La Gazette du Maroc : On dit souvent que «la santé tue au Maroc» ou bien «l'hôpital, ce grand malade», pour en traduire les déficits structurels et fonctionnels en la matière ? Quel est votre point de vue sur cette problématique? Dr Naciri Bennani Mohamed : Ce qui tue au Maroc, c'est le handicap à l'accès aux soins médicaux, qui est d'ordre financier vu le pouvoir d'achat très faible pour un grand nombre de nos concitoyens et le manque de couverture des dépenses de soins de santé pour presque 70% de la population marocaine. Ce qui tue aussi, c'est le charlatanisme et l'automédication qui font perdre des chances de guérison pour des malades qui arrivent chez le médecin ou à l'hôpital, en stade très avancé de la maladie. Les exemples sont très nombreux et dramatiques, c'est la raison pour laquelle je considère que c'est un crime de faire perdre une chance de guérison à un patient, et c'est pour cela qu'il faut arrêter la vente de médicaments sans prescription médicale, et aussi mettre fin au charlatanisme, et surtout celui qui commence à se pratiquer dans notre pays au nom de la pratique médicale, comme ce qu'on appelle «HIJAMA» par exemple. On reproche souvent aux médecins du secteur privé de corser les ordonnances de médicaments et d'entretenir des relations «commerciales» avec les pharmacies? Quelle est votre version des choses? La polémique autour du médicament générique et sur la prescription médicale a été utilisée pour essayer de compromettre l'indépendance de la pratique médicale et pour essayer de faire porter le chapeau au médecin, qui est seul responsable et garant du diagnostic et des soins de son malade, le but est de camoufler l'incompétence de ceux qui ne savent parler de couverture médicale ou de convention avec les prestataires de soins qu'en termes de maîtrise des dépenses sur des critères exclusivement comptables, et ne veulent pas comprendre que la meilleure optimisation des dépenses doit être recherchée dans d'autres domaines, tels que la promotion de la médecine préventive et la médecine ambulatoire. Il n'est pas possible de traiter le secteur de la santé comme d'autres secteurs de la société. Il existe dans ce domaine deux dimensions spécifiques primordiales : la dimension éthique et la dimension humaine, et il est impératif d'en tenir compte. En ce qui concerne les médicaments, nous ne sommes pas opposés au développement des génériques, mais il faut que les médicaments génériques présentent les garanties pharmaco-dynamiques nécessaires, et c'est la raison pour laquelle nous avons demandé qu'il soit exigé une étude de bioéquivalence avant de donner l'autorisation de mise sur le marché marocain d'un médicament Générique. Je saisis cette occasion pour saluer la décision de Madame la ministre de la Santé de rendre obligatoire cette étude de bioéquivalence avant de donner l'autorisation au laboratoire fabriquant de mettre sur le marché marocain un médicament Générique Qu'en est-il de la polémique qui avait suivi la politique tarifaire décidée par l'ANAM (Agence nationale d'assurance maladie) et la grille des prix ? Les prix des consultations sont-ils respectés par vos confrères? Le médecin marocain se trouve confronté à l'exercice illégal et informel de la médecine sous toutes les formes de la concurrence déloyale, sans compter les impôts des crédits très lourds contractés, au-dessus de sa capacité de remboursement, ainsi qu'une pression fiscale pesante et démesurée. Et malgré ces contraintes, il n'a pas augmenté le tarif de la consultation depuis plus de 15 ans, contrairement aux charges qui ne cessent de croître. Je rappelle aussi que nous avons signé avec les gestionnaires de l'AMO une convention Nationale le 28 juillet 2006, un 1er avenant en janvier 2007 et un 2ème avenant en janvier 2008, dans le but de participer à la construction d'un système conventionnel garantissant à tous les assurés sociaux l'accès à des soins de qualité dans le respect du libre choix du malade et de la liberté de prescription du médecin. Et le 13 avril 2007 nous avons présenté une proposition de révision tarifaire pour se conformer avec la nomenclature générale des actes professionnels NGAP publiée au BO du 27 Janvier 2006. Malheureusement, cela n'a pas plu à l'ANAM qui n'a pas accepté d'inscrire notre proposition à l'ordre du jour des réunions de la commission de suivi, en plus elle a violé les articles 20 et 21 de la convention signée en juillet 2006, ce qui a entravé le bon fonctionnement de la commission de suivie de la convention nationale. Il faut aussi rappeler que jusqu'à ce jour la CNOPS n'applique pas la tarification nationale de référence, et rembourse sur la base d'une tarification qu'elle appelle tarification de responsabilité et de ce fait, la consultation chez un médecin généraliste est remboursée sur la base de 40 DH au lieu de 80 DH, et la consultation chez le médecin spécialiste est remboursée sur la base de 60 DH au lieu de 150DH. Notre objectif est la maîtrise de l'évolution des dépenses par le «bon usage des soins», mais la maîtrise, au profit des malades, d'une médecine de qualité au meilleur coût.