L'affaire Al Moustaj ouvre un nouveau volet dans l'histoire des réseaux de trafic d'êtres humains liés à l'émigration clandestine. Présenté devant les juges le 27 décembre 2003, le gang a révélé d'autres ramifications qui englobent plusieurs autres villes du pays où les différentes filières recrutent, envoient des candidats à l'immigration et amassent de l'argent. Nous sommes très loin des pateras, des cadavres rongés par le sel et les poissons, des camions frigorifiques et d'autres aventures sans lendemain. Retour sur la fin d'une organisation criminelle. C'est à coup sûr la plus grosse prise depuis des années qui tombe à point nommé dans une conjoncture où les débats sur l'émigration clandestine, les trafics humains et les maffias des passeurs d'hommes battent son plein. En pleine effervescence autour des problèmes liés à l'immigration clandestine, les patrouilles mixtes, les refoulés et les rapatriements à flot, le Bureau de l'émigration clandestine, le BEC de Casablanca, dirigé par le commissaire Bensahel et supervisé par Mostapha Baroudi, le chef de la PJ de Casablanca, a réussi à démanteler l'un des gangs les plus actifs dans le trafic de documents, falsification d'actes officiels, passeports, visas, chèques et autres documents bancaires. Le réseau de Settat Il s'agit de l'affaire Mohamed Moustaj, un natif de Casablanca, domicilié à Settat chez qui la police a trouvé tout un arsenal dédié au trafic de documents destinés à l'émigration clandestine. Les deux principaux accusés dans cette affaire aux multiples facettes sont Mohamed Moustaj Ben Maâti Ben Bouchaïb, né le 24 septembre 1958 à Hay Mohammadi, Casablanca, déjà connu des services de police, un individu à antécédents judiciaires qui avait écopé il y a six ans d'une peine dérisoire d'un mois de prison pour tentative de falsification de documents, escroquerie et vol. Son acolyte est Ahmed Mkays Ben Mohamed Ben Ahmed, né le 8 mars 1977 à Settat. Un personnage qui n'a pas d'antécédents judiciaires mais qui se présente comme l'alter ego de Moustaj dans cette affaire. Al Moustaj faisait l'objet d'un mandat d'arrêt sur le territoire national par les services de la police judiciaire de Casablanca pour falsification de documents administratifs et pour d'autres motifs liés à des tentatives d'escroquerie et d'extorsion de fonds. Il a été poursuivi depuis longtemps et arrêté à Settat où il vivait depuis des années avec sa petite famille. Après la perquisition, la police est tombée sur un nombre effarant de pièces à conviction toutes utilisées à des fins criminelles pour des passages d'individus en Europe grâce à de vrais faux passeports confectionnés par les soins de Moustaj et de ses hommes. Lors des interrogatoires, Mohamed Moustaj a avoué tout en bloc, il a dégoupillé tout ce qu'il savait en révélant les noms de ses complices et de toutes les personnes qui ont profité de ses services lors des opérations de voyages en bonne et due forme avec passeport, carte de séjour, contrat de travail et tout l'attirail en règle pour un déplacement vers l'Europe. La rencontre avec Riffi C'est en 1996 entre deux voyages en Italie que Mohamed Moustaj tombe sur un dénommé Riffi, un individu du nord qui a ses entrées un peu partout et spécialisé dans le trafic d'êtres humains comme d'autres le sont dans la vente de cigarettes au détail. C'est à Fnideq que la rencontre a vu le jour, dans ce haut lieu de la contrebande, du trafic et de l'entourloupe. Riffi était connu pour sa débrouillardise, son sens de l'esquive et son audace. Il est l'un des principaux passeurs d'hommes du pays qui a vu transiter par son domicile des dizaines de candidats qui ont tous trouvé un coin quelque part entre l'Espagne et la Hollande pour se mettre à l'abri. C'est d'ailleurs ce même Riffi qui fera en sorte que les deux frères de Moustaj, Saïd et Mustapha, rejoignent le cortège des immigrés marocains en Europe. Le Settati aura versé la somme de 40.000.00 dhs par tête à Riffi. C'est là que Mohamed Moustaj se rendra compte que ce boulot était des plus aisés à condition que l'on ait du cran, un estomac bien ancré et des nerfs à toute épreuve. Il décide alors de se lancer à son compte dans le même trafic. On ne sait pas si c'était le regret de verser les 80.000.00 dhs d'un coup à Riffi qui l'a décidé ou le besoin de faire vite fortune, toujours est-il que ce voyage à Fnideq aura été