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Les bas-fonds de Casablanca
Publié dans La Gazette du Maroc le 01 - 12 - 2003

Loin des réseaux de prostitution de luxe où les nuits se négocient à coups de milliers de dirhams, où le proxénitisme confine aux affaires les mieux réglées, il y a d'autres filières qui régentent un autre type de traite des blanches. Cela se passe dans des hôtels de passe miteux, dans des maisons de location transformées en bordels où les femmes vivent dans des conditions inhumaines sous le joug d'esclavagistes sans scrupules. Virée dans un monde glauque où le dirham est
au-dessus de tout.
Cela fait dix ans que Aïcha fait le trottoir. Elle porte depuis toujours une jellaba éculée, des sandales qui n'en peuvent plus de racler le fond du dallage et un foulard poisseux sur la tête. A 31 ans, on lui en donne 45. Le visage basané, le corps bouffi comme passé à une pompe pour cacher les affres de la mauvaise vie, une cicatrice sur le front et un nez légèrement tordu. Pourtant à 20 ans, elle était “canon”, belle à damner les saints et crédule à souhait. “J'ai toujours cru en les hommes, l'amour et tout le reste. Ils se sont tous foutus de ma gueule et m'ont jetée comme une vieille chemise sale. Aujourd'hui, je traîne dans les hôtels pour gagner ma vie et nourrir mes deux enfants”.
Deux garçons de 6 et 4 ans qui n'ont jamais connu de père, qui n'ont pas de livret de famille et qui n'iront jamais à l'école. Pourtant, la mère semble ne pas trop s'en faire : “qu'est-ce que vous voulez que je fasse ? Quand je suis tombée en cloque, je n'ai pas trouvé un dirham pour avorter. Résultat, j'ai dû partir à la campagne chez la famille pour me cacher et accoucher sans problèmes. Aujourd'hui mes enfants vivent avec moi et ne se demandent pas s'ils ont un père”. Quand on lui dit que peut-être un jour elle sera forcée de leur dire la vérité, elle répond, agacée, que “cela n'est pas important” et qu'au pire des cas, elle leur servira le refrain habituel : “ton père est mort quand tu es né”. Elle habite Derb El Kabir, une espèce de kitchenette qui fait deux mètres sur trois où elle s'entasse avec sa sœur et leurs trois mômes. Elle paye 500 dirhams de loyer par mois et se nourrit souvent de thé et de pain sec. Sa sœur, Rahma, est aussi prostituée. Elle a 26 ans et compte déjà plus de trois avortements. Apparemment, elle était tombée sur des maçons un tantinet aisés qui avaient peur du scandale et qui lui avaient payé un passage sous le bistouri d'un chirurgien charcutier qui lui a laissé une belle infection à l'utérus.Pour les deux sœurs, les jours se suivent et se ressemblent. Rien de nouveau sous le soleil sinon d'autres crachats, d'autres insultes, d'autres gifles et des coups de pieds au derrière.
Sur le trottoir
Elles sont des dizaines à arpenter le boulevard Mohammed V à longueur de journée sans discontinuer. De temps à autre, il y en a une qui manque à l'appel. C'est une passe vite faite et bien faite dans l'un des hôtels qui pullulent dans le coin où l'on paye 30 malheureux dirhams pour s'envoyer dans les étoiles. Le plaisir ne coûte pas cher et une femme peut accepter 20 dhs, même dix en cas de crise et de vaches maigres. Dix balles à supporter un type sale qui a envie de soulager sa virilité douloureuse sans préservatif, sans la moindre règle d'hygiène. “Il vient me demander d'aller chez lui. Si j'ai confiance, si son visage me revient, je tente le coup, même si c'est toujours risqué. Sinon, je lui dit de m'accompagner dans un hôtel pas loin d'ici que je connais et où j'ai mes habitudes. On y va, il paye le mec à la réception et on monte dans la chambre.”.
