Khalid Alioua expose sa vision pour Casablanca Khalid Alioua est membre du Bureau politique de l'USFP et député de Casa-Anfa. Il occupe les fonctions de ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Il se présente à Casablanca à la tête de la liste de son parti à l'arrondissement de Sidi Belyout. La Gazette du Maroc : dans une récente déclaration à l'hebdomadaire Assahifa, vous avez estimé que Casablanca, à l'instar d'autres villes du pays, a été vidée de ses élites. A qui imputez-vous la responsabilité de ce constat inquiétant : aux partis politiques, à l'administration, à l'évolution de la situation politique … ? Khalid Alioua : les élections locales sont la base qui permet aux élites d'émerger. J'ai dit à ce sujet que ce sont les mécanismes de production des élites qui ont été cassés à Casablanca. Pendant 25 ans d'affilée, les élections ont été falsifiées, manipulées pour permettre d'imposer des élus qui ont étouffé les capacités réelles de la ville. Résultat, des cadres compétents qui auraient pu s'insérer dans la gestion locale ont été obligés de trouver des échappatoires ailleurs. Le champ politique a ainsi été verrouillé, et une structure politico-administrative a été imposée. A mon sens, tout le monde a été victime de cette mauvaise gestion humaine et administrative : les partis politiques, les structures locales, et évidemment la société qui s'est retrouvée au bout de 25 ans avec une physionomie politique très affaiblie. Les élections du 12 septembre ont pour objectif de doter la ville d'élites nouvelles et j'espère que les résultats donneront raison à ceux qui pensent que le mécanisme de production des élites va être relancé. L'Usfp considère les élections communales, à côté des législatives, comme un maillon essentiel dans le processus de transition démocratique. Comment le parti perçoit-il les échéances du 12 septembre 2003 et quels enjeux pour l'avenir représentent-elles pour lui? Nous voulons votre point de vue aussi bien en tant que professeur de sciences politiques que membre de la direction de l'Usfp ? Vous soulevez là des questions importantes. Effectivement, on considérait que les législatives du 27 septembre 2002 allaient afficher la preuve de la transition démocratique, car c'étaient les premières élections transparentes du pays. Tout le monde a d'ailleurs reconnu la qualité de ces élections. Maintenant, il est évident que l'on ne peut pas estimer que la transition démocratique soit réussie si l'on se limite à la structure du Parlement. Encore une fois, il faut revenir à la structure de base qui encadre la société et gère les affaires de proximité des gens. Les parlementaires ne font que légiférer au nom des autres, alors que les élus communaux sont des gestionnaires de la vie de tous les jours. Il sera important de voir si demain les élites locales sont réellement capables de gérer la société sur la base de l'éthique et de l'intégrité, pour faire la preuve que la transition démocratique a permis de déverrouiller le système et de l'amener à un meilleur fonctionnement. Le deuxième niveau d'analyse plus global, après ce qui s'est passé le 16 mai dans notre pays, consiste à voir si notre société a pu dégager de nouveaux ressorts pour répondre au phénomène du terrorisme par une prise de conscience qui sera patente dans le taux de participation des électeurs. Le regard externe, international, est lui aussi important : on va nous observer pour savoir si la démocratie a une véritable implantation au sein de notre société. Le principal changement va donc être l'interaction entre l'Etat et le pouvoir local. Ainsi, le jour où la relation entre l'Etat et le pouvoir local sera gérée par le droit, on pourra à ce moment-là dire que la transition démocratique a été réussie. Le système de l'unité de la ville qui va entrer en application à l'issue des élections du 12 septembre constitue-t-il une simple revendication des élites ou est-il une nécessité imposée par les nouvelles méthodes de gouvernance ? La réunification des villes est une décision justifiée, car avec le système qui a eu cours jusqu'ici, le pouvoir local a été éclaté et ses ressources dispersées. Il n'était ainsi pas possible d'appliquer l'économie d'échelle pour les grandes villes : pour ce qui est des moyens humains, matériels ou moyens financiers. En revanche, l'unification des villes rendra solvable financièrement les villes, car en permettant une intégration des ressources, elle leur donnera de meilleures capacités d'endettement. Les bailleurs de fonds nationaux ou étrangers seront donc plus réceptifs à leurs demandes. Tandis que lorsque le système où la ville était éclatée, vous aviez des communes qui étaient très