le plus important de la vie de Moustaj. Sous la houlette de son nouveau mentor, le nouveau venu dans le monde des passeurs d'hommes arrive à réussir de jolis coups en faisant traverser plusieurs personnes en Italie en passant par la Tunisie. Ce sont exactement 13 personnes qui auront ainsi bénéficié de son savoir-faire moyennant chacune la somme rondelette de 40.000.00 dhs. C'est à Tanger que son commerce va fleurir. Dans cette ville il a commencé à recruter les futurs candidats à la clandestinité en règle. C'est là aussi qu'une autre rencontre très décisive pour le reste de ses jours aura lieu. Moustaj tombe sur un individu très célèbre dans le coin qui répond au nom très mystérieux d'Ouchen Mouh. Les deux comparses ont alors trouvé le filon. Et pourquoi pas monter une affaire de faux papiers destinés aux futurs immigrés clandestins ? La question ne fait qu'un tour dans la tête des deux larrons qui la mettent très vite en pratique. Moustaj s'occupe de dénicher les pigeons qui veulent s'envoler coûte que coûte vers d'autres cieux et c'est Ouchen Mouh qui fournit les passeports volés. Pour chaque passeport subtilisé, il y a un visage, une photo et une carte de séjour avec un certificat de résidence en bonne et due forme prêt pour usage. Il suffit de payer les 40.000.00 dhs pour se pointer munis de vrais faux documents dans n'importe quel aéroport du pays, la tête haute, les nerfs bien en place pour prendre un vol vers n'importe quel pays de l'espace Schengen. L'opération voyage clandestin Quand Moustaj trouve son candidat, il le prend en photo, se met d'accord sur les formalités du voyage et de la transaction et se présente muni de ladite photo devant son ami Ouchen qui entame la deuxième partie du travail qui consiste à placer la photo sur un autre passeport avec le nom et le prénom du titulaire à qui on a dérobé le passeport. C'est chez un dénommé Mohamed Marchal, le chef suprême de la division des trafiquants que l'on dépose le butin. Ce dernier bosse avec d'autres as de la fraude tous concentrés à Nador comme Majid et Lhoucine deux spécialistes dans les passeports et leurs plastifications, qui font aujourd'hui l'objet d'un mandat d'arrêt. Une fois les passeports prêts, on parle d'une date qui sera fixée et on prévient les passagers de l'heure et du vol. On se pointe à l'aéroport en compagnie d'un quatrième larron qui lui doit faire partie du voyage. Ce type de service est estimé à 4.000 dhs et peut aller parfois jusqu'à 10.000 dhs selon les cas, les saisons, et les humeurs des uns et des autres. La plupart du temps ce sont des vols vers Frankfurt ou le Brésil via Madrid qui sont choisis. Devant la police judiciaire, Moustaj précisera que Ibrahim Saâdi et Amina Makhfi ont tous les deux fait partie de ces voyages. Il dira ensuite qu'il avait préparé deux autres passeports pour le compte d'Ahmed Mkays destinés à Sawsan Mahfoud Al Filali et un autre passeport belge vierge sur lequel il avait inscrit le nom du candidat et collé sa photographie. Dans ce flux d'aveux, Moustaj n'a pas épargné son propre frère Moustaj Saïd ainsi qu'un dénommé Youssef Hawd et d'autres commis à qui il versait la somme de 4000 dhs pour l'aider dans son trafic. Mkays et Hawd ont avoué et confirmé ce que Moustaj avait déclaré devant la police. Hawd a même signalé avoir touché la somme de 700 Euros avant le ramadan pour accompagner des touristes avec de faux vrais documents, mais il avait dilapidé le fric et esquivé son chef. D'un autre côté, Moustaj a mis la police sur la piste d'autres individus tant au Maroc qu'à l'étranger. Il y a d'abord un dénommé Hassan Samsar qui habite à Tamaris et qui lui fournissait des passeports. On peut penser au vol, à des attaques contre des touristes en villégiature sur la plage voisine et d'autres mic-macs du genre. Sans oublier la principale connexion en Italie, une certaine Sylvie qui s'occupe des documents italiens et des cachets administratifs. Aujourd'hui, le réseau est démantelé, mais d'autres personnes sont en fuite. Elles sont recherchées par la police qui pense que d'autres groupes travaillent sur les mêmes opérations dans plusieurs villes du pays. Avec cette affaire qui a eu une suite avec un autre gang, celui de Moutawakil à Casablanca, l'émigration clandestine prend un nouveau visage, celui du risque zéro, du luxe et des bonnes recettes. Abdelhak Najib (Suite page 14)