Aujourd'hui, il y a un appel officiel à une révision des programmes scolaires dans les écoles. Le chantier d'examiner à la loupe les manuels scolaires pour les expurger de toute incitation à l'extrémisme religieux et à la violence sera bientôt lancé. Les manuels et les programmes scolaires sont de nouveau mis sur le tapis. Il y a danger en la demeure : le terrorisme a frappé partout, en Europe et particulièrement en France en 2015. Et maintenant l'Afrique: 4 523 attentats mortels ont été recensés la même année dans 44 pays de ce continent, dont la majorité ont concerné l'arc sahélien ou les côtes du Maghreb. Les pays musulmans se sentent directement interpellés, ces actes terroristes sont tous menés au nom de l'islam. On se mobilise alors : plus de 300 dignitaires religieux, des savants musulmans, des juristes et des représentants politiques de pays musulmans ou à majorité musulmane se sont rencontrés fin janvier dernier à Marrakech, sous la houlette du ministère marocain des Habous et des affaires islamiques. Objectif: s'engager à défendre les minorités religieuses dans les pays musulmans. En a résulté «la Déclaration de Marrakech», où les participants appellent les autorités éducatives musulmanes à effectuer «un examen courageux des programmes d'enseignement afin de retirer de manière honnête et efficace tout matériel incitant à l'extrémisme, conduisant à la guerre et au chaos, et entraînant la destruction de nos sociétés partagées». Le message est clair : expurger les manuels scolaires en cours d'utilisation de toute incitation à la discrimination envers les autres religions ou minorités religieuses. Ce sont, en gros, les manuels scolaires, et de l'éducation islamique en particulier, qui sont pointés du doigt. Les attentats terroristes de Casablanca du 16 mai 2003 sont passés par là, et l'on se rappelle du débat qui a eu lieu, juste après, de la place de la religion dans l'espace public, et dans le système éducatif en général. Un toilettage de tous les supports programmés dans les écoles marocaines jamais opéré auparavant est alors entrepris par le ministère de tutelle qui a continué jusqu'en 2008. Des alertes sur certaines dérives de ces manuels par la presse ont rapidement porté leur fruit. A l'instar de ce manuel d'éducation artistique et d'initiation à la technologie, destiné aux élèves de la 5e année du primaire, où l'on montrait des images distinguant deux groupes de personnes. A gauche : barbes hirsutes, hardes fripées et mines patibulaires ; à droite: cheveux couverts, barbes soignées et visages sereins... Et l'on demandait à l'élève de distinguer dans cette image les «musulmans» des «mécréants». Tout le discours officiel sur la tolérance et la coexistence entre les religions a été mis à plat par cette seule image qui véhiculait une vision manichéenne de l'islam. Dénoncé, le manuel scolaire en question a été interdit d'utilisation dans le système éducatif national, mis hors la loi et retiré du marché en vertu d'une circulaire ministérielle datée du 7 août 2003. Un autre manuel scolaire a été dénoncé et retiré du système éducatif, celui d'éducation islamique de la 1ère année du bac. Dans la leçon 7, page 88, intitulée Al Ridda, on pouvait y lire : «Est bouté hors d'islam quiconque prononce un mot considéré dans sa nature comme kofr, et toute croyance en contradiction avec l'islam». En somme, un appel à peine déguisé au meurtre contre tous les autres, exceptés les «vrais musulmans», en contradiction flagrante avec les orientations d'un Etat démocratique moderne. Une étude approfondie des manuels s'impose Face à ce discours scolaire haineux, la plus grande réforme des manuels scolaires a été alors lancée, sous l'œil vigilant de la Commission d'évaluation et de validation, présidée alors par Abderrahmane Rami, ex-directeur du curricula au MEN. Le travail de cette dernière était de trier les meilleurs livres, n'étaient autorisés que ceux qui respectaient les trois critères fixés par le cahier des charges: linguistique, esthétique et le respect des valeurs fondamentales des droits humains et de citoyenneté basées sur la tolérance, l'égalité et le respect de la dignité de l'individu. Tout serait-il parfait en 2016, huit ans après la fin de cette réforme et la dissolution de la commission d'évaluation? Rien n'est moins sûr. Un gros travail a été fait à partir de 2003, convient Rahma Bourquia, directrice de l'Instance nationale d'évaluation au sein du Conseil supérieur de l'éducation, «mais il faudra faire maintenant une étude approfondie de ces manuels scolaires pour dégager une autre méthode de transmission du savoir religieux. Ce dont on est sûr, c'est l'impact de cette formation religieuse chez les apprenants, par les questions que ces derniers posent et par leurs comportements quotidiens. Le problème majeur à résoudre est de savoir comment assurer une formation religieuse dans les écoles en l'insérant dans une vision globale de la société et du monde». La balle est désormais dans le camp des deux ministères, celui des habous et des affaires islamiques et le MEN. Les deux départements ont déjà entamé leurs premières réunions, mais l'on manque «encore de visibilité sur le sujet», selon un membre du conseil présidé par Omar Azzimane. Ce dernier a déjà mis en place dans sa vision stratégique 