Tarik Sijilmassi, Président du Crédit Agricole du Maroc Les Echos quotidien : Quels sont les types de financement agricole innovants les plus adaptés pour le notre pays dans le cadre du Plan Maroc vert ? Tarik Sijilmassi : D'après ce que j'ai pu voir des expériences dans d'autres pays, je pense que l'une des techniques de financement agricole les plus innovantes est celle que nous proposons déjà à travers notre filiale Tamwil El Fellah. Le partage d'expériences avec les autres banques de différents pays nous a permis de voir que le focus est surtout fait sur le financement en microcrédit et en crédit bancaire conventionnel. Par contre, le besoin se fait sentir au niveau mondial pour des financements intermédiaires entre ces deux catégories. C'est précisément sur ce segment que se positionne Tamwil El Fellah. D'ailleurs il y a plusieurs institutions internationales qui sont venues nous demander de partager l'expérience et d'en faire un projet pilote porté par le Maroc. Justement, les limites qu'a montrées le microcrédit pendant les trois dernières années ne présagent-elles pas le déclin de cette technique de financement ? Non pas du tout. Il faut savoir qu'au niveau mondial l'encours des crédits distribués dans le monde est de 65 milliards de dollars sur un marché potentiel de 300 milliards. Ces chiffres montrent bien qu'au Maroc avec 5 milliards de dirhams de microcrédit distribués, il y a un énorme champ de développement. Certes, après une période de forte croissance, le secteur a connu en 2009 et 2010 des années de consolidation, marquée par la rationalisation de la distribution de crédit. Car croissance ne doit pas rimer avec danger. Quelles sont les mesures prises pour que croissance ne soit pas synonyme de danger ? D'abord nous avons mis un terme aux endettements croisés. Nous avons également travaillé sur la définition des mauvais payeurs, en collaboration avec la centrale des risques et sur les risques prudentiels avec Bank Al-Maghrib. Je peux dire que le microcrédit s'est stabilisé, de sorte à ne plus connaître de régression, et nous nous apprêtons à repartir de l'avant comme auparavant. Comment a été l'exercice 2010 pour la Fondation Ardi, l'institution de microcrédit du CAM ? La Fondation Ardi a connu en 2010 une année très stable, c'est-à-dire qu'on a eu une très légère progression des chiffres. Chose qui s'est faite de façon volontaire, puisque comme je l'ai dit, c'est une période d'amélioration des processus de gestion. Nous nous attendons donc à repartir vers une croissance à deux chiffres en 2011 et 2012. L'un des principaux problèmes identifiés pour le financement agricole porte sur la formation, le suivi et le conseil de l'agriculteur. Comment le CAM s'implique-t-il à ce niveau ? Il y a deux aspects concernant ce sujet. D'abord, le conseil direct. Ici nous entraînons nos équipes à être des banquiers mais avant tout des conseillers pour les agriculteurs. Et surtout, je suis convaincu que dans le monde rural il faut qu'il y ait, notamment parmi les jeunes diplômés, des gens qui s'installent pour être des experts dans tous les domaines qui touchent à l'agriculture, pas simplement les financements : des experts en techniques de culture, d'irrigation, d'analyse des sols ou encore en techniques de reconversion. En plus d'avoir des conseillers financiers. Le monde rural a besoin de développer une expertise. Aussi le CAM a-t-il mis en place une ligne de crédit dénommée Khadamat, et qui est destinée à financer jusqu'à 90% des besoins des jeunes désirant s'installer en milieu rural pour développer leur expertise en créant des cabinets. Qu'en est-il du volet assurance agricole ? N'est-ce pas là une opportunité intéressante pour diversifier les activités du CAM ? Effectivement, la composante assurance est extrêmement importante pour le développement du secteur. À ce sujet, la réflexion est en cours chez le CAM. Je suis certain que le monde de l'assurance rurale connaîtra une réelle révolution dans les années à venir, notamment sous l'impulsion de notre partenaire, la MAMDA-MCMA. Dans ce cadre, il y a deux voies à emprunter. D'abord, les métiers d'assurance pour l'individu en milieu rural. Car c'est aussi un consommateur qui a des besoins, et à leur tête éduquer ses enfants et préparer sa retraite. Et puis il y a des assurances contre les aléas climatiques, dont certaines existent déjà au Maroc comme l'assurance sécheresse. Là, il faut réfléchir à étendre ces services aux autres risques climatiques, comme les inondations, la grêle, les invasions de criquets, etc. Et il va y avoir un énorme effort à ce sujet dans les années à venir. À quel horizon plus précisément ? À mon avis on devrait voir ces nouveaux services avec plusieurs variantes dans les deux années à venir.