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Mohamed El Jem, arrajoulou lladi…
Publié dans La Vie éco le 07 - 01 - 2011

Quarante ans de scène, cent-vingt pièces écrites et/ou interprétées, six comédies de situation jouées, El Jem est un homme de théà¢tre emblématique.
Les monstres sacrés du spectacle sont généralement infréquentables. Infatués de leur glorieuse personne, ils déplacent trop d'air, roulent les mécaniques et couvrent de leur mépris le commun des mortels. Toute règle comportant son exception, Mohamed El Jem en forme une. Bien que phénix de la scène, sur laquelle il est présent depuis plus de quarante ans, il ne se prend pas pour le sel de la terre, bien au contraire. Il vous serre la main chaleureusement, veille à ce que vous soyez installé confortablement, s'enquiert de votre santé comme si vous vous connaissez depuis toujours, avant de se prêter aimablement au jeu des questions-réponses.Tant de prévenances surprennent agréablement. On prend le temps de les apprécier convenablement. Et voilà que notre regard se pose sur le pantalon de notre hôte, histoire de vérifier s'il est de bonne longueur. «Je m'attendais à ce réflexe. Tous les gens que je rencontre dans la rue ne peuvent s'en empêcher, tellement ils me voient déguisé sur scène», nous rassure El Jem. Mais c'est en se présentant dans une mise impeccable qu'il paraît déguisé, tant sa défroque extravagante – tarbouche rouge vif, cravate criarde, bretelles superflues et futal s'arrêtant au niveau des chaussettes – lui colle, si l'on ose dire, à la peau.
Tel Charlie Chaplin, il devint célèbre grâce à sa défroque extravagante
Il est indiscutable que l'accoutrement de Mohamed El Jem entre en bonne part dans sa célébrité. On lui rend grâce de l'avoir créé, il s'empresse de rendre à César ce qui est à César, en précisant que l'idée émanait du metteur en scène Abdessamad Dinia. 
Il déplaît à ce bouffon solaire de tirer la couverture à soi. Depuis qu'il est à ses commandes, estime-t-on, la troupe du Théâtre national Mohammed V ne cesse de monter en puissance, parvenant même à surclasser toutes ses consœurs. Erreur !, rectifie El Jem. D'une part, il n'en est pas le président, celui-ci se nomme Abdellatif Dachraoui, mais «seulement» le secrétaire général ; d'autre part, le mérite, si mérite il y a, revient à tous les membres de la formation, sans exclusive. Et de se répandre en éloges sincères sur l'incontestable savoir-faire du metteur en scène Abdellatif Dachraoui, un vieux briscard qui a fait les beaux jours de plusieurs compagnies majeures, comme sur le jeu lumineux et captivant de Nezha Regragui, sa complice de longue date, avec laquelle il fait la paire. Sans un metteur en scène de cette envergure, et des partenaires de cette trempe, affirme-t-il, il ne passerait jamais la rampe. La modestie de Mohamed El Jem est proprement confondante. «On me prête cette qualité-là, je ne sais pas si c'est à tort ou à raison. Mais si je la possède réellement, c'est grâce à mon père, qui me l'a inculquée».
A l'évocation de l'auteur de ses jours, le visage de la vedette s'éclaire. Mohamed El Jem a une grande dévotion pour cet homme qui, dans une vie antérieure, s'efforçait d'incruster dans la tête de petits paysans les versets du Coran, tout en tentant de maintenir en vie quelques arpents cultivables. Il se trouve que les habitants de ce douar proche de Larbâa de Oulad Amrane n'avaient pas souvent de quoi récompenser le fqih de sa peine, et que la sécheresse persistante avait, à chaque fois, raison de ses maigres cultures. 
Au collège déjà, il se plaisait à imiter ses professeurs, sans méchanceté, mais avec justesse
Le père El Jem, flanqué de sa jeune épouse en état de grossesse, se mit en quête d'horizons moins hostiles. Ils échouèrent à Salé. C'est ainsi que l'enfant conçu à Doukkala vint au monde au cœur de la cité des corsaires. Son géniteur était aux anges. Il fit le serment de ne jamais laisser ce don de Dieu manquer de quoi que ce soit. Aussi, le tailleur de djellabas qu'il était devenu, mettait-il les bouchées doubles, ne s'accordant de répit qu'aux appels du muezzin ou à l'heure du déjeuner. Mais plus l'enfant grandissait, plus son père lui consacrait du temps, l'initiant au Coran, lui inoculant des principes moraux et lui enseignant des règles de conduite exemplaires. C'est dans un contexte de fécondité affective et d'édification religieuse que s'écoule la petite enfance de Mohamed El Jem. Il en fut sainement marqué.
