Pour les 50 ans de la Marche Verte, Voix Plurielles déplace ses Rencontres de la photographie à Dakhla. Entre désert et mer, un festival qui conjugue mémoire, formation et émergence artistique dans les provinces du Sud. Suivez La Vie éco sur Telegram Pour fêter le cinquantenaire de la Marche Verte, l'Association Voix Plurielles prend le large. Loin des galeries de Marrakech où elle avait pris racine, la 5e édition des Rencontres de la photographie s'installe à Dakhla, du 6 au 9 novembre. Une migration symbolique, presque politique, pour un festival qui entend mêler création contemporaine, mémoire et développement territorial. Plus qu'un simple changement de décor, cette délocalisation répond à une volonté de désenclaver la culture et de rééquilibrer l'offre artistique nationale, trop souvent cantonnée au centre et au nord du pays. « Dakhla n'est pas seulement un cadre sublime, c'est un symbole fort, le cœur battant des provinces du Sud et le témoin vivant de notre histoire récente », explique Abdellah Oustad, directeur du festival. Selon lui, y organiser cette édition revient à « ancrer la commémoration de la Marche Verte dans le territoire même qu'elle a libéré ». Cette édition anniversaire s'annonce dense : un mois et demi d'activités, mêlant production artistique, expositions, rencontres et formation. Le festival se veut une plateforme internationale de la photographie méditerranéenne, tout en réaffirmant la vocation du Maroc à être un carrefour de regards et d'histoires. Quatre axes thématiques structureront le parcours d'exposition : «Mémoires de la Marche Verte», «Territoires et identités», «Regards croisés» et «Nouveaux horizons». Mais l'événement ne s'arrête pas à la contemplation. Il place la formation et l'émergence au centre du dispositif. Trente jeunes photographes marocains, sélectionnés sur dossier, suivront un programme de masterclasses et d'ateliers dirigés par des experts internationaux. «Nous avons voulu une édition qui forme autant qu'elle expose, qui transmet autant qu'elle montre», confie Oustad. La sélection, précise-t-il, veille à la parité et à la représentation des provinces du Sud, un signe d'inclusion autant qu'une promesse d'équité culturelle. Le volet professionnel, lui, s'annonce tout aussi ambitieux. Cinquante talents émergents auront la possibilité de présenter leurs portfolios devant dix experts internationaux (commissaires, directeurs de festivals, éditeurs). Une résidence artistique accueillera également plusieurs photographes étrangers, invités à produire des œuvres inspirées de l'histoire et du territoire de Dakhla. Autour des expositions, un programme de conférences, de tables rondes et de médiation culturelle, notamment à destination des élèves, vise à inscrire la photographie dans le quotidien des habitants. Le festival veut ainsi dépasser sa dimension événementielle pour devenir un levier de développement durable, une école à ciel ouvert autant qu'une célébration. «L'enjeu, c'est de bâtir un écosystème local qui survive au festival», souligne l'équipe organisatrice. Pour cela, un fonds photographique consacré à Dakhla sera lancé, accompagné de programmes de formation, de médiateurs culturels et de transferts de compétences. L'impact recherché est triple : culturel, avec la montée en puissance de la scène photographique marocaine ; éducatif, via la sensibilisation des jeunes générations ; et économique, à travers les retombées touristiques et médiatiques. Choisir la photographie pour commémorer la Marche Verte, c'est préférer l'image à la statue, le regard au monument. Les Rencontres de Dakhla misent sur la puissance évocatrice du médium pour réinterpréter un moment fondateur de l'histoire nationale. L'idée est claire : sortir des formats commémoratifs figés pour renouer avec un public jeune, connecté, visuel. Un pari assumé : «Nous voulons parler d'histoire à travers la création contemporaine. Ce dialogue entre passé et présent, entre mémoire et imaginaire, c'est tout le sens de cette édition», affirme Oustad. Mise au point à Dakhla Derrière cette ambition, un homme, Abdellah Oustad, chef d'orchestre et visage de Voix Plurielles. Depuis la création des Rencontres de la photographie de Marrakech en 2016, il a fait de ce projet un rendez-vous incontournable pour les amateurs d'image. Le festival, qui accueillait 2.000 visiteurs lors de sa première édition, en rassemble aujourd'hui plus de 8.000. Diplômé en gestion de projets culturels et en communication, Oustad appartient à cette génération de faiseurs de ponts culturels entre le Maroc et l'international. Pour lui, la photographie n'est pas qu'un simple art visuel, mais un outil de dialogue, de transmission et de développement. «Un événement culturel réussi est celui qui dépasse le cadre d'une exposition pour devenir une expérience humaine et sociale», confie-t-il. Des programmes comme Emergences photographiques ou l'exposition itinérante «Maroc : regards contemporains» ont permis à de jeunes artistes marocains d'accéder à la scène internationale. Dans les écoles, il multiplie aussi les initiatives d'éducation à l'image, convaincu que «la culture doit être vécue, partagée et transmise». Conscient des obstacles qui freinent la jeune génération (absence de financements, manque de structures de formation, visibilité limitée), il plaide pour une approche proactive : «Les artistes doivent créer leurs opportunités, collaborer, se structurer. Le talent ne suffit plus, il faut une stratégie». La 5e édition des Rencontres, à Dakhla, incarne cette philosophie : un festival qui conjugue esthétique, engagement et impact. « Il ne s'agit pas seulement d'un événement artistique, mais d'un acte de développement. Nous voulons utiliser la force de l'image pour raconter notre histoire et former ceux qui la raconteront demain», conclut Oustad. Entre mer et désert, Dakhla s'apprête ainsi à devenir, le temps d'un automne, la capitale du regard, où la mémoire nationale croisera la création mondiale. Une ville symbole, pour une Marche qui, cinquante ans plus tard, continue d'avancer.