Face aux défis croissants liés à la digitalisation, à la sécurité des paiements et à l'inclusion financière, Bank Al-Maghrib dresse un bilan ambitieux de la transformation des infrastructures des marchés financiers au Maroc. Le rapport 2024 met en lumière une montée en puissance des systèmes de règlement, l'essor des virements instantanés, la préparation à l'instauration d'une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) et la volonté de consolider une souveraineté monétaire fondée sur l'innovation et la résilience technique. À l'heure où les économies émergentes doivent composer avec des tensions géopolitiques, des mutations technologiques et des exigences croissantes en matière d'inclusion financière, le Maroc se distingue par une stratégie proactive de transformation de ses infrastructures financières. Le rapport annuel de Bank Al-Maghrib (BAM) sur les infrastructures des marchés financiers (IMFs) et les moyens de paiement, couvrant l'exercice 2024, témoigne d'un virage clair vers une finance plus résiliente, plus souveraine et plus inclusive. Le document dresse le portrait d'un système robuste mais en pleine mutation. Infrastructures des marchés financiers, pilier de la souveraineté économique D'emblée, BAM décrit les IMFs comme des «systèmes, moyens de paiement, plateformes de compensation/règlement» essentiels à la stabilité et à l'efficience du système financier. Le rapport met en relief la nécessité d'une interconnexion fluide entre ces infrastructures et leur compatibilité avec les normes internationales, s'agissant d'un facteur clé pour attirer les capitaux, limiter les risques opérationnels et affirmer la souveraineté monétaire. Le Système de règlement brut du Maroc (SRBM), pilier de la liquidité interbancaire, a atteint un volume record de 25.262 milliards de dirhams (MMDH) en 2024. Cette progression cache cependant une recomposition des flux. Alors que les virements interbancaires classiques ont diminué de 15%, les virements des clients ont bondi de 27%, atteignant un montant de 2.696 MMDH. Ce glissement témoigne d'un usage accru des paiements numériques par les acteurs économiques non bancaires. Le SRBM a traité 381.039 opérations, un chiffre en hausse de 16% par rapport à l'exercice précédent. Ces résultats illustrent une appropriation croissante des services numériques, appuyée par une disponibilité technique quasi parfaite, estimée à 99,89%. Parallèlement, le développement du virement instantané modifie en profondeur les habitudes de paiement. Introduit en 2023, le virement instantané par le biais du système PCVI a déjà franchi la barre des 16 millions d'opérations, avec un record journalier atteignant 231.000 transactions. Ce succès traduit l'aspiration des particuliers et des entreprises à une expérience de paiement rapide, fiable et en temps réel. Dans le même temps, le Système interbancaire marocain de télécompensation (SIMT) poursuit sa croissance, avec 136 millions d'opérations enregistrées en 2024 pour un volume total de 2.524,2 MMDH, en hausse de 7,5% en volume et de 16,1% en nombre. Du côté des infrastructures de marché, Maroclear, le dépositaire central des titres, maintient une capitalisation de 2.532 MMDH, malgré une légère baisse du nombre d'admissions. La qualité des instruments financiers admis semble primer sur la quantité, signalant une orientation vers plus de sophistication et de sécurité. Le rapport de BAM insiste, dans ce périmètre, sur la nécessité d'une gouvernance de qualité et d'une supervision renforcée des risques de contrepartie. Par ailleurs, un tournant stratégique se prépare à la Bourse de Casablanca avec l'installation d'un marché à terme, adossé à une Chambre de compensation centrale (CCP). Les tests sont achevés, la plateforme SPAN est prête, et un cadre de gestion des appels de marge est pratiquement opérationnel. Ce marché, faut-il le souligner, permettra aux acteurs marocains de se couvrir contre la volatilité (marchandises, devises, taux) et d'attirer des investisseurs internationaux accoutumés à ce type d'instruments. Le rapport note que cet outil renforcera la profondeur, la liquidité et la maturité de la place financière marocaine. En matière de paiements électroniques, le système HPSS, pivot