A l'école Ennahda de Salé, Mohamed se fit, d'emblée, remarquer par sa précocité. Dans la plupart des matières, il en savait davantage que ses camarades, en tirait avantage pour franchir, sans coup férir, les étapes du cycle primaire. Studieux, poli et propre comme un sou neuf, il devint vite le chouchou de ses enseignants. Sans que ses condisciples en prennent ombrage. Car le futur comédien aimait à se donner en spectacle, à la récréation ou à la sortie de l'école. Il était un amuseur-né, faisant tordre de rire son jeune public grâce à ses mimiques, ses répliques improvisées et ses imitations des grandes personnes. Mise au parfum de ses prodigieuses aptitudes comiques, la direction de son école l'invita à se produire sur scène, à l'occasion de la fête de fin d'année scolaire. Là, devant une assistance exigeante, il joua brillamment une comptine. Dès lors, on comptait sur lui pour mettre du sel dans les distributions des prix. Ce dont il s'acquittait avec grâce et non sans fierté. Au collège, il se plaisait à imiter ses professeurs, sans méchanceté, mais avec justesse. Ils le surent, et chacun demandait à Mohamed d'imiter un de ses collègues. «J'en avais les dispositions. Mais je m'abstenais de m'y engager plus avant, de crainte de mécontenter mon père, qui rêvait pour moi d'un destin autre que celui de saltimbanque», avoue El Jem.
Une première tentative échoue, il se consacre à devenir enseignant
Les années passent, le père El Jem demeure toujours opposé au choix de son fils de s'embarquer dans la galère théâtrale. En attendant qu'il s'amadoue, Mohamed El Jem peaufine sa vocation, en courant les spectacles, en assistant aux répétitions et en fréquentant les ateliers de formation. Tant et si bien qu'il attire l'attention d'un jeune et prometteur metteur en scène, qui lui propose un rôle dans sa pièce, Les Tortues. Cette offfre inespérée est interprétée par son bénéficiaire comme un signe du Ciel. Il ne pourrait la décliner, malgré le parti pris paternel. Alors, il l'accepte. Mais, pour son malheur, l'œuvre, jugée injurieuse pour le régime de l'époque (nous sommes en 1970), ne fait qu'un tour puis s'en va. Et voilà l'infortuné El Jem Gros-Jean comme devant : freiné dans son élan théâtral, objet du courroux paternel, et surtout fauché comme les blés. Il importe de mettre de l'ordre dans ce chaos, se raisonne-t-il. En commençant par s'assurer un avenir précautionneux. Sur l'enseignement, il jette son dévolu. Lui qui rêvait d'un habit de lumière, se retrouve engoncé dans un tablier d'instituteur. Ce qui ne l'empêchera pas de prendre au sérieux son sacerdoce, dispensant le savoir avec zèle et conviction. Mais sans enchantement, faute de public à sa mesure. «Il est vrai que l'enseignement vous met en face d'un parterre, sauf que celui-ci n'est pas nombreux. Chose frustrante pour les gens comme moi qui pour assouvir leur désir d'être en représentation ont besoin de s'adresser à une foule. Comme au théâtre», confesse-t-il. A la fin de l'année 1973, Mohamed El Jem tourne la page de l'enseignement, afin, espère-t-il, de réouvrir celle qui lui tient à cœur : le théâtre.
