L'Agence nationale de réglementation des télécommunications a validé la création de deux entreprises communes entre Itissalat Al-Maghrib et Wana. Une transformation majeure du paysage télécoms s'engage, entre promesse de mutualisation des infrastructures et vigilance accrue sur les risques concurrentiels. Le secteur marocain des télécommunications s'apprête à connaître une réorganisation d'ampleur. La récente décision de l'ANRT, rendue le 18 juin 2025, autorise la création de deux entreprises communes entre IAM et Wana Corporate. Ce partenariat, structuré autour de deux nouvelles entités juridiques baptisées provisoirement FiberCo et TowerCo, vise à renforcer les capacités techniques des réseaux, tout en favorisant le partage d'infrastructures passives entre opérateurs. La première société, FiberCo, se consacrera au déploiement de nouvelles infrastructures FTTH, c'est-à-dire des réseaux de fibre optique jusqu'à l'abonné. Quant à la TowerCo, elle développera des pylônes et des sites permettant d'héberger des équipements de téléphonie mobile. L'une comme l'autre n'auront pas vocation à s'adresser directement au marché de détail. Elles interviendront exclusivement en amont, en tant que fournisseurs d'infrastructures pour les opérateurs. Des engagements formels pour encadrer l'opération La validation de cette double opération, présentée comme une seule concentration économique, a été conditionnée à un ensemble d'engagements stricts formulés par IAM et Wana. L'ANRT insiste dans sa décision sur le fait que ces deux entités devront fonctionner comme des structures indépendantes, dotées de leur propre gouvernance, de ressources autonomes et de mécanismes de séparation fonctionnelle avec leurs maisons-mères. Le régulateur précise également que les nouvelles sociétés ne pourront en aucun cas accorder un traitement privilégié à IAM ou Wana. L'accès à leurs services devra se faire dans des conditions objectives, proportionnées et non discriminatoires. «Toute demande d'un opérateur devra être traitée selon les mêmes modalités que celles appliquées aux actionnaires», souligne la décision, qui prévoit en outre la publication d'offres de référence encadrées par l'ANRT. Orange Maroc en position d'observateur attentif Face à la portée de l'opération, Meditelecom (Orange Maroc) a transmis à l'ANRT une série d'observations. L'opérateur affirme soutenir «toute initiative structurante et inclusive visant à accélérer la transformation numérique du Royaume du Maroc», tout en exprimant des réserves sur les risques que pourraient engendrer une telle concentration. Orange Maroc appelle à des garanties fermes de non-discrimination à l'égard des tiers, insistant sur la nécessité pour les nouvelles entités de traiter l'ensemble des opérateurs «de manière non discriminatoire». Il met également en garde contre «les risques d'échanges d'informations sensibles et de coordination» entre les maisons-mères et les coentreprises. Par ailleurs, Meditelecom insiste sur l'importance d'un accès équitable et transparent aux infrastructures, qu'elles soient fixes ou mobiles. Ces préoccupations, selon l'opérateur, doivent se traduire par des engagements concrets afin d'éviter tout déséquilibre concurrentiel durable. Si ces garanties constituent un point de départ, Orange Maroc estime qu'un suivi régulier sera nécessaire pour s'assurer de leur application effective dans le temps. Une régulation proactive mais prudente L'ANRT s'est montrée attentive à ces remarques. Elle estime que les engagements pris sont, à ce stade, suffisants pour préserver l'équilibre concurrentiel. Néanmoins, elle prévoit un suivi rapproché des activités des deux coentreprises, notamment pour vérifier que les conditions d'accès aux infrastructures restent alignées sur les principes de concurrence loyale. Le régulateur affirme également que cette opération devrait contribuer à réduire la position dominante d'IAM sur certains segments techniques. «Le recours à des entreprises communes spécialisées permet d'optimiser les déploiements et d'assurer une meilleure efficacité opérationnelle», peut-on lire dans la décision. Tout en rappelant que le fait d'occuper une position dominante n'est pas, en soi, problématique, l'ANRT précise que seule une utilisation abusive de cette position serait sanctionnée. Une dynamique inspirée des modèles internationaux En autorisant cette opération, le Maroc s'aligne sur des pratiques déjà éprouvées à l'international. Des structures similaires ont vu le jour ces dernières années en Europe, notamment en Espagne ou en Italie, où des opérateurs concurrents ont choisi de mutualiser leurs investissements dans les infrastructures passives. L'ANRT souligne d'ailleurs que ce type de modèle est «reconnu à l'échelle internationale» et que son impact est perçu positivement sur le développement de la concurrence. Le recours à une FiberCo, selon l'agence, devrait permettre à chaque opérateur de développer ses propres offres commerciales sur la base d'un réseau neutre et accessible. Quant à la TowerCo, elle contribuera à rationaliser l'hébergement des équipements mobiles, tout en garantissant un accès équitable à tous les opérateurs autorisés. Une transition sous haute surveillance Si le cadre juridique semble balisé, l'enjeu principal reste celui de l'exécution. L'ANRT n'écarte pas la possibilité d'intervenir en cas de litige ou de dérive, rappelant que les entreprises concernées seront soumises à une régulation continue, notamment au titre de la loi sur la concurrence et des obligations imposées aux opérateurs de réseaux publics. La transparence, la neutralité et la non-discrimination ne devront pas seulement être inscrites dans les statuts des nouvelles entités, mais devront s'incarner dans leurs pratiques quotidiennes. Pour y parvenir, la gouvernance interne, la gestion des données et les flux d'information devront être strictement encadrés. Autant de points qui feront l'objet d'une attention particulière dans les mois et années à venir. Faiza Rhoul / Les Inspirations ECO