Face à un taux de remplissage national des barrages de 31% et des niveaux critiques dans certains bassins, le Projet de loi de finances 2026 renforce l'orientation budgétaire en faveur des infrastructures hydrauliques, priorisant le stockage, l'interconnexion des bassins et le dessalement. La situation actuelle des ressources en eaux conventionnelles demeure tendue. Les données officielles indiquent un taux de remplissage moyen des barrages au niveau national de 31%. Ce chiffre masque toutefois des disparités régionales prononcées. Le bassin du Sebou affiche un taux de 44%, tandis que celui d'Oum Er-Rabia connaît une situation critique, avec des taux variant de 6% à 10%. Cette baisse significative est la conséquence d'un déficit pluviométrique récurrent. L'absence de précipitations notables en octobre aggrave la pression sur les ressources. Parallèlement, les eaux souterraines subissent un épuisement notable. Cette déplétion résulte d'une surexploitation et d'un manque de réalimentation par les pluies. Dans plusieurs zones, le phénomène d'intrusion marine contribue également à la salinisation des nappes phréatiques. Face à ce constat, les investissements publics s'orientent vers plusieurs axes. D'une part, développer la capacité de stockage. Quatre nouveaux grands barrages sont ainsi mis en eau ou achevés en 2025 et la construction de deux autres est programmée pour 2026. Et, d'autre part, réaliser des projets visant à optimiser l'utilisation des ressources, à l'instar de la première tranche urgente de l'interconnexion des bassins de Sebou et de Bouregreg, désormais achevée. L'efficience agricole est aussi ciblée, à travers la promotion de la reconversion vers le goutte-à-goutte, une politique ayant permis d'équiper 867.000 hectares cumulés entre 2020 et 2024. L'effort porte aussi sur les zones vulnérables, un programme prioritaire de 20 MMDH étant prévu en 2026 pour le développement territorial, incluant la réhabilitation des réseaux d'adduction en eau potable (AEP) dans les douars. Une stratégie double : Entre gestion de crise et vision à long terme L'analyse de la situation hydrique soulève une interrogation. Le Maroc opère-t-il une gestion de crise ou déploie-t-il des mesures proactives ? Selon Kamal Aberkani, expert en sciences de l'agriculture, la démarche actuelle relève des deux approches. La préparation a été initiée il y a plusieurs années, notamment suite aux directives royales d'octobre 2022. Cette approche est inscrite dans le PLF 2026, qui fait de «la gestion proactive et durable des ressources en eau» l'un des axes du nouveau «Fonds de développement territorial intégré». Le volet proactif s'inscrit dans une stratégie nationale visant la sécurité hydrique avant 2030. Un objectif intermédiaire fixerait l'assurance de 80% des besoins en eau du secteur agricole d'ici 2026, ce dernier consommant environ 80% des ressources hydriques nationales. Le PLF 2026 représente ainsi une tranche budgétaire de ce plan global. Le volet de gestion de crise s'impose par l'urgence de la situation actuelle. Avec des barrages à des niveaux critiques, la gestion de la campagne agricole 2025-2026 dépendra fortement des scénarios pluviométriques. Dans cette stratégie, le dessalement joue un rôle de réserve de secours. La feuille de route nationale vise 1,7 milliard de m3/an d'eau dessalée d'ici 2030, pour couvrir plus de la moitié des besoins en eau potable. La station du Grand Casablanca (200 millions m3/an) est prévue pour fin 2026 et celle de Dakhla (37 Mm3) pour 2025, s'ajoutant aux projets de Souss-Massa (350 Mm3), Tanger (150 Mm3), Rabat (300 Mm3) et de l'Oriental (300 Mm3). Les défis du financement : Du coût du dessalement à l'équité territoriale La mise en œuvre de ces projets rencontre des défis économiques et territoriaux. Le financement des stations de dessalement pour l'agriculture illustre cette complexité. Le PLF 2026 reflète cet effort financier via de multiples leviers, dont 4,2 MMDH pour le Fonds de développement agricole (FDA) et 1,7 milliard pour le Fonds d'assainissement et de réutilisation des eaux usées. Cependant, le coût de l'eau dessalée, potentiellement supérieur à 3 DH le mètre cube, suscite des réticences. Les producteurs agricoles hésitent à s'engager sur de tels tarifs, faute de visibilité. Cette absence d'engagement freine les opérateurs privés, qui requièrent des garanties. Comme l'explique Aberkani, l'expérience menée dans la région de Nador (30.000 ha) montre la difficulté à obtenir un engagement total des agriculteurs. La viabilité économique dépend de scénarios variables. En cas de sécheresse extrême, les agriculteurs pourraient être contraints d'acheter l'eau à un prix élevé. Inversement, en cas de pluviométrie abondante, ils utiliseraient l'eau de barrage. Un autre enjeu réside dans la répartition des investissements. Une compétition s'observe entre les régions pour l'obtention de ces équipements. L'Etat procède par tranches et selon des priorités basées sur l'urgence, en particulier dans les zones vulnérables. Le Fonds de développement territorial intégré, doté de 5 MMDH dans le PLF 2026, illustre cette allocation priorisée, notant que la régionalisation avancée est présentée comme une voie pour améliorer l'efficience de ces projets. Mehdi Idrissi / Les Inspirations ECO