Ahmed Taïeb El Âlj l'a pris sous ses ailes tutélaires
Le hasard faisant bien les choses, Mohamed El Jem se voit détaché au ministère de la culture qui se trouvait dans le même portefeuille que l'enseignement à l'époque. C'est la planque convoitée. On s'y tourne les pouces et on meuble cette vacuité comme on peut. En attendant de se faire enrôler par l'une des formations existantes, El Jem s'adonne à l'écriture dramatique. La pièce qu'il a composée pour le compte d'une troupe d'amateurs, Dlala, bénéfice d'une représentation devant une foule impressionnante, en 1971. Parmi laquelle se trouve l'immense Ahmed Taïeb El Alj. A la fin du spectacle, l'auteur dramatique aborde Mohamed El Jem, lui demandant si c'était lui qui a écrit la pièce. «Le personnage, au faîte de son art, m'intimidait. Je n'aurais jamais osé aller à sa rencontre. Quand j'ai répondu par l'affirmative, il m'a assuré que mon texte est d'une facture admirable et que pour peu que je continue dans cette voie, je me ferais un nom», raconte El Jem. Ces propos échangés sont les prémices d'une indéfectible amitié, dont l'aspirant théâtreux récoltera les fruits. En effet, quelques mois plus tard, El Âlj, résolu à mettre le pied à l'étrier à son protégé, persuade Mohamed El Jem de rejoindre la troupe du Petit Masque. Si M'barek Adou, Brahim Abbès et Abdellatif Dachraoui en sont les fondateurs, Ahmed Taïeb Âlj peut se prévaloir d'en être l'inspirateur et l'âme. Sous sa férule, El Jem va s'illustrer dans une kyrielle de comédies. A croire qu'il est maudit, nombre de pièces dans lesquelles il a joué connaissent un sort peu enviable. Les Tortues, de Nabil Lahlou, sont interdites de représentation publique ; Qadi Al Halqa, œuvre de Ahmed Taïeb El Alj, montrée au IVe Festival de Timgad (Algérie) devrait attendre dix ans pour obtenir l'imprimatur ; Jamajim a été condamnée à se produire à huis clos, la police empêchant le public d'accéder à la salle du ministère de la culture… Et le reste est à ce fâcheux avenant.
Mohamed El Jem ne se contentait pas d'incarner des personnages, il écrivait aussi des pièces, à travers lesquelles il donnait libre cours à sa verve satirique. Elles échappaient rarement aux fourches caudines de la censure, tant elles indisposaient la police politique. Il convient de souligner que dans les années soixante-dix le système se raidissait, bâillonnant la parole suspecte et lui enlevant toute possibilité de souffle. Pour autant, Mohamed El Jem ne se reconnaissait pas dans l'étiquette de rebelle : «L'écriture était un travail d'équipe. Un membre suggérait une idée à développer, un autre imaginait une scène et ainsi de suite. Moi, je n'étais que la plume de la troupe. Mon apport consistait seulement à donner forme aux idées, suggestions et propositions émises. Je refusais obstinément de me ranger sous la bannière de n'importe quelle idéologie. Je n'étais, et je ne suis toujours pas, ni de droite ni de gauche ou du centre». On en prend acte, mais le doute est permis. Seul un rebelle dans l'âme pouvait trouver les mots et les formules susceptibles de frapper là où ça faisait mal.
Mais c'est en intégrant la troupe du Théâtre national que Mohamed El Jem allait s'accomplir. Taïeb El Alj, qui avait pris congé du Petit Masque, y régnait sans partage. Et c'est en interprétant ses adaptations et œuvres que Mohamed El Jem imposa sa griffe.
En 1992, Taïeb El Alj prit sa retraite. La formation du Théâtre national se retrouva orpheline de son remarquable auteur. Succession ouverte. Elle revint judicieusement à Mohamed El Jem, qui avait déjà fait ses preuves. Âilat Si Marbouh, Jar wa Majrour, Arrajoulou Lladi, Al Mara'atou Ilati, et tant et tant de bijoux d'humour s'enchaînèrent. Elles fissent toutes fortune auprès du public. A titred'exemple, Al Maraatou Llati draina plus de 1 200 personnes en une seule exhibition. Chiffre hallucinant en des temps où les amateurs de théâtre se font rares. Mais il faut dire que Mohamed El Jem a su gagner les cœurs, en optant pour la comédie populaire. Il a repris à son compte cette recette héritée de Molière : faire rire le public de lui-même. Cultivant ainsi une tradition très marocaine qui met à nu le jeu social en donnant l'impression de s'en amuser. Au fond, Mohamed El Jem, à l'instar de son ancien mentor, Taïeb El Alj, est notre Molière. N'étant pas bouffi de vanité, il ne s'en fait aucune gloriole.
La passion de Mohamed El Jem pour la scène n'a d'égale que son attachement à sa petite famille. Toutes les deux se partagent son existence. Justement, sa fille vient de lui téléphoner. Soucieux de ne pas troubler cette intimité à distance, nous nous sommes éclipsés, en catimini, du bureau de notre hôte. Sinon, nous nous serions fait chasser à coups de fameux Yellah Yellah.


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