La pièce en question est un nid à rats, quatre murs pourris qui tombent en ruine, sentent la naphtaline et le mauvais détergent sinon la pisse et d'autres odeurs pas descriptibles. Il y a un sommier en piteux état, un matelas troué qui sent l'urine et une couverture grise qui n'a pas été lavée depuis au moins six mois. “On reste le temps qu'il faut sans jamais dépasser une heure. L'homme fait son besoin mais doit payer d'avance. Souvent je lui demande de me payer devant le gérant de l'hôtel chez qui je laisse ma part au cas où le client tenterait de me rouler. Quand il termine, il remet son pantalon et sort devant moi pour ne pas éveiller les soupçons”. Ce que ne dit pas notre guide c'est que les propriétaires de ce genre d'hôtels sont eux-mêmes des proxénètes, des maquereaux comme on dit dans le jargon des affaires de la chair et autres variations sur le thème très particulier du désir entre gens pauvres. Les femmes qui veulent venir faire leurs emplettes sur les lits bancals de l'hôtel doivent verser des dividendes au proprio ou à celui qui en tient lieu. “Je ne peux pas venir sans payer la moitié de ce que le client me donne. C'est pour cela que je dois demander au client de payer devant le proprio ou son employé avant de monter dans la chambre. Il voit combien je touche, prend la moitié et me donne le reste quand je descends toute seule. Ce qui se passe entre le client et moi dans la chambre ne le regarde pas et comme il est rare qu'un client donne un plus, il n'y a jamais de problèmes”. Les maisons de passe ou les bordels obéissent à des règles et des rituels qui ne changent pas d'un pays à l'autre. Comme partout ailleurs, les bordels minables sont souvent tenus par des proxénètes recyclés dans le commerce du désir. Au lieu de travailler à la petite semaine, les proxénètes s'associent avec un propriétaire d'une ruine qui était un hôtel miteux dans le temps et l'exploitent pendant des années jusqu'à ce que le commerce fait faillite ou que la baraque finit par trouver acquéreur. “J'ai travaillé dans une maison dans l'ancienne médina avec une femme qui avait plus de 15 filles qui ramenaient des hommes chez elle. Je faisais de tout, nettoyage, courses, surveillance… C'est moi qui allais parler aux filles quand elles voulaient changer de maison. Il m'arrivait de les frapper quand la patronne me le demandait. Sinon, je me comportais très bien avec elles”. On saura plus tard par la voix du même proxénète qu'il avait fait de la prison pour avoir roué de coups une jeune femme de 22 ans qui ne voulait plus ramener ses clients chez sa patronne parce qu'elle estimait qu'elle lui prenait beaucoup d'argent. Le bonhomme a purgé six mois de prison et il est sorti pour reprendre son boulot chez une autre femme à Derb El Kabir après que son ancienne employeuse l'ait viré en lui tournant le dos. “Elle m'avait dit le jour où je suis revenu qu'elle ne voulait pas de problèmes. Et que maintenant les filles n'allaient plus venir chez elle parce qu'elles avaient peur de moi. Mais elle a oublié que c'était elle qui m'avait demandé de tabasser la fille pour qui j'ai passé six mois en prison.” La suite a été un long chapelet copieux d'insultes à l'encontre de cette femme qui a aujourd'hui tourné le dos à ce métier en devenant une diseuse de bonne aventure, qui fait son pèlerinage “à la Mecque pour laver ses péchés et tourner la page”. Le proxénète, lui, se sent mieux aujourd'hui. Il a un pacte avec le propriétaire de l'hôtel. Il gère tout, prend sa part et donne son dû au chef. Avec les filles : “ c'est toujours les hauts et les bas”. Elle sont instables, dira-t-il. Elles veulent aller partout, alors que ce n'est pas possible. Ici, dans ce métier, il faut savoir bien s'entourer, faire des amitiés durables, savoir les entretenir. On ne peut pas papillonner d'un bordel à l'autre comme si c'était “siba”. Quand les filles ne veulent pas écouter, elles passent à la trappe, se font massacrer, tabasser pour apprendre à qui “elles ont affaire ”.
