Layaly Badr, palestinienne taillée à Berlin et Big Apple, défend un cinéma méditerranéen sans fard : libre, viscéral, enragé. Suivez La Vie éco sur Telegram La scénariste et réalisatrice Layaly Badr est une figure discrète mais influente du cinéma méditerranéen. Membre du jury des Ateliers de Tétouan (FTCM) cette année, elle nous reçoit pour un échange passionné sur l'art, la création et les silences imposés. Au cœur de ces journées dédiées à l'industrie cinématographique, elle défend un cinéma sincère, libérateur, loin des diktats du marché. Qu'est-ce qui vous frappe le plus dans les projets présentés cette année aux Ateliers de Tétouan ? Cette manière qu'ont les voix méditerranéennes de réinventer l'histoire collective, ou bien ce silence qui persiste, obstiné, là où elles peinent encore à se faire entendre ? Layaly Badr : Pour moi, l'art est d'abord un miroir de la société, de l'individu, du collectif. Toute création sincère, authentique, qui ne se force pas et qui reste fidèle à son langage artistique, a de la beauté. J'aime les œuvres qui viennent du cœur, celles qui captent l'humain dans sa condition sociale, physique, émotionnelle ou économique. La sincérité, dans l'art, c'est tout. Les Journées de l'industrie de Tétouan visent à tisser des ponts entre les rives méditerranéennes… Layaly Badr : Personnellement, je vais beaucoup apprendre des dix projets présentés : sur les réalisateurs, leurs conditions, la manière dont ils exposent leur vision. Dix films, tous différents. Des thématiques parfois proches, mais jamais des œuvres identiques. Chaque réalisateur apporte sa perspective, sa méthode artistique… On apprend de nos différences. Nous cherchons toujours ce développement : psychologique, sensoriel, intellectuel. C'est ainsi que l'on atteint ce que l'on veut. Mais dans nos sociétés arabes, nous avons été muselés par l'histoire. Réprimés, d'abord par le colonialisme, puis par ses séquelles. L'art, lui, refuse le silence. Plus l'humain est libre, plus il peut toucher l'autre. Chez nous, la répression et la manipulation identitaire ont été un obstacle majeur, mais au fond, nous restons humains. Nous partageons cette humanité. Ensuite, beaucoup de pays arabes ne financent pas les films de leurs propres enfants, ne s'en soucient pas. Mais certains le font, et ces nations produisent une culture durable. Car au final, nous mourons tous, mais l'art reste. La culture perdure. Quand un dictateur arrive, la première chose qu'il fait, c'est stopper les festivals, bloquer les livres, interrompre le cinéma. Parce que la culture est le premier outil de liberté pour les humains. Après des décennies d'écriture et de films de fiction qui épient le chaos personnel, que diriez-vous au jeune scénariste de long métrage, fiction ou documentaire, pour oser soumettre son œuvre à un jury international comme le vôtre, sans se perdre dans les attentes du marché ? Layaly Badr : J'ai commencé enfant, en soumettant mes films à des festivals. Et j'ai souvent gagné. Les prix sont beaux, encourageants, mais ils reflètent surtout le jury. Gagner ne veut pas dire que votre film est bon ou mauvais ; cela veut dire que le goût de ce jury a été séduit. Un autre jury aurait choisi autre chose. L'important, c'est la confiance : en soi, mais surtout dans ce que l'on soumet. Le jury n'est pas un monstre : ce sont des personnes, souvent plus expérimentées – quoique pas toujours. Et puis, la discussion est une opportunité énorme. Une chance d'apprendre ce que le jury n'a pas vu. Chez nous, chaque projet est étudié en profondeur. On peut dire des choses brillantes, des bêtises, ou juste des remarques pertinentes. Tout cela devient une leçon : pour développer son scénario, le polir et le lancer dans le monde entier.