Alors que Maurice est consacrée première place financière d'Afrique, un récent rapport de l'OCDE invite le Maroc à une introspection stratégique pour renforcer la résilience et la compétitivité de son marché. Détails. Alors que Maurice détrône le Maroc dans le classement GFCI, un récent rapport de l'OCDE sur les marchés de capitaux africains replace cette compétition dans le contexte plus large des défis structurels continentaux, appelant à des réformes profondes et coordonnées. En effet, le dernier classement du Global financial centres index (GFCI 38), de septembre 2025, a fait l'effet d'un séisme, en plaçant Maurice comme première place financière du continent (52e mondial, +6 places), détrônant au passage Casablanca Finance City (53e). Une percée mauricienne, couplée à l'ascension remarquée de Kigali (65e, +7 places) qui semble dessiner une nouvelle carte de la finance africaine. Cependant, le rapport de l'OCDE offre un contrepoint nuancé, révélant des défis structurels profonds que la simple performance dans un classement ne saurait masquer. L'analyse croisée de ces deux documents est riche d'enseignements pour les acteurs économiques. Disons que ces documents, analysés à travers le prisme des places clés du continent, révèlent des défis structurels majeurs et tracent aussi des pistes d'action concrètes pour les acteurs économiques. Dans le cadre de cet article, nous avons braqué nos projecteurs sur le Maroc et Maurice. Casablanca Finance City et le paradoxe de la deuxième place Pour le Maroc, la perte de la première place africaine au profit de Maurice dans le GFCI constitue un signal fort qui interroge la compétitivité relative de sa place face à l'attractivité fiscale mauricienne et la montée d'autres hubs. Un choc qui gagnerait à être nuancé à l'aune du rapport de l'OCDE, lequel souligne les efforts structurants du Royaume via son Plan directeur pour les marchés de capitaux et son alignement sur les normes internationales, comme son adhésion à l'accord de l'OICV et aux initiatives de finance durable. Le Maroc dispose d'un atout majeur avec un taux d'épargne de 28%, bien supérieur à la moyenne africaine. Cependant, sa position dans le trio de tête de la capitalisation boursière masque des défis structurels communs : la liquidité du marché, la concentration, une dépendance persistante au financement bancaire et le besoin crucial de développer sa base d'investisseurs institutionnels locaux pour réduire sa vulnérabilité. Des réalités qui imposent des implications claires pour les acteurs. Pour les régulateurs, l'urgence est de renforcer la liquidité des marchés locaux, de faciliter l'accès des PME, de promouvoir l'épargne longue via le développement des régimes de retraite par capitalisation et d'accélérer l'intégration régionale, notamment via le Projet de liaison des bourses africaines. Les entreprises membres de CFC gagneraient, quant à elles, à diversifier leurs sources de financement au-delà du bancaire, à se préparer aux exigences croissantes de reporting ESG et à exploiter les opportunités de financement climatique via les obligations durables. Enfin, les investisseurs peuvent profiter de la relative maturité du marché marocain, mais doivent rester conscients des risques de liquidité et de concentration, tout en surveillant l'évolution des réformes pour accéder à une gamme d'actifs plus diversifiée. Maurice (MIFC): l'attractivité fiscale, atout et défi ? Le succès mauricien au classement GFCI, matérialisé par une progression de six places et la conquête de la première position africaine, consacre l'efficacité d'un modèle fondé sur un positionnement stratégique de carrefour régional et un cadre fiscal ultra-compétitif, avec un taux effectif d'imposition d'environ 3% et une absence d'impôts sur les plus-values et les dividendes. Cette percée trouve un écho dans le rapport de l'OCDE, qui cite Maurice parmi les quatre économies concentrant 60% de la dette d'entreprise du continent, et dont l'étude est d'ailleurs financée par sa propre Commission des services financiers, soulignant son rôle actif dans le développement des marchés de capitaux africains. Cependant, au-delà de ce succès, le rapport de l'OCDE émet un avertissement implicite mais crucial. Une dépendance excessive aux capitaux étrangers, attirés principalement par des avantages fiscaux, accroît la vulnérabilité face aux cycles de la politique monétaire mondiale et aux périodes d'instabilité financière. Comme pour les autres places, le développement d'une base solide d'investisseurs institutionnels nationaux demeure un impératif pour assurer une résilience à long terme. Pour les acteurs, les implications sont claires. Les régulateurs mauriciens gagneraient à maintenir une course sans relâche pour préserver la réputation et la conformité internationale du centre, notamment dans la lutte contre le blanchiment, tout en œuvrant à développer la profondeur des marchés locaux en roupie mauricienne afin d'atténuer le risque de volatilité des capitaux. Les fonds et holdings utilisant la plateforme doivent certes profiter de son efficacité pour accéder aux marchés africains, mais ils se doivent d'intégrer dans leurs modèles, de manière plus sophistiquée, les risques macroéconomiques et de change des marchés cibles. Ils doivent par ailleurs anticiper une pression réglementaire internationale croissante exigeant une substance réelle. Enfin, il y a lieu de signaler que, pour les gestionnaires de fortune, Maurice reste un hub attractif. Toutefois, la montée en puissance de concurrents régionaux comme Kigali