L'opération charme continue. Le PJD de Saâdeddine Othmani a mis le cap sur l'Espagne, et y a rencontré le gotha parlementaire, patronal, politique et les victimes des attentats du 11 mars. Davantage un message politique qu'une visite de routine, la symbolique du déplacement de la délégation PJDiste est en soi une manifestation d'adhésion. Le président de la première chambre espagnole Manuel Marin a d'ailleurs trouvé le mot : intégration. Au cours de la rencontre avec Saâdeddine Othmani dédiée, presque exclusivement, au problème épineux de l'immigration, Manuel Marin a hautement salué la "capacité du PJD de s'intégrer dans la vie politique". Une manière de signifier, et aux invités du Cortes et à la classe politique marocaine, que l'élite représentative espagnole "trouve" le parti islamiste, un parti comme les autres. D'où son action tous azimuts sur le sol ibérique. De l'encadrement religieux des imams à l'immigration en passant par la question amazighe, les islamistes ont tout abordé. Avec tout le monde, également. Ce qui paraît ici aller de soi, est en fait un voyage initiatique pour les islamistes participationnistes. En témoigne le large éventail des rencontres que les membres de la délégation ont eues: groupes parlementaires du Parti populaire, PSOE, Basques, Catalans et pour finir, la Izquierda unida (gauche unifiée). En témoigne également, le ton adopté par Othmani et ses amis. Soucieux de donner l'image d'un parti "présentable", ils ont surtout fait référence à la tradition européenne elle-même en matière de relation entre la religion et la politique. Souvent élément d'inquiétude et d'amalgame surtout, la question est ici présentée comme un prolongement à "la démocratie chrétienne". En d'autres termes : le PJD est pour le Maroc, ce que la CDU est pour l'Allemagne. Avec bien entendu une nuance, car pour Othmani, " tous les partis marocains ont un référentiel islamique, seul diffère le degré de revendication ". La nature oui, le degré non , cela laisse-t-il entendre “ne doit pas faire de nous un parti différent". Le voyage espagnol, c'est aussi une normalisation de sens. En participant au cérémonial organisé en cette occasion pour célébrer la mémoire des victimes du 11 mai, le PJD s'est mis de l'autre côté de l'image horrifiante du " faciès incriminé de l'islamiste politisé ". Là aussi, le choix de la pédagogie par acte compassionnel a l'allure d'un gage politique. Par nature obscure, sinon suspicieuse pour l'homme de la rue espagnole, l'image d'un islamiste qui fait la politique fait aussi hésiter les hommes politiques. Aussi bien en Europe qu'en Amérique. Le contact établi avec, et surtout par cette dernière, reste à généraliser. Objectif : seule issue pour parer à l'extrémisme terroriste est et demeure la "normalisation des relations" avec la tendance, grosso modo, appartenant aux "Frères musulmans". Aberration des miroirs ou renvoi distordu d'une réalité intrinsèque ? Peu importe, la politique est là : en logeant tous les islamistes à la même enseigne, on risque de s'installer durablement dans l'illusoire. Et donc, laisser échapper une alternative démocrate chrétienne ! C'est en ces termes que semble raisonner une large frange des décideurs occidentaux. (Voir LGM : USA – Islamistes : la main de Midas). Coïncidence: au moment où le PJD multipliait les accolades de l'autre côté de Gibraltar, se tenait au Luxembourg la 7ème conférence euro-méditerranéenne des ministres des Affaires étrangères. Attajdid qui en a fait son miel dans l'édition du mercredi premier juin, s'est demandé : "l'Union européenne arrive-t-elle à convaincre les pays du sud de s'ouvrir sur les partis islamistes modérés ? ". Ils sont légions, dont le Maroc. On y lit également que cette rencontre euro-med "survient après l'adoption d'une nouvelle approche européenne visant l'établissement du dialogue avec les mouvements islamistes modérés". Annoncé officiellement dès avril dernier, ce dialogue semble le fruit d'un rapport préparé par le réseau des centres de recherches et soumis au Parlement européen. Attajdid en retient en particulier : "l'absence d'une attitude positive vis-à-vis des mouvements islamistes et sa contribution dans l'édifice démocratique dans le monde arabe a affecté le rendement démocratique ". En d'autres termes : moins il y a de partis islamistes modérés, plus il y a de risques de non-démocratie. Après les Américains, les Européens ? Une chose est sûre : les modérés semblent faire "tendance". Et loin de laisser échapper une occasion en or, le PJD y voit même un don du ciel. Lui qui croit que le ciel fait tout, réalise qu'en politique, les appréhensions, les inquiétudes ou les préférences des capitales européennes comptent beaucoup. Madrid, en premier lieu. Désormais, tout voyage à la capitale espagnole s'apparente à une préparation à l'exécutif. Othmani semble en faire une politique : n'est-ce pas le Secrétaire général du PJD qui, dans une interview à la presse espagnole, s'est declaré "prêt au gouvernement"? Il y a deux mois, cette déclaration avait le goût du souhait. Plus maintenant : pour concrétiser davantage cette propension, sinon cette feuille de route, Othmani retourne sur le lieu du baptême. La tentation européenne du PJD marocain n'est pas la seule dans son genre. Il existe au moins une autre chez un autre PJD. Turc, celui-là. Celui-là même qui semble servir de modèle réussi aux fondamentalistes marocains. Les relations entre les deux formations réaffirment une certaine "communauté de destin". Le PJD d'Erdogan, lui-même chantre de l'ouverture, voire de l'intégration dans l'espace européen, est à la fois le modèle et le risque. C'est que la politique, davantage animée par l'intérêt national que par l'utopie "califale", ne fait pas que des partisans au sein du PJD marocain. Ahmed Raïssouni, l'ancien chef du MUR (l'alter ego du PJD) et toujours éminence grise du fondamentalisme entriste, a publiquement rejeté le modèle Turc. Et dans le fond, et dans la forme. Stratégiques, ses relations avec Israël ne sont guère de nature à plaire aux plus intégristes des intégristes. Une chose est sûre, cependant : tout décryptage de l'état des lieux du PJD ne peut faire l'économie de sa tentation espagnole, sorte de cheval de Troie pour la conquête des gouvernements, marocain et occidentaux.