2015-2030 une commission permanente d'évaluation des programmes scolaires. Va-t-elle maintenant entreprendre le vaste chantier d'examiner à la loupe les manuels scolaires pour les expurger de toute incitation à l'extrémisme religieux et à la violence ? Tant il est vrai que cette dernière, analyse Ahmed Assid, écrivain et militant associatif, «est si prégnante dans les programmes d'éducation islamique que l'élève ne retient que les guerres saintes (al ghazawat) où l'on a tué les mécréants, alors qu'elles doivent être étudiées en tant qu'événements historiques dans la matière de l'histoire et non pas dans la matière éducation islamique». La vision stratégique 2015-2030 du conseil serait une feuille de route dans ce domaine, puisqu'elle prévoit deux mesures importantes : 1- «réviser les curricula, les programmes et les méthodes pédagogiques dans le sens de l'allègement, du développement de la pensée des apprenants(es) et de leurs aptitudes dans l'observation, l'analyse, l'argumentation et la pensée critique» ; 2- «Centrer les curricula sur l'apprenant(e) comme finalité de l'acte pédagogique et l'encourager à développer la culture de la curiosité intellectuelle, de l'effort et de l'initiative». Un manuel scolaire n'est qu'un outil et un support dans tout système éducatif, aussi parfait soit-il, ne vaut que par la manière dont il est expliqué aux élèves par l'enseignant. «Et cela dépend de la culture de cet enseignant, de son état d'esprit, et de son bagage intellectuel», analyse Mme Bourquia. Et même de sa façon de se vêtir, un enseignant a un ascendant psychologique sur l'élève, «et quand on sait que 95% des enseignantes dans le primaire et le secondaire sont voilées, la conclusion est vite faite», retient cette professeure de philosophie actuellement à la retraite. Et d'ajouter que certaines «vont jusqu'à imposer à leurs élèves filles de porter aussi le voile». Certains sujets d'examen à eux seuls reflètent cet état d'esprit. Comme celui en «éducation islamique», soumis en juin dernier aux élèves de la région Sous-Massa-Draâ pour l'obtention du Certificat d'études secondaires, où l'on associait des militants des droits de l'Homme à des défenseurs de comportements «déviants» comme la consommation de la drogue ou la violence. Ce qui a fait réagir, pour le dénoncer, les associations de défense des droits de l'Homme. [tabs][tab title ="Histoire : les manuels scolaires déjà dénoncés dans les années 1980"]Déjà dans les années 80, le chercheur feu Mohamed El Ayadi, dans un travail académique consacré aux manuels scolaires et à l'enseignement du fait religieux dans les écoles, a fait cette conclusion péremptoire : ces manuels scolaires diffusaient un savoir «politique et idéologique fortement empreint de l'influence fondamentaliste et islamiste» qui touchait tous les thèmes objet du discours scolaire. Sa thèse de doctorat soutenue à Paris-VIII en 1996 donne le détail de son enquête sur les manuels scolaires. La même année, un article publié dans l'hebdomadaire français «l'Evénement du jeudi», intitulé «Alerte, Maroc, l'école de la haine» (signé Martine Gozlan, grand reporter de l'hebdomadaire) en donne un aperçu. On y lit en particulier : «L'Etat marocain, si prompt à dénoncer le péril intégriste, autorise curieusement des manuels scolaires qui distillent un véritable enseignement de la haine. Haine des juifs, haine de l'Occident. Un universitaire courageux, Mohamed El Ayadi, s'est livré à une analyse de leur contenu dans sa thèse. On y découvre ainsi que les auteurs du manuel de l'éducation islamique de terminale de 1996 s'appuient sur le célèbre faut antisémite d'origine tsariste, -Les protocoles des Sages de Sion. Le «complot juif contre l'humanité et les religions» serait responsable, pêle-mêle, de la destruction de l'Etat prussien et de l'Empire ottoman, des deux dernières guerres mondiales et de la création d'Israël sur les terres arabes. Dans les manuels scolaires, note El Ayadi, on ne fait aucune différence entre le sionisme politique et le judaïsme comme religion. Le deuxième grand ennemi de l'islam est l'Occident. Pas seulement à travers les croisades et la colonisation : ce que dénonce l'auteur, c'est aussi par la «conquête culturelle», cause de la diffusion de l'incroyance chez les musulmans. Il ne faut donc plus s'étonner de voir les universités marocaines saisies par l'intégrisme : les étudiants y appliquent les préceptes enseignés dans le cycle secondaire. Le ferment de l'intolérance aura été semé avec la complaisance passive du pouvoir». Et M. El Ayadi de raconter cette histoire dans son livre publié à titre posthume : après la publication de cet article, le Premier ministre français de l'époque, Edouard Balladur, s'est emparé de l'affaire et avait alerté le gouvernement marocain. Après une enquête diligentée par le ministère de l'éducation nationale, qui avait confirmé le contenu de l'hebdomadaire français, la décision fut prise de retirer certains cours incriminés des manuels de l'instruction religieuse. La décision fut appliquée dès la rentrée scolaire de septembre 1996. Le ministre marocain de l'éducation nationale avait également alerté les décideurs sur la problématique de l'enseignement religieux et sur le contenu des manuels scolaires d'instruction religieuse.[/tab][/tabs]