Comme tous les Marocains, j'aime le soleil, c'est un fait. Surtout en été, lorsque j'ai les pieds dans l'eau. Les Russes... c'est une autre histoire. Ils sont confrontés depuis le début de l'été à une canicule sans précédent, des frontières de l'Ukraine jusqu'à Moscou, avec des températures flirtant avec les 40 degrés. Cela pourrait être anecdotique si les Russes n'étaient pas aussi fidèles à leur réputation en étant un peu... excessifs. Leur remède contre la canicule ? Boire encore et plus de vodka, et se rafraîchir ensuite dans les rivières de la région. La conclusion était malheureusement prévisible, avec des centaines de morts par noyade alcoolique, qui viennent s'ajouter aux victimes de la canicule à la santé fragile. Pour couronner le tout, d'énormes incendies se sont déclarés dans la même région, ravageant plus de 200.000 hectares de forêts, dévastant les récoltes et allant jusqu'à détruire une base de matériels aéronautique militaire à 100 kilomètres de la capitale. Sans parler des victimes, des sans-abri, et de la catastrophe économique et écologique qui en résultent, ces incendies témoignent avec une acuité particulière de la désorganisation du pays. Il a fallu plusieurs jours pour que le président Dimitri Medvedev décrète l'état d'urgence et que les secours se déploient enfin. En cause, la centralisation extrême du pouvoir, qui a visiblement déresponsabilisé les gouverneurs locaux, et qui a centralisé jusqu'aux services des pompiers, par ailleurs, dotés d'un matériel archaïque et très largement en sous-effectif. Au final, cet évènement climatique aura exposé aux yeux du monde, toute l'inefficacité du gouvernement russe lorsque confronté à une situation de crise. Pourtant, la Russie avait martelé ces dernières années, sa volonté de changement et son engagement dans la voie de la modernité. Lors de son accession à la présidence en 2008, Medvedev avait souligné les excellents résultats de l'économie russe dans son ensemble, en déclarant qu'il n'y avait pas de chantier spécifique à traiter en urgence. En 2009, il a dû réviser radicalement son discours et reconsidérer la notion d'urgence, alors que l'économie se contractait de 7,9% sur l'année, que le rouble était dévalué et que les actions s'effondraient de 72% au dernier trimestre de 2008. Dans un discours devenu fondateur, il a alors fait un constat qui était pour une fois sans équivoque : «La Russie possède une économie primaire, qui souffre d'une dépendance humiliante envers les matières premières et d'une corruption endémique». Cet état de fait est largement corroboré par les chiffres officiels. L'économie russe reste sous la perfusion des bénéfices pétroliers, secteur qui représente 60 % du PIB. Les entrées de devises sont faramineuses, mais elles n'empêchent pas le pays d'entretenir un important déficit budgétaire. Il faut dire que, même dans les secteurs-phares du pétrole et du gaz naturel, le manque d'investissements dans un appareil de production dépassé et le manque d'innovations a fortement réduit les marges bénéficiaires des compagnies les plus importantes. Le constat n'est pas brillant non plus du côté des services de l'Etat. L'administration est pléthorique, la corruption très importante (on estime qu'elle absorbe près d'un tiers du PIB annuel) et le climat des affaires et de l'innovation reste un point noir de l'économie; à tel point que les investissements directs étrangers (IDE) ont plongé depuis le début de l'année. Aujourd'hui, un an seulement après la prise de conscience des autorités face à cette situation; la confiance est de retour, les actions s'envolent à nouveau et la prime de risque du pays est plus faible que celle de beaucoup d'autres pays d'Europe occidentale. Que s'est-il passé entretemps ? Rien de miraculeux, sinon la remontée des prix du pétrole... La question est maintenant de savoir si la Russie va retourner à sa complaisance habituelle alors que les cours du pétrole sont hauts et que les dollars coulent à flots, ou si elle va poursuivre le programme de modernisation entamé par Medvedev en 2009; car ce programme est effectivement très ambitieux. Le premier volet concerne l'innovation, et l'ambition n'est rien moins que de créer une Silicon Valley à la russe, de favoriser l'émergence de compagnies locales de haute technologie, comme le leader du marché des anti-virus Kaspersky et d'éviter la fuite de talents vers l'Ouest comme dans le cas de Sergey Brin (Google). Les travaux ont donc commencé au «Skolkovo Innovation Park», en dehors de Moscou, et les ficelles sont classiques : aides du gouvernement et incitations fiscales, dans le but d'attirer des compagnies locales et étrangères vers le secteur des hautes technologies. Le gouvernement a également engagé des sommes importantes dans des fonds de capital développement; mais le cœur du projet reste la création d'une nouvelle compagnie publique, Rosnano, qui investira autour de 1 milliard de dollars par an dans les nanotechnologies. Le second volet du programme de modernisation concerne le secteur financier. L'ambition du gouvernement est de faire de Moscou, un centre financier global à même de concurrencer Londres, New York ou Hong Kong. Il faut noter que si la plupart des banques russes ont, comme leurs homologues occidentales, souffert de l'assèchement du crédit lors de la crise financière, elles ont pu en sortir assez vite grâce à l'action rapide des autorités de tutelle. De plus, comme en témoignent les nombreuses banques européennes, et particulièrement les françaises qui cherchent à s'installer en Russie, le système financier bénéficie des énormes réserves en devises étrangères de la Banque centrale, et, surtout, le marché du crédit bancaire est très prometteur : la distribution des crédits au sein de la population est encore assez faible, mais commence à se développer rapidement. Au final, on peut reconnaître que le programme est ambitieux, et que le pays se donne les moyens de le réaliser. Il reste à savoir ce qui subsistera de ces bonnes intentions si la croissance mondiale plonge à nouveau ou si le cours du pétrole se remettait à baisser...