Alors que les Libanais veulent croire que le déploiement d'une force multinationale est imminent, ce qui se passe sur le terrain et au niveau des tractations en cours entre les grandes puissances, prouve le contraire. La guerre du Liban serait-elle en train de «contaminer» la région du Moyen-Orient ? La réponse sera connue dans deux semaines… Ce ne sont pas les massacres dus aux bombardements des avions et des chars israéliens ni les menaces d'Ehud Olmert, qui inquiètent le plus les Libanais ; mais plutôt le silence de mort émanant des pays arabes. Le boycott par ces derniers, jeudi dernier du sommet de l'organisation du Congrès islamique tenu à Kuala Lampur, les a tellement choqué. Au point qu'un échantillon de cette population rencontrée par La Gazette du Maroc n'a pas hésité à dire qu'elle priait jour et nuit afin que cette guerre se propage pour atteindre tout ce monde arabe non seulement impuissant, mais qui ne cesse d'assurer la couverture à l'armée israélienne. On s'en fiche si le roi de Jordanie Abdallah II qualifie maintenant les attaques israéliennes de barbares, et si le président égyptien, Moubarak, déclare que l'Etat hébreu a franchi les lignes rouges. L'essentiel que ces deux chefs d'Etats arabes qui avaient signé des traités de paix avec Tel-Aviv, révisent leurs positions et décident de rompre leurs relations avec les Israéliens, commente avec amertume un ancien Premier ministre libanais. Les Libanais, habitués aux guerres civiles et aux invasions consécutives des Israéliens, ne craignent pas le présent ; moins encore les difficultés de reconstruction de leur pays, mais son avenir au cas où la région entre dans une guerre généralisée. Les analystes politiques sur place sont affirmatifs quant à une telle éventualité. Ces derniers qui suivent de très près et heure par heure le développement de la situation militaire sur le terrain ainsi les divergences des points de vue auxquels sont confrontées les discussions entre Français et Américains à propos du déploiement d'une force multinationale, estiment que cette guerre ira facilement au-delà de ses 45 jours. D'autant, qu'ils ne se font aucune illusion sur la tenue annoncée d'une réunion des ministres arabes des Affaires étrangères à Beyrouth. Surtout après que des responsables de l'administration américaine dont entre autres, l'ambassadeur auprès du Conseil de sécurité, John Bolton, a laissé entendre, vendredi soir, dans les couloirs de l'ONU que les chances d'envoyer une force internationale au Sud Liban ne sont pas aussi faciles. Ce, même si le secrétaire général, Kofi Annan, et ses lieutenants déclarent depuis quelques jours que le cessez-le-feu sera arrêté dans 24 heures. Le défilé des émissaires américain, européen, depuis samedi, dans la capitale libanaise et leurs rencontres avec les responsables, en premier le chef du gouvernement, Fouad Sanioura, qui a déjà présenté un plan de neufs points pour appliquer un cessez-le-le feu viable, laisse pourtant des espoirs. Surtout qu'il sera relayé, dans deux jours par l'arrivée des chefs de la diplomatie arabe. Ce qui a incité un membre du gouvernement libanais à souligner : «Si les pays arabes n'ont pas eu quelque part des confirmations concernant une solution rapide en vue, ils n'auraient jamais envoyé leurs ministres des affaires étrangères à Beyrouth» ; et ce ministre de poursuivre : «Il est certain qu'ils ne se rendent pas dans la capitale libanaise pour afficher le soutien politique, économique de leur pays. Quant au soutien militaire, il n'en a jamais été question». De source proche du ministre saoudien des Affaires étrangères, on apprend que Riyad, l'Egypte et la Jordanie tenteront lors de cette réunion ministérielle d'adopter le plan proposé par le Premier ministre libanais qui a eu l'aval du conseil des ministres. En tout état de cause, force est de noter que l'Etat libanais et la direction du Hezbollah ont suivi de près, vendredi soir, les négociations massives et secrètes qui se sont déroulées entre les Etats-Unis et la France. Ces dernières visant à se mettre d'accord sur la rédaction d'un projet de résolution concernant le Liban. Un accord qui devra lier l'appel à «stopper les hostilités», la «suspension des hostilités», d'une part ; et, de l'autre, un accord plus vaste, aboutissant à un «cessez-le-feu» durable. Les milieux de l'organisation onusienne considèrent qu'il y a de fortes possibilités pour qu'une de ces résolutions soient adoptées en début de cette semaine. Notamment si la Russie et la Chine agissent positivement à l'égard de la proposition américano-française, soutenue par la Grande-Bretagne. Quatre types de forces internationales Quoi qu'il en soit les évaluations, les positions internationales et régionales sont contradictoires sur le plan politique. Elles sont loin d'être homogènes avec les solutions proposées. En effet, Ehud Olmert prétend qu'il n'acceptera pas un cessez-le-feu avant le déploiement d'une force multinationale qui aura pour mission de désarmer le Hezbollah. De son côté, le secrétaire général de La Ligue Arabe, Amr Moussa, critique ouvertement ceux qui appellent à un déploiement de nouvelles forces . Il annonce, par ailleurs, son soutien inconditionnel du plan proposé par le premier ministre, Fouad Sanioura, portant sur le renforcement du rôle de la Finul, présente depuis 1978 aux frontières israélo-libanaises. Pour ce qui est de la position française, celle-ci relie