Il est actuellement l'un des très rares comédiens marocains âgés "encore en fonction", si l'on ose dire ! Militant de la première heure, Abdeljebbar Louzir a su allier politique et art dans les années 40 et 50, lors de la lutte contre le colonialisme français. Cela lui a valu encore plus de respect et d'admiration d'un public qui voyait en lui un artiste exemplaire. Cela approche donc la soixantaine d'années que ce brave comédien marrakchi lutte avec acharnement afin de faire triompher la cause d'un théâtre propre, convaincant, digne et généreux. La Gazette du Maroc : On sait que votre condition est des plus modestes. Alors, en premier, dites-nous franchement si le domaine artistique vous a été d'un quelconque secours matériel dans votre vie de famille ? Abdeljebbar Louzir : Vous savez, de ce côté-là, je ne suis pas du genre à me plaindre. Je garde mes souffrances et mes privations pour moi. Tout ce que je peux vous dire, c'est que moi, j'ai beaucoup donné au théâtre... Toujours dans le même sillage, on sait aussi que vous avez été un militant de la première heure au sein de la cellule patriotique de Marrakech, lors de la lutte menée par les nationalistes marocains contre le Protectorat français ; en avez-vous tiré, aujourd'hui, un quelconque profit matériel ? Cette question est identique à la première, même si c'est dans un volet différent. Moi, j'ai servi mon pays, j'ai accompli un devoir sacré comme tous les Marocains, et c'est tout. Vous avez été l'un des principaux fondateurs de la célèbre Troupe "El Ouafae el mourrakouchia" dans les années soixante. Pourquoi ne donne-t-elle plus signe de vie aujourd'hui ? C'est que la mort (et parfois la maladie) a arraché un certain nombre de ses membres. Mais, rassurez-vous, "El ouafae el mourrakouchia" existe toujours dans le coeur et dans l'esprit du public. Quel souvenir vous évoque la fameuse pièce de théâtre "El Harraz" ? Un très beau souvenir. C'est l'une des pièces les plus réussies que j'ai intérprètées dans ma longue carrière. "El Harraz" fait partie de notre patrimoine culturelle. A l'avenir, si mes forces ne m'abandonnent pas, je rejouerai encore et encore cette pièce avec plaisir. A propos d'El Harraz toujours, qui des deux, Abdeljebbar Louzir ou Tayeb Seddiki, a réussi a faire passer mieux le message de ce chef- d'oeuvre du patrimoine culturel marocain comme vous dites ? Chacun de nous a joué la pièce selon son style et son savoir-faire. Ce qui est bien, c'est que le message est passé auprès du public. Tayeb Seddiki, que je respecte et admire beaucoup, a donné à la pièce un certain charme et je l'en félicite. Quel sentiment vous inspire l'ingratitude humaine de plus en plus en vogue de nos jours malheureusement ? Un sentiment de mépris, évidemment. Un ingrat est celui qui manque de reconnaissance et de politesse envers celui qui l'a soutenu, l'a aidé ou lui a rendu service. Et quand on a ce défaut, on prouve sa bassesse et son ridicule. Que Dieu nous préserve des ingrats ! A propos, Abdeljebbar, en tant que simple être humain et non en tant qu'artiste connu, a-t-il beaucoup d'amis à Marrakech et ailleurs au Maroc ? J'en ai énormément. Des gens sincères qui m'aiment et me respectent pour ce que je suis d'abord, et pour ce que je fais en tant qu'artiste, ensuite. J'en ai aussi bien à Marrakech qu'à travers tout le Maroc, j'en suis convaincu. Face à la nouvelle vague de jeunes comédiens qui "monopolisent" le petit comme le grand écran, on fait très rarement appel à des artistes de votre trempe, talentueux mais, disons, un peu trop avancés dans l'âge. Ne trouvez-vous pas cela injuste ? Bien sûr que je trouve injuste le fait de ne pas faire appel aux comédiens un peu (ou trop) âgés. Mais il faut faire plaisir aux téléspectateurs