Fatéma Zahra Benaddi (Ma3) Fatéma Zahra Benaddi, initiatrice du projet de la chaîne Ma3, revient de loin. Son histoire, celle qui a envenimé sa vie et ruiné ses affaires, est celle d'une grosse arnaque dont elle a été victime. Son association avec le groupe Dallah Al Baraka l'a conduite purement et simplement à la faillite. Son procès est ouvert à Paris contre une société fantôme basée dans les Iles Caïmans aux Caraïbes. Dans cet entretien, elle explique comment elle est tombée dans les filets de Cheikh Saleh Kamel. La Gazette du Maroc : pouvez-vous nous raconter tout d'abord comment est née votre partenariat avec Cheikh Saleh Kamel pour le lancement de la chaîne Ma3 ? Fatéma Zahra Benaddi : lancer une chaîne de télévision dédiée aux émigrés marocains en particulier et aux Maghrébins en général, était un rêve ambitieux que j'ai fini par concrétiser en 2002 grâce à un partenariat que j'avais signé avec le cheikh saoudien Salah Kamel. C'était la bourde qu'il ne fallait pas commettre. Mais les contraintes financières m'ont obligée à le faire afin de monter une plate-forme de diffusion internationale apte à servir et à proposer des produits de qualité. Bref, après avoir contacté plusieurs investisseurs marocains et autres pourvoyeurs étrangers, quelques professionnels de la télé m'ont conseillé de voir du côté de ART Maroc, donc du groupe Dallah Al Baraka, lequel a répondu vite et favorablement à ma requête. C'était pour moi une chance inespérée pour mettre en place mon projet. Quelques contacts à Casablanca ont suffi pour lancer la machine et passer le message à ART France qui a accepté d'apporter toute l'assistance financière pour lancer le projet. Et c'est à Paris, en mai 2002, que j'ai rencontré personnellement Cheikh Salah Kamel pour la signature du contrat définitif. Et depuis j'ai vécu l'enfer à cause de ce partenariat. Pendant deux ans, je souffrais de ne pouvoir révéler le mal que m'ont fait cheikh Salah Kamel et ses collaborateurs. Qu'est-ce que prévoit justement le contrat que vous avez signé avec cheikh Salah Kamel ? L'accord prévoyait que le groupe Dallah Al Baraka devait mettre à notre disposition une logistique adéquate au concept du projet et l'assistance financière nécessaire. Notamment un financement de 13 millions de Dh, dont 1 million d'euros en liquidité, étalé sur deux ans, du matériel digital sophistiqué, un studio à Paris et une plate-forme de diffusion en Italie. Le groupe s'est engagé à nous garantir l'accès à sa cinémathèque, de variétés et d'émissions pendant une période de six mois. La chaîne a été lancée en septembre de la même année et l'annonce a été faite lors d'une conférence de presse que j'avais organisée à Casablanca. Et quel a été votre apport personnel dans ce projet ? Sur quoi vous vous êtes engagée? Mes fonds propres bien évidemment et la production de plusieurs émissions au Maroc pour le compte de la chaîne Ma3. En tout et pour tout, ce sont 25 millions de Dh que j'ai dépensé, en termes de fonds propres et d'émissions que j'ai produites pour la chaîne Ma3. Sans oublier mes engagements qui vont jusqu'à la ligne éditoriale de la chaîne dont j'étais la seule responsable devant les autorités françaises et la CSA. Au début, donc, je ne pouvais que leur faire confiance d'autant plus que j'avais en face de moi Cheikh Salah Kamel. Et qu'est-ce qui s'est passé par la suite ? Rien, absolument rien. Comptant sur la bonne foi de cheikh Salah Kamel, j'ai foncé aveuglèment pour lancer la chaîne comme cela a été prévu. Nous avons démarré le projet avec mes propres émissions que j'avais produites en attendant que l'autre partie remplisse ses engagements. Plus de six mois ont passés, et rien n'est venu de leur côté. Pas d'argent, pas de budget de lancement, pas de studio et aucune émission sérieuse, si ce n'est du réchauffé. En tout et pour tout ce sont 100.000 euros que j'ai réussi à obtenir pour monter l'affaire et lancer la chaîne Ma3. Pourquoi donc n'avez-vous pas intenté un procès au tout début de votre partenariat, sachant que l'autre partie n'avait aucunement l'intention de vous suivre dans ce projet? Au départ, je croyais que Cheikh Salah Kamel n'était pas au courant de mes difficultés et j'avais toujours l'espoir en sa bonne foi. Je me disais qu'il était mal entouré et qu'il fallait juste entrer en contact avec lui personnellement pour résoudre mes problèmes. Chose que j'ai faite effectivement en février 2003 et je l'ai rencontré à Agadir. Lors de cette rencontre, Cheikh Salah Kamel m'avait promis de mettre sur les rails le projet de Ma3. C'était la dernière fois d'ailleurs ou j'ai pu entrer en contact avec Cheikh Salah Kamel. Il avait appelé de son téléphone portable ses collaborateurs pour les sommer de m'assister financièrement et à honorer ses engagements. Qu'est-ce qu'il a fait concrètement par la suite ? Vous a-t-il donné une suite favorable ? Du tout. Rien n'a changé depuis. Que des promesses qui n'ont jamais été réalisées. Je me suis