À l'aube de l'entrée en vigueur du mécanisme européen de régulation carbone aux frontières en 2026, le Maroc s'attelle à instituer un prélèvement national visant à internaliser le coût écologique de ses activités industrielles et énergétiques. Cette démarche poursuit une double finalité : préserver ses secteurs stratégiques des contraintes extérieures et impulser une transformation profonde vers des modes de production sobres en émissions de gaz à effet de serre. La Fondation RES4Africa souligne que, grâce à un tissu commercial diversifié et à des mesures anticipatrices de décarbonation dans des filières majeures – de la production d'électricité renouvelable aux phosphates, en passant par le ciment et l'aluminium –, le royaume parvient à circonscrire son exposition au mécanisme européen tout en affirmant son rôle dans l'espace euro-méditerranéen de la production bas-carbone. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (CBAM), adopté par l'Union européenne (UE) et appelé à s'appliquer pleinement en 2026, fixera un prix du carbone sur les importations de biens fortement émetteurs – aluminium, ciment, acier, engrais, électricité et hydrogène. Conçu pour éviter la délocalisation d'industries polluantes et garantir la neutralité climatique européenne, il oblige les partenaires commerciaux du Vieux Continent à transformer leur modèle productif. Dans ce contexte, le rapport de la Fondation RES4Africa consacré à la transition énergétique nord-africaine souligne, dans un rapport dévoilé le 3 septembre, que «le Maroc présente une exposition limitée, à hauteur de 0,3 % de son produit intérieur brut, assortie d'un indice agrégé négatif de –0,0030», ce qui reflète «un profil commercial varié et des efforts précoces de décarbonation dans des filières structurantes». L'étude précise que les exportations marocaines concernées par le CBAM se concentrent autour de «la production d'engrais phosphatés assurée par l'Office chérifien des phosphates (OCP), la sidérurgie ainsi que, dans une moindre mesure, le ciment et l'aluminium». Les produits agricoles, bien que non directement inclus, devront eux aussi se conformer progressivement aux normes environnementales de l'UE. Le rapport insiste sur le rôle singulier du Maroc, seul pays du Maghreb relié au réseau électrique européen par deux câbles sous-marins de 1,4 gigawatt. Il rappelle que «ces échanges demeurent modestes – de l'ordre de quelques centaines de gigawattheures par an – mais seront soumis dès 2026 aux obligations de certificats carbone». Pour anticiper cette échéance, «le royaume a engagé la préparation d'une taxe carbone nationale dont l'entrée en vigueur est programmée pour janvier 2026, avec une montée progressive sur dix ans». Sur le plan énergétique, la position du Maroc est jugée avantageuse. D'après l'IRENA, «près de 35 % de son électricité proviennent déjà du solaire et de l'éolien, contre 60 % issus du gaz et du charbon, avec une cible fixée à 52 % de renouvelables en 2030». Dans ce cadre, l'étude note que «le ciment marocain affiche un indice d'exposition négatif (–0,0579), preuve d'une intensité carbone inférieure à la moyenne européenne, et donc d'un potentiel avantage concurrentiel». L'industrie phosphatière, pilier économique, reste en revanche sous pression. Le rapport rappelle que «l'OCP a dévoilé un plan d'investissement de 13 milliards de dollars visant la neutralité carbone d'ici à 2040», avec substitution des énergies fossiles par des renouvelables et captation du CO2. Perspectives de coopération et leviers d'action Au-delà des vulnérabilités, l'étude insiste sur les perspectives offertes au Maroc. Elle affirme que «grâce à ses ressources renouvelables abondantes et à sa proximité avec l'Europe, le royaume pourrait obtenir un avantage compétitif si le déploiement des énergies propres s'accélère». Plusieurs projets d'interconnexion électrique sont cités : «un renforcement du lien Maroc-Espagne, des projets avec l'Italie, la Tunisie et la Grèce, qui pourraient créer près de 19 GW de capacité d'échange et réduire jusqu'à 24 millions de tonnes de CO2 par an». Dans le domaine industriel, le ministère de l'Industrie et du Commerce pilote le programme TATWIR – Croissance Verte. Selon le rapport, «ce dispositif doté d'un milliard de dirhams soutient les PME dans l'adoption de procédés sobres en carbone, en couvrant des dépenses liées à l'innovation et au conseil, en accordant des exonérations fiscales et en participant au capital des entreprises». L'étude insiste également sur l'importance de la coopération bilatérale. Elle cite comme exemple «le Partenariat vert UE-Maroc, qui offre un cadre pour le financement de projets d'énergies renouvelables et l'accompagnement des entreprises marocaines dans l'adaptation au CBAM». Enfin, les auteurs recommandent que le Maroc poursuive l'adoption de normes internationales de suivi carbone et développe des certificats d'énergie renouvelable reconnus par l'UE. Selon leurs termes, «ces mécanismes permettront aux entreprises marocaines de naviguer dans le CBAM sans perdre leurs marchés et de se positionner comme un acteur de la production bas-carbone dans l'espace euro-méditerranéen».