riches, à côté d'autres qui n'avaient aucune latitude de manœuvre financière. Ceci étant, qu'est-ce qui va changer pour la population ? La méthode de travail a été jusqu'à présent une méthode de gestion parcellaire. On traitait les dossiers séparément, commune par commune : le dossier de l'assainissement, le dossier du transport, le dossier de l'habitat etc. Aujourd'hui, le nouveau système introduit deux rythmes : d'une part, le rythme des questions de proximité, c'est-à-dire l'éclairage, le ramassage des ordures etc., et puis le rythme de la gestion stratégique qui concernera les grands dossiers qui intéressent l'ensemble de la ville. Par ailleurs, le nouveau système devrait permettre de répondre à un “minima” des besoins de l'ensemble de la population de la ville en termes d'équipements communaux. Il est, en effet, aberrant que l'on n'ait pas un niveau d'équipement analogue pour les composantes du centre que pour les bidonvilles ou quartiers insalubres qui existent encore un peu partout à Casablanca… On dit que Khalid Alioua dispose d'une vision pour la gestion de la ville de Casablanca. Si vous êtes appelé à la tête de la mairie de la capitale économique, quelles sont les orientations que vous initierez et les priorités auxquelles vous vous attaquerez en premier ? Il va falloir tout d'abord réussir le remembrement de la ville. Comment ? Tout simplement en appliquant ce qui est prévu par la loi. Et la loi dit dans ce cadre qu'il existera un seul budget, un seul appareil, et un seul personnel. Sous son aspect fonctionnel, je pense que l'on ne peut remembrer la ville qu'autour des grands projets, c'est-à-dire ce qui est commun à l'ensemble de la population Casablancaise. Ce sont donc les maux de la ville que l'on devrait cibler, un à un… Procéder au remembrement de la ville, c'est donc s'attaquer aux problèmes du transport, de l'assainissement liquide et solide, de la qualité de l'environnement de la ville, etc. A côté de cette gestion d'envergure qui devrait viser à apporter des solutions globales à Casablanca, il faut s'intéresser à la personnalité internationale de la ville. Casablanca représente, en effet, la porte d'entrée de la mondialisation et de la modernité du Royaume. Malheureusement, on remarque que la capitale économique n'a pas de présence au niveau international. Il va donc falloir développer les flux d'échanges culturels, humains et économiques. Casablanca a besoin d'une politique internationale. Mais il ne faut pas se limiter aux activités de jumelage. Comment financer cette présence internationale ainsi que la solution des grands dossiers ? La méthode que je préconise consiste à mobiliser les ressources internes. Casablanca peut générer au moins 30 % de ressources financières en plus. Il y a beaucoup d'argent qui n'est pas récupéré et il faut s'atteler à cette tâche en priorité car il y a des gens à qui l'on n'a jamais demandé de payer leurs taxes ou leurs autres contributions. Le deuxième canal qui doit être utilisé, c'est la synergie avec les ressources externes. Car il faut se dire qu'on ne gère pas une ville uniquement par ses ressources propres. Voyez comment Beyrouth a été reconstruite, non pas avec les ressources internes qu'elle n'avait d'ailleurs plus à cause de la guerre, mais grâce au système financier. Il faut aujourd'hui arriver à impliquer les bailleurs de fonds nationaux, mais également internationaux, dans la gestion des grands dossiers de la ville de Casablanca qui sont au nombre de cinq : le transport, l'habitat, l'assainissement, la circulation, et l'environnement. Le défi peut être relevé d'autant plus que d'ici 6 ans, Casablanca devrait pouvoir brasser au moins 2 milliards de dollars de budget. Grâce à sa réunification, la ville est considérée comme solvable. Mais ce qui me paraît intéressant, c'est que dès l'identification de ces grands projets, à mon sens, au lieu de les gérer comme des contrats, des marchés qu'on lance ici et là, on a besoin d'un véritable “brainstorming”, un tour de table avec les bailleurs de fonds, et pourquoi pas, procéder à la création d'un consortium de financement. Il n'y a pas de secret : le développement local fonctionne avec le financement. Sans ce dernier, on ne peut rien faire. Donc régler les problèmes du financement, pas seulement en générant les fonds propres, mais en mobilisant également les ressources externes. Et l'on peut y arriver, car je pense que les opérateurs économiques et financiers manifestent un intérêt pour le développement de la capitale économique. Je me suis amusé à faire une petite analyse à partir de l'interrogation suivante : que coûte la marginalisation de la ville de Casablanca à l'économie nationale ? Quand on part du fait que Casablanca représente 50 % de l'activité économique du pays et 60 % de ses ressources fiscales, on peut déduire qu'avec une bonne gestion de la ville, on peut améliorer entre 0,5 et 0,75 le PIB du Maroc. Par conséquent, ce que l'on donnera à Casablanca comme moyens, la ville les rendra à l'économie nationale, contrairement à ce qui peut se passer avec d'autres municipalités. Tout le monde se plaint de la qualité des élus. La capitale économique ne fait pas exception puisque la Communauté urbaine de Casablanca, à cause de l'absentéisme répété de ses membres, n'arrivait même plus à réunir le quorum requis pour tenir ses réunions statutaires. Comment faire pour dépasser ces dysfonctionnements ? Votre question sur la qualité des élites locales est importante. A ce propos, je considère que la gestion d'une collectivité doit reposer sur ses deux jambes, à savoir le politique et le technique. Si le politique considère qu'il est investi de tout le savoir, il va exercer son pouvoir de manière totalitaire et absolue et, dans ce cas, le risque est grand d'aboutir à des dérapages. Si au contraire, on estime que le politique est sollicité essentiellement lorsqu'il s'agit de faire des choix, et non pas d'instruire des dossiers, à ce moment-là, on doit s'interroger sur la qualité de l'expertise technique dont on dispose pour gérer une ville de l'importance de Casablanca. Personnellement, j'ai fait un constat navrant de Casablanca : la ville en tant qu'institution est sous-encadrée. Ainsi, à part l'Agence urbaine, on est incapable de citer un autre organisme qui relève de la ville et qui peut instruire ses dossiers. Où est donc cette technocratie qui permet aux responsables politiques, lorsqu'ils négocient avec un partenaire, un fournisseur ou un bailleur de fonds, de disposer de l'éclairage requis ? Où est cette expertise qui prépare les dossiers, les instruit, met en garde éventuellement et aide le pouvoir local à faire le bon choix ? Par conséquent, le succès d'une bonne gestion de Casablanca dépend de la capacité du pouvoir local qui va se mettre en place à se doter de l'expertise requise, car il ne faut pas croire que tout se passe au niveau du Conseil de la ville. Le rôle de ce dernier se limite, en effet, à délibérer et à prendre les décisions. Mais sur la base de l'expertise qui doit être de grande qualité pour pouvoir éviter des solutions boiteuses aux problèmes à résoudre. Une bonne gouvernance demeure intimement liée à la nature des rapports entre les élus et l'autorité de tutelle. Dans le système qui a prévalu jusqu'ici, on a souvent critiqué la lourdeur de la tutelle qui ne laisse pas assez d'initiative au pouvoir local. Quelle conception prônez-vous à ce sujet ? Je vais être très clair sur cet aspect. Je pense que les relations entre les élus de Casablanca et l'autorité de tutelle doivent être exemplaires dans la mesure où cette dernière arrive aujourd'hui au même constat fait par tout le monde : celui de l'échec. Donc, à partir de ce constat, l'autorité de tutelle est consciente de la nécessité de s'impliquer dans la recherche d'alternatives. Il n'est donc plus question de reproduire le système ancien qui consiste à se limiter à faire des budgets équilibrés avec des dotations sur la base de la fameuse quote-part de la Communauté. Pas plus d'ailleurs de se contenter d'appliquer à la lettre la législation en vigueur pour ce qui concerne le profil des recrutements du personnel des municipalités. En effet, on n'ira guère loin si l'on ne procède pas aux changements qui s'imposent dans le sens de la libération des initiatives en vue d'améliorer les mécanismes de gestion. A ce propos, on ne peut reprocher à certains présidents de municipalités de recourir à des méthodes détournées pour rémunérer telle ou telle contribution technique valable pour gérer leur ville, qui dépasse souvent un million d'habitants, ce qui est le cas pour la plupart des six villes qui seront dotées d'une mairie. Pour revenir à la relation proprement dite avec l'autorité de tutelle, elle est précisée dans la Charte communale. Ce qui est important à relever à ce propos, c'est que la procédure administrative doit être au service de la bonne gouvernance. Et on ne peut pas faire de la bonne gouvernance si l'on continue à considérer que le contrôle doit primer, comme c'est le cas dans la logique ancienne où l'on se sert des pouvoirs locaux pour contrôler la population. De la même manière, il ne faudrait pas que l'on aboutisse à un autre travers qui est de se servir de la loi pour contrôler le pouvoir local. Il faut, au contraire, se convaincre que notre pays a tout à gagner à améliorer la bonne gouvernance.