le principe d'une solution politique au cessez-le- feu. Elle se différencie, cependant, de celle des Etats-Unis. Cette dernière considérant qu'il serait impossible d'arriver à une solution politique au Liban sans l'accord avec la Syrie et le Liban. Washington est convaincue que le Hezbollah mène cette guerre à la place de ces deux Etats qui lui ont assuré armes et argent et aussi le soutien politique. De ce fait, l'administration Bush appelle le gouvernement Olmert à s'abstenir à faire la moindre concession. Car les Etats-Unis sont conscients que l'enlisement d'Israel dans le bourbier libanais, l'obligera dans l'avenir prochain à frapper Damas et Téhéran. Dans ce contexte, les experts militaires israéliens soulignent que certains faucons de la Maison-Blanche poussent Olmert à frapper la Syrie et l'Iran parce que, d'après eux, l'ouverture de ces deux fronts atténueront les pressions sur celui de l'Irak. Dans une analyse publiée par Isaac ben Israel, le général à la retraite et l'actuel président du programme des études sécuritaires à l'Université de Tel-Aviv, ce dernier conseille d'éloigner le bras militaire iranien des frontières de l'Etat hébreu. Ce militaire expérimenté estime dans ce sens que le Sud Liban est la seule région du monde arabe où Téhéran avait réussi à exporter sa révolution islamique. Il est également le seul endroit où Damas aurait pu réduire les pressions d'Israel sur elle. Ainsi, cet ancien général voit une nécessité de changer cette donne en attirant directement ces deux Etats profitant du front libanais dans la bataille. Reste à savoir maintenant jusqu'où pourraient aboutir les divergences sur la nature des forces multinationales et sa composition ? Il n'y a aucun doute, les contradictions existant entre les grandes puissances reflètent un rejet du plan proposé par le gouvernement libanais. Ces dernières considérant que la Finul a été usée, devenue une force dépassée par les évènements et par les épreuves. D'autant qu'elle n'avait pu empêcher cinq invasions par l'armée israélienne du Liban dont le plus important celui de la capitale Beyrouth l'été de 1982. En tout état de cause, le gouvernement libanais mise sur une solution politique. Notamment parce qu'il estime que l'échec de la Finul est dû à l'échec des arrangements politiques. De ce fait, les frontières israélo-palestiniennes sont condamnées à accepter quatre types de forces internationales. Le premier consiste à créer une force qui aura pour tâche de superviser les accords signés entre deux Etats ; une force semblable à celle concrétisée entre l'Egypte et Israel concernant la Sinaï, connue sous le nom de MFO. Le deuxième type de force, il ressemble à la Finul. Son rôle consiste à présenter des rapports à l'ONU sur ce qui se passe là où elle est déployée. Le troisième, la force sera chargée d'appliquer les lois et la stabilité comme c'est le cas au Kossovos où la sécurité est du ressort des forces de l'OTAN. Le quatrième type de force est du genre de celle qui entre en scène militairement pour imposer les lois et la stabilité au nom de certains Etats. C'est le cas des forces de l'OTAN en Afghanistan. Le plus important dans cette question libanaise complexe, c'est que les Etats-Unis, Israel, en plus de cinq pays européens, tentent tous de déployer une force internationale qui aura une double mission : d'une part, contrôler les frontières israélo-libanaises ; et, de l'autre, celles du Liban avec la Syrie comme cela a été le cas en 1958 lorsque les forces onusiennes se sont déployées pour contrôler les mouvements des contrebandiers d'armes. Face à ces différents plans, le gouvernement libanais tient à refuser tous les types de force car ils ne conviennent pas aux solutions souhaitées. Beyrouth préfère envoyer son armée au Sud, conformément à la résolution 425, aux accords de Taëf et le traité de trêve de 1948, et, aussi l'application de la résolution 1959. Tout cela sera possible si le Hezbollah accepte cette solution provisoire. Si le choix du gouvernement libanais sera rejeté par les grandes puissances ou par le Hezbollah, le Liban risquera de plonger graduellement dans une situation d'anarchie généralisée semblable à celle de l'Espagne des années 30. En d'autres termes, une scène ouverte à une guerre qui attirera tous les conflits de la région. Quoi qu'il en soit, le Liban et avec lui les Etats de la région se sont lancés déjà dans une course contre la montre entre la guerre et la paix. Le résultat de la guerre ouverte depuis un mois au Liban fixera le sort de plus d'un acteur, en premier celui du Premier ministre israélien, Ehud Olmert. Mais ce que craignent en plus les Libanais aujourd'hui, c'est le retour des divergences entre les différentes communautés libanaises après une solidarité exemplaire tout le long de cette dernière rude épreuve. Alors que les chiites libanais ont peur d'une volte-face des sunnites, alliés désormais à la moitié des druzes et des trois quart des chrétiens, le tout soutenu par l'Arabie Saoudite et l'Egypte, cette partie des sunnites, représentée par le fils Hariri, craint qu'une victoire ou un dos à dos entre Israel et le Hezbollah, poussera ce dernier à imposer ses lois. Même si cheikh Hassan Nasrallah avait exclu catégoriquement une telle éventualité. Dans tous les cas de figure, la situation reste complexe. Ce que savent parfaitement les Etats-Unis, Israël, d'une part ; et, de l'autre, la Syrie et l'Iran.