retrouvée à mon corps défendant l'exécutant d'un grand projet pour lequel je n'avais pas les moyens financiers pour assurer toutes les charges. Je payais en lieu et place de Cheick Saleh Kamel pour éviter la faillite de la chaîne. Et pourtant vous êtes passée de six heures d'audience à 12 heures. Comment cela a-t-il été rendu possible vu la crise financière que traversait la chaîne ? Ecoutez. J'ai essayé de combler le vide avec une grille, que j'avais moi-même concoctée, composée d'émissions très intéressantes qui ont eu un franc succès auprès des téléspectateurs. Tout ce que je produisais, je le mettais sur antenne, sachant que l'autre partie finira par apporter ce à quoi elle s'était engagée. Le reste, vous le savez. Nous étions contraints de rediffuser les émissions ainsi que les films, faute de moyens financiers et à défaut de produits de qualité que m'avait promis Cheikh Salah Kamel à la rédaction du contrat. J'ai toutes les preuves de ce que je vous dis. Cheikh Salah Kamel vous accuse, pour sa part, de n'avoir pas honoré vos engagements, notamment sur le plan commercial et publicitaire… C'est un mensonge, parmi tant d'autres, que le patron de Dallah Al Barraka essaye de véhiculer pour justifier ses erreurs. En plus, comment peut-il avancer pareil argument sachant qu'il n'a rien fait pour promouvoir le concept de la chaîne auprès des annonceurs. Et pourtant, nous étions sur la bonne voie pour réussir l'opération. Ce qui s'est passé par la suite, il faut le chercher chez Cheikh Saleh Kamel qui n'a pas voulu suivre. Justement, quelles sont les raisons qui ont poussé votre associé à couper les vivres ? Ce n'est pas à moi qu'il faut poser cette question, mais plutôt à lui. D'ailleurs, ce qu'il a fait avec moi, il l'a fait aussi avec plusieurs entrepreneurs marocains dans divers domaines. Sa tactique est pourtant très simple : il s'associe avec vous selon ses propres conditions et il fait, grâce à des procédés douteux, tout son possible pour vous reprendre l'affaire, et vendre ses parts avec des bénéfices. C'est l'une des escroqueries qu'il a fait subir à tous ses partenaires marocains. Vous a-t-il signifié qu'il voulait quitter le tour de table de Ma3 ? Et si oui, pourquoi n'avez-vous pas cherché d'autres partenaires ? Oui effectivement. Cheikh Saleh Kamel m'avait proposé de partir, mais il faut savoir pourquoi et à quelles conditions. En 2003, j'avais commandé une étude Média sur le contenu et la qualité de la chaîne que j'avais moi-même financée. Les résultats ont été très satisfaisants et ce sont mes propres émissions qui ont été très bien classées, entre autres, Biladi Zina, Yarite, et bien d'autres appréciées par l'audimat… Une fois avisé, Cheikh Saleh Kamel m'a envoyé une lettre m'informant qu'il avait l'intention de quitter le tour de table de Ma3. Il m'a signifié également de chercher d'autres actionnaires pour le remplacer et acheter ses parts. Mais le comble, il m'avait demandé que je lui restitue son investissement, jamais consenti, pour le montage de cette opération. Et quelle a été votre réaction? N'était-il pas opportun de saisir cette occasion pour sauver la chaîne ? Oui, bien sûr que c'était une opportunité inespérée pour moi. J'ai effectivement travaillé d'arrache-pied pour convaincre d'autres pourvoyeurs, notamment TFI qui se sont beaucoup intéressés à mon projet, pour sauver ce qui restait de la chaîne. Je me suis réunie avec le staff de TF1, composé de Me Gisserot, le commissaire aux comptes, M. Belyachi et le directeur financier Eric Aimard, qui ont accepté de s'introduire dans le capital de la chaîne tout en imposant leurs conditions, comme garder ART dans le tour de table de Ma3, vu qu'ils disposent déjà d'un satellite et d'une plate-forme de diffusion. En juillet 2004 vous avez suspendu la transmission satellitaire de Ma3. Comment cela est-il arrivé ? Et qui était derrière cette décision ? Avant de suspendre la transmission, l'avocat libanais du groupe Dallah Al Baraka, un certain Geagea, m'a envoyé une lettre pour me demander des dédommagements, à hauteur de 5 millions de dollars, réclamés par le groupe Dallah Al Baraka. Depuis, j'ai reçu un appel téléphonique, le 5 juillet 2004, du directeur technique, Eddy Abou Chahine, m'informant qu'il allait éteindre le signal de la chaîne. Sans aucune raison valable, et sans aucun préavis. Et c'est à partir de cette date que la chaîne a disparu. On m'a mise devant le fait accompli. A cause d'une mauvaise alliance qui a conduit à la faillite de mon projet. J'ai entamé une action en justice devant les juridictions françaises contre une société bidon basée dans le paradis fiscal des îles Caïmans aux Caraïbes. Quels sont vos projets aujourd'hui ? Je suis optimiste et je compte relancer Ma3 avec d'autres associés plus sérieux. Parallèlement, je produis toujours des émissions pour le compte de plusieurs chaînes nationales et étrangères. Qui sont vos nouveaux partenaires ? Je vous le dirais au moment opportun.