Parfois, un seul événement suffit à réécrire la vie. Pour Ikram Ameur, la maternité a été ce moment décisif. À Madagascar, où elle a trouvé un nouvel espace pour elle-même, le désir de s'exprimer a émergé de son silence. Elle s'est tournée vers l'écriture pour raconter ce qu'elle voit et vit, pour construire sa propre identité littéraire en tant qu'écrivaine indépendante. D'une famille originaire d'Oujda, Ikram Ameur a aussi des racines diverses, son père étant d'Angad et sa mère de Moussaoua. Née quant à elle en Seine-Saint-Denis (93), elle garde de son enfantce passée en France un souvenir joyeux, ainsi que l'ambiance familiale bâtie sur le partage et l'entraide entre voisins, amis et proches. Sans passion claire, elle a par ailleurs suivi un parcours universitaire dans les ressources humaines en alternance, pour se trouver enfin sur le marché du travail. Parallèlement, l'idée de vivre à l'étranger l'a toujours accompagnée. Elle a souvent imaginé son avenir aux Etats-Unis, au Canada ou en Angleterre. Le destin l'a finalement conduite vers une destination africaine : Madagascar. Elle prend son envol après avoir trouvé là-bas une opportunité d'emploi, dans un environnement bien différent de celui qu'elle connaît. Installée en avril 2015, elle a prévu d'y rester que deux ans. Mais les années ont passé et son expérience là-bas est devenue une partie importante de sa vie et de sa carrière. «Rubik's ta vie !», un roman qui répeint les humains comme des cubes aux multiples facettes Dans la capitale malgache, elle a établi un département de relations clients pour une entreprise de saisie de données, avant de progresser vers des postes à responsabilités dans plusieurs institutions. Bien que le travail soit motivant, sa vision professionnelle a changé après la naissance de sa fille. Elle a commencé à prendre ses distances de nombreuses pratiques dans le monde du travail, où il manque un côté humain. Auprès de Yabiladi, elle se souvient d'un milieu «où il n'y a pas de véritable place pour l'empathie ou la compréhension, au sein d'un modèle capitaliste patriarcal qui privilégie les résultats sur les personnes». Ce changement l'a poussée vers des projets plus alignés avec ses convictions. Elle a créé une marque de produits pour enfants faits main à Madagascar, puis elle a lancé une ligne de vêtements recyclés. Cependant, une obsession plus forte grandit en elle : transmettre quelque chose de profond à sa fille qui incarnerait les valeurs auxquelles elle croit, à travers l'écriture. L'écriture en elle-même n'est pas un élément nouveau pour Ikram. Son premier texte est un poème contre le racisme, rédigé à l'âge de 11 ans, si bien accueilli par ses enseignants qu'elle l'a lu à la fin de l'année devant le public. Plus tard, l'écriture est devenue un exutoire dans son journal. Elle a commencé à noter ses observations sur les passagers des transports en commun, inventant des histoires pour eux. En résumé, ce rituel est devenu pour elle «un refuge et un espace pour exprimer les choses non dites, mais aussi un miroir reflétant le désir de narrer la réalité de manière plus profonde». Malgré cette passion, la peur des perceptions des autres et le «syndrome de l'imposteur» l'ont amenée à retarder son projet d'écriture pendant de nombreuses années. Mais son désir de laisser un héritage à sa fille l'a finalement poussée à explorer la littérature. Elle sort ainsi son premier roman, «Rubik's ta vie !». L'opus suit le personnage d'Ibtissam, une jeune femme confrontée aux défis de son époque sans toujours réaliser les obstacles sur son chemin. Le livre aborde aussi des thèmes de diversité culturelle, de singularités et d'identité personnelle, ainsi que le racisme, le sexisme et les relations toxiques. Sans faire de ces thèmes des slogans directs, elle les intègre naturellement dans le cours de la vie quotidienne. «J'ai choisi le Rubik's Cube comme symbole pour le roman, car il ressemble aux humains : il a plusieurs faces qui ne sont pas vues toutes à la fois, changeant constamment et s'emboîtant pour former une nouvelle image à chaque fois.» Ikram Ameur Avec un style conversationnel proche du lecteur, un ton mêlant humour et références à la culture populaire dans la musique, le cinéma et le théâtre comique, Ikram a façonné sa première œuvre avec une confiance croissante. Son conseil : Ecrivez comme si personne ne lisait Elle dit qu'elle n'a pas rencontré de difficultés dans l'écriture elle-même. Une fois qu'elle a trouvé son style, tout a coulé de source. Cependant, le véritable défi a commencé après la sortie du livre. Le marketing et la promotion ont été des tâches ardues demandant un grand effort. C'est pourquoi, elle a choisi l'autoédition, d'autant que le chemin par les maisons d'éditeurs est long et sélectif, surtout pour ceux qui manquent de réseau dans le domaine. Elle note également que de nombreux auteurs vivent difficilement de l'écriture. Aujourd'hui, Ikram est responsable de toutes les étapes de son projet littéraire, de l'écriture au marketing, sans stratégie spécifique. Elle expérimente, fait des erreurs, apprend et continue d'aller de l'avant. Elle s'appuie par ailleurs sur sa forte observation des gens, du langage corporel et des signaux non verbaux. Elle décrit son imagination comme un «tsunami», rassemblant des idées et les transformant facilement en récit lorsque l'observation rencontre l'inspiration. Dans les moments de doute, elle se tourne vers sa sœur, qui a accompagné son processus créatif pas à pas. Bien que l'écriture soit désormais une partir intégrante de sa vie, elle ne la voit pas comme ayant significativement changé sa vie personnelle jusqu'à présent. «L'écriture était une échappatoire, un espace pour l'imagination et le drame doux que j'adore. Je suis un peu une drama queen. Le papier me donne le droit à une belle exagération !», nous déclare-t-elle. Ikram envisage actuellement la sortie de son deuxième livre. Elle dit avec un sourire : «Peut-être que le deuxième révélera le premier davantage... Dieu sait». Elle a conclu en conseillant à quiconque rêve d'écrire et craint de se lancer sans appréhensions. D'après son expérience personnelle, «écrivez comme si personne ne vous lira... c'est alors seulement que la vérité émerge».