La loi de la rue
Fatéma est une autre habituée du boulevard Mohammed V. Elle a ses clients et elle a un type qui la surveille, qui la fait travailler. Il est aussi son mec, l'homme avec qui elle vit dans l'ancienne médina. “C'est mieux comme ça. Il me protège et les autres “kouada” savent qu'il est avec moi. Alors personne ne me touche. Les autres filles peuvent parfois se faire tabasser chez elle et on leur prend tout jusqu'à la dernière couverture”. Ce qui est bon pour Fatéma est bon pour les autres, sauf que toutes les filles ne peuvent pas avoir des jules proxénètes et amants à la fois. Alors elles obéissent à la loi de la rue. Celle de se plier aux exigences de mecs qui en ont déjà décousu avec le destin et qui considèrent les femmes comme des chiennes : “ce sont des chiennes, moi je les connais très bien les femmes. Les putes sont toutes dégueulasses. Elles ne savent pas s'arrêter et ne font pas la différence entre un homme qui les protège et un simple client qui va tirer un coup et partir”. Cet homme est une pile électrique qui dégaine plus vite que son ombre et semble avoir le cœur très lourd quand il parle des femmes. A l'entendre, toutes les femmes sur terre méritent de mourir sur l'échafaud. Et quand on lui dit que c'est à cause de types sans scrupules comme lui que des femmes sont aujourd'hui dans des situations inhumaines, il éclate de rire et nous insulte presque avant de nous tourner le dos. Selon d'autres proxénètes, cet homme est “un malade qui avait déjà tenté de tuer deux filles chez elles un soir parce qu'elles ne voulaient plus travailler pour lui. Il a fui dans le Sud pendant sept mois et est revenu une fois que tout le monde avait oublié. Mais les filles n'avaient pas porté plainte parce qu'elles avaient peur de la police”. Dans le milieu des prostituées, on connaît cette histoire, pourtant quand on leur demande pourquoi elles ne portent pas plainte, elles disent toutes la même chose : “mais je n'ai pas à aller m'engouffrer dans la gueule du lion. Tu oublies que je suis une pute et que personne ne va me croire”. Pourtant, chaque année, des dizaines de femmes se font taillader le corps, portent des cicatrices à cause des bons soins de leurs protecteurs qui piquent une crise ou une cuite où le sang finit par calmer tout le monde. Les filles racontent des histoires horribles sur des “putes” brûlées au visage, qui ont reçu de l'acide sur le dos ou sur les jambes, de femmes à qui on a coupé les cheveux après les avoir aspergées d'essence et menacées d'être flambées, d'autres filles qui se sont fait violer par quinze mecs juste parce qu'elles n'avaient pas pu trouver plusieurs clients le même jour et tant d'autres histoires incroyables. D'autres filles ont trouvé le moyen de s'en tirer sans travailler pour une patronne qui va les sucer jusqu'à la moelle ni de se faire tabasser par un maquereau en mal de billets de banque. Elles louent à quatre ou plus des appartements miteux dans des quartiers populaires et commencent à recevoir chez elles comme dans une coopérative de sexe où tout le monde trouve son compte. Mais même dans ce cas de figure, les problèmes sont toujours au bout du chemin : “les drogués du coin qui viennent demander à coucher à l'œil, les voisins qui avertissent la police, les femmes qui nous font des scandales, des clients mécontents qui hurlent à l'aube … ”
Les filles sans joie
Quand une fille tombe malade, elle ne va pas voir un médecin ni demander au pharmacien un remède pour tel ou tel problème de santé. Les maladies vénériennes se succèdent les unes aux autres et les filles traînent des microbes là où elles vont. “Je n'ai pas de quoi aller voir le médecin ni de quoi acheter des capotes pour ça. Et je ne peux pas demander, même si je le voulais à mes clients, d'apporter des capotes. Personne ne voudra plus venir me voir. Alors je travaille et je me débrouille”. Se débrouiller, c'est cumuler les infections, avoir un appareil génital pourri, risquer de contaminer des centaines d'hommes qui eux vont transmettre cela à d'autres femmes …Ce qui est curieux chez ces jeunes femmes c'est leur insouciance. Elles se fichent pas mal de ce qui pourrait leur arriver. Mourir ? «Et alors, tout le monde finit par crever comme un chien». Tomber sérieusement malade ? Pourquoi pas “de toute façon c'est un métier où il faut savoir qu'un jour ou l'autre il faudra payer ”. Un fatalisme effrayant de la part de femmes qui pourraient encore tourner une page et trouver un travail ailleurs pour vivre : “je ne sais rien faire d'autre. Je ne peux pas aller trimer douze heures dans une usine pour une mensualité de misère. Je ne sais qu'écarter mes jambes et le jour où je ne le pourrai plus, je verrai ce qu'il y a à faire”.
Pour Aïcha, Halima, Aziza, Rahma et tant d'autres, le boulevard reste l'unique refuge, là où elles trouvent leur nourriture de la journée, où elles se font tabasser, humilier par des milliers de gens, là où elles supportent les insultes, les crachats et toute la misère du monde. Elles savent que c'est là l'unique chemin à prendre et qu'elles ne peuvent plus lui tourner le dos, ni rebrousser chemin encore moins bifurquer pour prendre un sentier moins épineux.
Elles acceptent, baissent la tête et s'assument dans l'ignorance et l'oubli absolus.


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