film, nous rencontrons un public, nous discutons beaucoup avec les jeunes et c'est pour moi quelque chose de primoridal à faire. Cela aide à sensibiliser notamment sur le fait que le champ carcéral ne doit pas être mis de côté, lorsqu'il s'agit de voir la société et ses dynamiques dans leur ensemble. Comme l'école, la prison est une institution publique qui a un rôle à jouer, avec laquelle nous collaborons et dont nous démystifions les images préétablies. Nous essayons de changer le regard biaisé et les idées reçues sur les personnes privées de liberté. Vous avez été vous-même l'une de ces personnes. Le retour en prison a été difficile au début, ou est-ce qu'il a fait partie de votre chemin vers la résilience après la détention et la torture ? C'est un cheminement, oui. Vu l'expérience que j'ai vécue, je me sens plus proche de cet espace, je me sens plus en capacité de défendre cette cause et de la porter dans le registre du plaidoyer, avec les institutions et avec les décideurs, dans le souci d'humaniser les prisons. Hélène Harder / Ph. FIFM La défendre ou la porter dans des mémorandums de changement de loi, ou de meilleure application de la loi, ou d'évolution des mentalités sur la privation de la liberté, sur la délinquance, l'éducation des jeunes… ce sont des sujets essentiels à l'ordre et c'est un honneur pour moi de les porter, fédérer des personnes ressources autour. C'est une démarche à long terme que nous entreprenons, un processus de construction pour une nouvelle approche relevant du combat de défense des droits humains pour dissiper la méfiance d'approcher ce milieu. Nous comptons aussi toucher les écoles. Je trouve aussi que nous commençons à voir les fruits du progrès dans nos rapports avec le milieu carcéral, avec les peines alternatives. Toutes ces avancées qui ne se réalisent pas du jour au lendemain mais qui se font sur le temps long rejoignent le processus de notre combat mené depuis l'ouverture des prisons sur le monde extérieur et sur la société civile. Cela a marqué un tournant et le fait que je sois là au FIFM en est une illustration. Le film raconte une partie de cette implication que nous sommes ravis de faire connaître largement. Pour les plus jeunes qui connaissent moins le contexte politique des années 1970 au Maroc, pourriez-vous nous dire plus sur la manière dont l'expérience de détention vous a marquée ? Cette expérience m'a marquée profondément. Le fait que je mène un combat pour améliorer nos approches associatives et institutionnelles à l'égard du monde de la prison, après en être sortie, est un élément très positif dans ma vie. Je dis toujours que la prison est une école que l'on ne souhaite à personne qui nous apprend beaucoup de choses sur le monde extérieur et sur nous-mêmes. En détention, on se pose beaucoup de questions. Comment survivre ? Comment lutter contre la privation de liberté ? Comment ne pas succomber à la folie lorsqu'on est entre quatre murs, sachant que la nature humaine est que l'on naisse et qu'on soit libre ? C'est une bataille quotidienne, surtout pour les femmes. FIFM 2025 : Les Ateliers de l'Atlas, la boîte à projets des cinémas de demain Je dois dire que celles-ci développent des outils de lutte contre l'emprisonnement qui méritent d'être mis en lumière et étudiés. Le fait donc de créer des espaces où elles peuvent s'épanouir et regagner en confiant, par l'art-thérapie, des actions solidaires, de la sororité me tient à cœur. Je suis heureuse de le documenter par l'écrit, de le voir filmé et de pouvoir le raconter pour donner de l'espoir, en montrant que l'humain est capable de surmonter les plus dures épreuves. Je fais partie de celles et ceux qui ont subi cette dure épreuve. J'ai pu la surmonter par l'écriture, dans mon témoignage qui a donné naissance à mon livre «Une femme nommées Rachid» (éd. Le Fennec, 2002). Aujourd'hui, il a inspiré ce documentaire «Fatna, une femme nommée Rachid» (Hélène Harder). Le livre et le film laissent constater si j'ai bien dépassé cette épreuve et survécu à cette dure expérience. La question est désormais celle de comment apprendre aux jeunes à ne pas succomber en prison, quel que soit le motif de leur détention, car il est encore dur de meubler son temps entre quatre murs et derrière les barreaux. Encore plus lorsqu'on vous enlève votre féminité, en vous appelant Rachid pendant vos années de détention, d'où l'intitulé du livre et du film… Oui, c'est quelque chose qui est encore plus dur et encore difficile à raconter, car en vous enlevant votre prénom, en vous attribuant un autre, encore plus du sexe opposé, on vous condamne quelque part à la disparition complète. On efface votre existence et on vous réduit au néant. Mes codétenues politiques et moi n'étions pas emprisonnées, mais portées disparues. Intérieurement, c'est dans ce contexte de disparition où les pires des choses peuvent se passer pour soi-même. Et là aussi, j'ai moi-même découvert le courage des femmes. J'ai appris comment, nous avons développé une capacité de lutter contre cet anéantissement qui nous a été imposé. Nous avons trouvé refuge dans l'écriture et lorsque nous n'avions ni stylo, ni papier, nous nous racontions des histoires et pour venir à bout de cette oisiveté et cette vie dans le noir, qu'on illumine avec nos récits. C'est comme cela également qu'a commencé à germer dans mon esprit la conviction que l'écriture est une arme vitale dont nous avons plus que jamais besoin, pour raconter nos vécus, mais aussi pour transmettre et enrichir l'histoire du féminisme et de toutes ces femmes qui ont consacré leur vie à briser le silence auquel d'autres femmes et hommes ont été réduits. En l'occurrence, les femmes qui ont créé ces centres d'écoute sont des bénévoles qui ont appris sur le tas, qui se sont formées en s'inspirant d'autres expériences ou en se donnant elles-mêmes du courage pour briser le silence. Ces dynamiques ont changé des lois et fait avancer autant les initiatives de la société civile que les synergies institutionnelles. Il reste cependant du travail à faire dans les régions marginalisées, notamment pour la scolarisation et contre le mariage des petites filles. Ce sont toutes des dimensions sociétales que l'on retrouve à divers degrés dans l'univers de la prison. Fatna El Bouih / Ph. FIFM Le film est né d'archives, de rencontres, de votre parcours et de votre récit de vie, en conciliant entre documentaire et inspiration. Sera-t-il montré dans les milieux éducatifs, puisque vous faites tout un travail pédagogique auprès des jeunes ? Le film peut être projeté dans des milieux scolaires ou dans des Maisons de jeunes. D'ailleurs, nous avons déjà plusieurs demandes. Certaines séquences importantes peuvent être montrées aux jeunes pour servir de support d'interaction, d'échange, de discussion et d'écoute, surtout dans le cadre de la prévention. Il s'agit aussi de montrer ces jeunes qui font des films en prison, qui racontent leur privation de liberté. Mélita Toscan du Plantier : Le FIFM soutient «l'émergence de nouvelles écritures autour du cinéma» [Interview] Dans ce sens, nous organisons la sixième édition du Festival du film d'Oukacha, du 16 au 19 décembre 2025. Avec les projections, nous organiseront aussi des stand-ups, à travers lesquels les jeunes détenus verbalisent leur récit de vie antérieure à la prison. Il y a beaucoup d'éléments dans le film qu'on peut utiliser pour la sensibilisation, notamment la question du genre. Ces journées sont l'aboutissement de trois mois de travail au cours desquels les jeunes s'occupent à écrire, à raconter leurs histoires, à exprimer leurs impressions et leurs vécus, avec des cinéastes, des réalisateurs qui viennent bénévolement tenir des ateliers pour leur transmettre des notions d'écriture scénaristique et de prise de vue avec la caméra.