L'espace d'un week-end, Ourazazate a vibré au rythme des meilleures troupes d'Ahwach venues du Sud du Maroc. On aime ou on n'aime pas. On comprend ou on ne comprend pas. Peu importe, le spectacle de Ahwach ne laisse pas indifférent. Ce spectacle de danses, d'improvisations poétiques, de percussions et de chants individuels et collectifs, ces chorégraphies spontanées où l'on retrouve la main invisible d'un maestro enfoui dans les dédales de l'inconscient d'une troupe pourtant hétéroclite ; du spectacle, il y en avait à Ouarzazate, ce week-end dernier. Pour qu'un Ahwach soit réussi, il faut que les trois principaux personnages, le raïs avec ses percussions, le premier danseur (ou a'allâm) et le joueur de flûte métallique (tal'uwât ou awwasa) règlent leur rythme dans une symbiose totale. C'est le musicien qui gère le rythme en captivant aussi bien l'assistance que ses propres collaborateurs. Le poète, quant à lui, offre ses vers dans une scansion délibérée, pour que le choeur les répète après lui. Le rythme, le chant nous mènent parfois vers quelque mémoire enfouie de l'art populaire, quelque rive de cette langue intraduisible des sentiments culturels inconscients, ceux dont les chants nous livrent la résonance et nous retient le sens. De cette façon, c'est l'archéologie d'une plainte amoureuse, douloureuse et sacrée qui anime ces danseurs et ces danseuses. Peut-on danser le Ahwach comme on danse le rock ? Question incongrue à laquelle répondent pourtant des jeunes berbères, au crâne rasé et au jean délavé, qui n'ont aucun complexe à suivre le rythme des percussions et à déclamer les vers au contenu simple mais profond où l'individu est célébré dans son attachement viscéral à la terre. Mais pas dans le sens chauvin du terme car, Ahwach c'est aussi l'ouverture sur les autres, une remémoration du passé, la célébration du présent et le rêve de l'avenir… Promotion de la région Dans cette chorégraphie, les femmes ne sont pas un élément de décor, au contraire, la douce moitié de l'homme est en face de lui, à ses gestes irrationnels, elle répond par le rythme, par la chanson, les circonvolutions du corps dans une grâce sans cesse renouvelée. Le corps n'est plus objet de désir mais chaque pas, chaque geste est une lecture à mettre sur le compte d'une souffrance commune. Si chaque région a son propre Ahwach qui peut être mixte ou non, quand les deux sexes sont là, le groupe des femmes n'est pas derrière mais plutôt en face ou autour des hommes. Une disposition géographique qui vaut son pesant d'or dans une société où la femme n'a traditionnellement pas sa place. Ce qui fait dire à un professeur que «Ahwach n'est pas un objet marchand, il exprime plutôt la proximité, la sagesse et il permet de maintenir le lien intergénérationnel». Remarque juste puisque, là encore, le rythme semble bien se moquer des âges. Les gradins sont pris d'assaut par des hordes d'adolescents qui en veulent pour leur jeunesse. Ce saut créatif poussant à l'extrême l'interprétation subjective née dans les montagnes de l'Atlas, avec ses codes secrets, représentant sans doute la voix du peuple amazigh tout entier. On peut d'ailleurs se demander pourquoi ces rythmes ancestraux ont encore du succès auprès de cette jeunesse. «On ne peut pas répondre. C'est vrai que le Ahwah nous remue, mais s'agit-il d'une nostalgie d'un passé qu'on n'a pas connu mais dont on a entendu parler, ou d'une manière pour nous de réagir à l'hégémonie de la chanson arabe et du rythme occidental ? Il nous est difficile de trancher», explique Mohand, un jeune étudiant berbère, qui avoue son angoisse de voir cet art se «pipoliser», qui évolue vers une «folklorisation pure et simple» ? Ce genre est-il en voie de disparition? Autrement dit, comment sauver cet art populaire de la marchandisation croissante des musiques. Car ce divertissement qui peut être également l'occasion de résoudre un conflit interne à la tribu, est en voie de disparition. Pour le chercheur Omar Mourabit, la question est opportune, puisque le Ahwach est en mutation constante, ce qui n'est pas sans danger pour sa survie : «Nous avons perdu plusieurs genres d'Ahwach, cette catégorie n'a pas su garder ses caractéristiques d'antan, son authenticité, car tout se développe en réaction avec le développement de la réalité quotidienne». Malgré ce souci puriste, force est de constater que le Festival Ahwach ne peut échapper à la problématique commerciale. «Qu'on le veuille ou non, la frontière est ténue entre le caractère « culturel » du spectacle et des activités qui en découlent et l'obligation d'assurer sa pérennité par un marketing adéquat», fait remarquer Abdessadek El Alem, directeur du festival. Une opinion partagée par bon nombre d'intervenants. Face à l'usage du marketing, les professionnels s'accordent à reconnaître que le marketing du spectacle peut être abordé en mobilisant les mêmes méthodes que le marketing des produits de consommation, mais que les contraintes propres au culturel, rendent nécessaire une adaptation de ce marketing, qui profitera au festival dans tous les secteurs d'activités. En témoigne le succès de certains festivals comme celui d'Essaouira ou encore celui des musiques sacrées de Fès.. Parce que l'art, c'est aussi ce que l'on vise via des politiques culturelles centralisées, via des courants militants, via l'économie des productions et la promotion du genre dans des contrées toujours plus lointaines. Les 6 commandements du festival Ahwach • Faire connaître le patrimoine culturel de la Province de Ouarzazate et sa région, le revaloriser et garantir sa pérennité. Préserver le patrimoine et enraciner l'esprit de citoyenneté. • Mettre en valeur la pluralité de l'art d'ahwach. • Participer au développement culturel et touristique de la Province. • Positionner le festival Ahwach de Ouarzazate dans le peloton des évènements culturels nationaux . • Faire du festival Ahwach un levier du développement durable de la région. • Créer un espace de dialogue artistique entre l'art d'Ahwach et les autres composantes du patrimoine marocain.