des transactions par carte bancaire, enregistre près de 289 millions de transactions, avec un taux d'approbation de 87%. Toutefois, le développement du paiement mobile reste timide, avec seulement 235.603 opérations recensées, pour un taux d'approbation de 72,7%. Cette disparité souligne les défis à relever pour rendre les solutions de paiement numérique réellement inclusives. La pénétration plus modeste (mobile money) révèle en effet qu'il reste un fort potentiel de développement, notamment en direction des zones rurales et des populations non bancarisées. Mais cette modernisation ne saurait se faire sans des fondations solides en termes de gouvernance et de cybersécurité. BAM a mis en œuvre un dispositif de supervision aligné sur les standards du Comité de Bâle et les recommandations du BIS/IOSCO. «Bank Al-Maghrib a adopté la méthodologie CROE en tant que référentiel pour évaluer la cyber-maturité des IMFs», lit-on dans le rapport. Ce cadre, dédié à la résilience cybernétique, est désormais appliqué aux entités critiques du système. Des audits techniques, des simulations d'incidents et un encadrement strict de l'usage du cloud ont été instaurés. L'outil RIBAT, quant à lui, permet de mesurer la maturité des infrastructures financières. Il attribue une note moyenne de 1,43 sur 5, en progression par rapport à l'année précédente. Cette évaluation n'est pas une alerte, mais un point de départ dans une logique d'amélioration continue. À ce sujet, le document précise que «BAM a poursuivi la réalisation de ses missions visant notamment la résilience des infrastructures de paiement.» Inclusion et innovation : les deux faces du défi Un autre défi majeur, mis en exergue par le rapport, est celui de l'inclusion financière. Malgré une prédominance toujours forte de la monnaie fiduciaire — avec un encours de 444 MMDH — sa croissance ralentit. Le Maroc s'oriente donc progressivement vers la dématérialisation des paiements. Et si les cartes bancaires gagnent du terrain, le mobile money reste néanmoins marginal. Le rapport souligne la nécessité d'une mobilisation nationale pour renforcer l'accès aux outils numériques, former les commerçants et concevoir des solutions adaptées aux besoins des populations exclues ou marginalisées. «BAM veille à assurer la conformité des solutions innovantes introduites sur le marché, notamment en matière de paiement sans contact», insiste le texte, preuve d'un suivi attentif des nouvelles tendances. Dans cette dynamique, le Morocco fintech center émerge comme un acteur majeur. Ce centre vise à créer un écosystème collaboratif entre régulateurs, startups, institutions et chercheurs, pour favoriser une innovation financière durable et inclusive. Il ne s'agit pas seulement de créer des produits technologiques, mais de répondre aux besoins concrets de la société, notamment dans les zones rurales et parmi les jeunes. Comme le rappelle le rapport, «Bank Al-Maghrib œuvre à créer un environnement favorable à cette transition, en collaboration avec toutes les parties prenantes.» Au-delà des réformes en cours, un horizon stratégique se dessine. Celui d'une monnaie numérique de banque centrale (MNBC). Si le rapport n'annonce pas encore officiellement de projet pilote, tout semble converger vers cette perspective. Les fondations sont posées : interopérabilité croissante des systèmes, infrastructures robustes, surveillance accrue, expertise technique disponible. Le Maroc pourrait bien, dans les prochaines années, tester une MNBC, rejoignant ainsi le cercle restreint des pays africains à la pointe de la souveraineté monétaire numérique. BAM propose enfin une série d'orientations prospectives. Il s'agit de poursuivre l'intégration régionale via des systèmes de compensation multidevises, d'améliorer la cyber-résilience par des audits systématiques et des centres de réponse rapide, d'étendre l'éducation numérique dans les régions défavorisées, et de soutenir activement l'interopérabilité entre acteurs financiers, fintechs et institutions publiques. Une vision pleinement assumée, comme l'indique la Banque centrale dans son rapport, indiquant avoir «poursuivi la réalisation de ses missions visant, notamment, la résilience des infrastructures de paiement.»