et la pression internationale persistante sur les modèles fiscaux exigent une évolution vers une offre de services différenciée, valorisant une expertise africaine pointue et une valeur ajoutée au-delà du seul avantage fiscal. L'impératif climatique et le rôle de la dette Le rapport OCDE souligne un défi majeur transversal : le financement de la transition climatique et énergétique. «Répondre aux besoins d'investissement dans les énergies propres nécessitera d'augmenter sensiblement les dépenses en capital. Par exemple, pour tenir les engagements annoncés pour 2026 en Afrique, il faudra doubler les niveaux actuels d'investissement». Les marchés de la dette, notamment les obligations durables, sont identifiés comme cruciaux. Cependant, la faiblesse des marchés locaux de dette en monnaie locale et la dépendance aux devises étrangères rendent ce financement complexe et coûteux. L'intégration régionale des marchés (Projet de liaison) est vue comme une clé à même de mobiliser l'épargne intérieure et d'attirer les capitaux privés internationaux nécessaires. Appel à l'action et aux réformes structurelles Le message central du rapport de l'OCDE est sans équivoque. Malgré l'existence d'une base solide dans des pays comme le Maroc, Maurice ou l'Afrique du Sud, les marchés de capitaux africains demeurent globalement sous-développés et fragmentés, une situation qui entrave leur capacité à financer la croissance inclusive, la création d'emplois formels et l'impératif de la transition climatique. Les progressions ponctuelles dans les classements internationaux, si elles sont positives, ne doivent pas occulter l'ampleur des défis structurels sous-jacents. Comme le souligne l'OCDE, «le développement des marchés de capitaux est une entreprise de long cours nécessitant des réformes globales et pérennes». Une réalité qui impose des implications tangibles et immédiates pour l'ensemble des acteurs économiques. Pour les pouvoirs publics et les régulateurs, la priorité absolue réside dans l'approfondissement des marchés locaux en monnaie locale pour renforcer la souveraineté financière, l'élargissement urgent de la base d'investisseurs institutionnels nationaux, l'harmonisation des réglementations pour favoriser l'intégration régionale, et la modernisation des infrastructures via la digitalisation. Les entreprises, quant à elles, doivent impérativement diversifier leurs sources de financement au-delà du crédit bancaire traditionnel, se préparer à un reporting ESG accru et systématique, et explorer activement les opportunités liées à la finance verte et digitale. Quant à l'accès des PME au marché des capitaux, il reste un défi critique à relever. Pour les investisseurs, institutionnels comme particuliers, l'environnement offre un potentiel de croissance significatif. Cependant, il exige une navigation prudente dans des marchés encore caractérisés par des risques de liquidité, de gouvernance et macroéconomiques élevés, où l'innovation financière devient un outil indispensable d'analyse et d'accès. Enfin, les institutions financières et les FinTechs ont un rôle pivot à jouer dans la démocratisation de l'accès aux marchés et le développement de produits sur mesure pour les particuliers et les TPME, ainsi que dans la facilitation des flux transfrontaliers. Le rapport de l'OCDE, en dressant un état des lieux précis et en identifiant des leviers d'action concrets, fournit une feuille de route indispensable. Sa mise en œuvre effective, notamment par le Maroc – qui est à la croisée des chemins entre la reconquête de son leadership et l'approfondissement stratégique de son marché domestique – sera déterminante pour l'avenir économique et financier du continent tout entier. Le temps n'est plus aux constats, mais à l'action concertée, aux réformes structurelles et à une intégration régionale accélérée. Le choc des classements et la réalité des structures Au-delà du classement GFCI 38 et des réactions suscitées, le rapport de l'OCDE tempère tout optimisme en révélant une réalité continentale plus nuancée et souvent préoccupante. Son diagnostic est sévère. «Malgré leur diversité en termes de structure et de maturité, les marchés de capitaux africains sont dans l'ensemble moins développés que ceux d'autres économies émergentes». Un constat qui se matérialise par une sous-représentation criante à l'échelle mondiale, où l'Afrique, qui pèse 2,5% du PIB mondial, ne représente que 0,4% de la capitalisation boursière mondiale, 0,1% du marché des obligations d'entreprise et moins de 1% des actifs des investisseurs institutionnels. Une faiblesse qui est aggravée par une concentration extrême de l'activité, l'Afrique du Sud, l'Egypte et le Nigéria accaparant plus de 80% de la capitalisation boursière continentale, tandis que 60% de la dette d'entreprise est détenue par seulement quatre économies (Afrique du Sud, Egypte, Nigéria, Maurice). Le paysage financier est en outre marqué par des faiblesses endémiques : manque de liquidité, bases d'investisseurs institutionnels nationaux trop modestes, réglementation fragmentée et préférence pour le financement informel et bancaire, qui handicape l'accès au capital pour les entreprises. Enfin, une vulnérabilité structurelle aux devises persiste, une grande partie de la dette souveraine et d'entreprise étant libellée en devises. Cette situation expose les économies aux chocs de change et à la volatilité des capitaux étrangers, comme en témoignent les importantes sorties de portefeuille suite au resserrement monétaire de 2022. Bilal Cherraji / Les Inspirations ECO