Rih Labhar (l'odeur de la mer) est le titre du nouveau film d'Abdelhaï Laraki, le réalisateur de Mona Saber a choisi pour ce nouvel opus une histoire de maffia, de règlements de comptes, de vendetta et de solidarité sociale. Le tout sur fond de lutte contre la drogue, les barons du haschich et autres pontes locaux du Nord du pays. Un film à mi-chemin entre le film du genre et le cinéma d'auteur. Il y a deux façons de faire du cinéma : raconter une histoire d'abord, puis apporter dans l'histoire racontée une vision du monde. Sans trop donner dans les clichés, genre cinéma d'auteur, cinéma tout court, «Rih Labhar», la dernière livraison du réalisateur Abdelhaï Laraki rassemble ces deux données pour en faire un film du genre, un polar noir, un film de truands, dans le pur style maffieux, avec cette réflexion toute en nuances sur une certaine réalité marocaine. Une situation qui tombe à point nommé pour décrire le monde clos des gros calibres du trafic de la drogue et autres lascars en goguette. Ici l'ombre des Erramach, Bin Louidane, les frères Echaâri, Zerhouni et d'autres se profile en filigrane pour donner un ancrage solide à un récit mené avec maîtrise par le réalisateur. D'ailleurs, le scénario en soi est une réussite. C'est une histoire très politique qui prend corps dans un village de pêcheurs du Nord du Maroc. Il est très vite question d'une vengeance où les habitants du patelin seront obligés de faire face à l'horreur d'un maffieux local. Nous sommes de plein fouet devant un polar qui se veut résolument noir. C'est une petite bourgade, un peu isolée qui suit les aléas des saisons sans trop se préoccuper de ce qui se trame autour d'elle. La mer devient alors un personnage à part entière dans une histoire où l'on sent les protagonistes vibrer avec chaque vague, remonter le cour de la vie et des choses comme d'autres vagues viennent lécher le sable mouillé avant de charrier à leur retour les sédiments d'une vie ancrée dans le temps et l'insouciance. Ambiance bon enfant La caméra gonfle ce personnage présent-absent qu'est la mer et en fait le nœud même de son récit. La mer nous encercle ; elle ronronne, elle gronde, elle crache sa colère, elle apaise le cœur et lave le tout d'un simple jet de vagues. Abdelhaï Laraki nous met d'emblée dans une ambiance bon enfant faite de rires et de joie de vivre. Rien n'est plus serein que ce village où tout le monde se connaît et s'aime, où des amitiés se nouent, des rêves éclosent et des lendemains meilleurs semblent permis… Le réalisateur prépare le terrain pour faire un virage à 180 degrés. Noir, c'est noir Un crime est commis, une jeune fille est tuée par un chauffard saoul. Son père plonge dans le désespoir, alors que la justice sera incapable de l'aider à mettre sous les verrous un assassin arrogant. La parabole de la justice absente prend ici tout son sens dans une scène à la fois drôle et tragique où le réalisateur nous livre une mascarade judiciaire, une parodie de procès digne des films les plus cocasses. C'est là que tout un village se trouve pris en tenailles entre le bonheur détruit et la volonté de venger une fille et son père bafoués par un sinistre personnage, Driss. C'est à ce moment que se précise toute une panoplie de personnages qui sont autant d'archétypes pour délimiter les ratages du bien et les aléas du mal. D'abord Simo, le père, pris au piège de la haine et de la colère. “C'est un homme simple, sans instruction, qui vit le plus sereinement du monde. Il est seul et ne pense qu'au bonheur de sa fille. Après le crime et l'incapacité de la justice devant le pouvoir du parrain, il devient un autre personnage. Il décide de venger la mort de sa fille…”, explique le réalisateur. Le père sera relayé par un nouveau venu au village, un certain Mahmoud, un personnage étrange. Le cinéaste dira de lui : “c'est un homme qui traîne dans un village où il vient à peine de débarquer, un luth à la main. Il donne l'air d'avoir vécu des choses terribles dans sa vie. Mais personne ne connaît son histoire. Il devient très vite l'ami de Simo qu'il soutiendra tout au long de son malheur. Il sera l'un des personnages-clés du film…”. Il y a aussi le flic, le jeune inspecteur qui traque le parrain sans jamais pouvoir lui mettre la main dessus. Viennent ensuite Naïma, l'institutrice qui est aussi l'âme de ce village et Ba Mohamed, qui est “la mémoire du village, le garant de l'histoire de tout un monde”. Abdelhaï voyage à travers tous ces visages sans jamais écorcher leur intimité. C'est cette retenue, cette sobriété dans le traitement qui donne à ce film toute sa profondeur. Abdelhaï Laraki ne se soucie pas des détails superflus, il ne laisse aucune place à l'aléatoire. Les séquences s'enchaînent dans un flux continu de sensations. Les personnages sont tellement bien dépeints qu'on saisit leurs réactions d'avance. Et le tout nous mène vers un final en crescendo où les blocs en béton du port servent de point final à un polar haletant.