actuels. Peut-être que les jeunes acteurs, que je félicite, en passant, pour leur savoir-faire, ont un talent qui attire plus que celui des vieux ! Sur tout un autre plan, les gens qui dérangent leurs voisins la nuit, sans le moindre ménagement; comment jugez-vous ce comportement incivique et révoltant, de plus en plus courant, hélas, dans les grandes habitations à usage collectif ? Personnellement, je trouve cela déplacé et impoli. Le voisin a droit au respect. Ce qui est bizarre, c'est que ces gens qui dérangent les autres la nuit se mettent à protester, à parler de principes et à se plaindre eux aussi lorsqu'ils se trouvent dérangés par d'autres ! N'avez-vous jamais été sifflés lors de l'une de vos représentations. Si oui, dans quelles circonstances et comment vous en êtes-vous sorti? Je n'ai pas souvenir d'un cas pareil. Quoiqu'il en soit, quand un artiste sur scène respecte le public comme il se doit, ce dernier ne chercherait point à lui nuire ou à le siffler. Vous êtes l'un des comédiens marocains les plus âgés actuellement. Tout en vous souhaitant une longue vie, évidemment, comptez-vous continuer encore malgré les aléas de l'âge et de douleurs de la maladie ? Bien sûr que oui ! Je n'abandonnerai le théâtre qu'une fois sous terre, dans ma tombe. Le théâtre est ma raison de vivre. D'ailleurs, un artiste n'est jamais vieux pour arrêter sa carrière. Prenez le cas du maestro Mohamed Abdelouahab, à 90 ans et avant de quitter ce monde, il a magistralement interprété la célèbre oeuvre "Mine Ghir Lih", vous voyez... Avec le comédien Mohamed Belkass, vous formiez un duo exceptionnel qui ralliait les suffrages du public. Après sa regrettable disparition, pourquoi n'aviez-vous pas tenté de renouveler cette belle expérience réussie ? Renouveler l'expérience, je le veux bien, mais il faut d'abord trouver avec qui. Avec Belkass, c'était une présence, une amitié d'une cinquantaine d'années. Entre nous, c'était une complémentarité tant en ce qui est de la mentalité que du côté artistique. Si l'occasion se présente de participer à une oeuvre dramatique télévisée, sur quel chaîne préféreriez-vous passer : sur la Une ou sur la Deux ? Là, je n'ai pas de préférence. Sur TVM ou sur 2M, le public reste le même. On s'adresse à des Marocains avant tout. Alors, le choix de la chaîne importe peu. Un mot sur un sacré bonhomme, pour ne pas dire une légende, qui a, lui aussi, fait la gloire artistique de la ville de Marrakech, Haj Hamid Zahir ? Ah oui ! Haj Hamid Zahir est l'un des monuments de la ville de Marrakech. Il a beaucoup donné à sa ville natale et à son pays. Et je ne sais pas ce qu'on attend pour lui rendre l'hommage qu'il mérite ! Si quelqu'un s'obstine à vous vouloir du mal, chercheriez-vous à vous défendre par n'importe quel moyen ou à vous en éloigner sans le brusquer et le plus discrètement possible? A m'éloigner de lui. De nature calme et pacifiste et pas rancunier du tout, je préfère m'éclipser tout en le laissant face à sa conscience. C'est la meilleure des revanches, vous ne trouvez pas ? Trouvez-vous un plaisir, voire une certaine fierté à ce que les gens vous reconnaissent dans la rue et viennent vous saluer et demander de vos nouvelles artistiques ? Evidemment, cela me fait plaisir qu'on vienne s'enquérir de mon état de santé ou qu'on me demande de mes nouvelles artistiques. Cela me rend fier de ce que je fais et m'incite à vouloir faire encore plus pour ce public très aimable et très reconnaissant. Y a-t-il une question qui n'a pas été posée à Abdeljebbar lors du présent entretien en vrac et à laquelle Louzir aimerait bien répondre ? Hum ! Pourquoi Abdeljebbar Louzir qui ne porte du ministre que le nom ! n'a-t-il pas beaucoup d'argent pour mener aisément sa vie ?